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Nouveau «Jeu de l'oie» : de l'art de démotiver en cinq cases
Publié dans La Vie éco le 24 - 03 - 2006

Ecouter les remarques, reconnaître ses erreurs est souvent perçu comme un moyen donné à l'autre de vous affaiblir
Pour avancer, il faut rompre avec la relation duelle «dirigeant-salarié» où le premier s'imagine devoir motiver le second qui s'imagine être en droit d'attendre que le premier le motive.
Evidemment, l'entreprise doit sans cesse se remettre en question et viser des objectifs toujours plus ambitieux, ne serait-ce que pour battre la concurrence. Les dirigeants, et plus particulièrement les DRH, sont en quête permanente de nouveaux leviers pour mobiliser leurs équipes. Pourquoi est-ce si difficile ? Contrairement à l'opinion répandue, la cause première n'est pas à rechercher du côté d'un management autoritaire, de la pression économique, ou d'une stratégie évasive. Non, ce sont les gens eux-mêmes qui se donnent un mal fou pour engendrer de la démotivation pour eux-mêmes et les autres ! Tentons d'expliquer ce paradoxe.
La compulsion à détruire la motivation agit crescendo en cinq temps : l'appartenance à un groupe, la quête de reconnaissance pour soi, la recherche de solutions, l'instrumentalisation des autres et, enfin, la tendance à être insatisfait. Commençons ce jeu de l'oie par la première case.
Case n°1 : l'appartenance au groupe
Au départ, tout commence simplement. Un psychologue, Maslow, auquel nous devons une fameuse pyramide, a identifié le besoin d'appartenance comme un des traits fondamentaux de l'homme. Pour combler ce besoin, l'homme rejoint des bandes, des groupes, des organisations ou des institutions. Mais il ne veut pas intégrer un groupe à n'importe quel prix : il faut qu'il puisse aussi sortir la tête de l'eau.
Case n°2 : la quête de reconnaissance
Alors il saute dans la case n°2, celle de la reconnaissance. Le problème du DRH semble ici aisé à solutionner. Si c'est tout ce dont les gens ont besoin pour être motivés, on va les distinguer. Et de fabriquer et de distribuer des médailles du travail. Rien n'est résolu pour autant, car tout le monde veut une médaille. Chacun veut être r-e-c-o-n-n-u- pour sa contribution à l'exploit : «C'est Mooouaaahh qui ait fait ceci et cela. Si en plus, c'est l'autre, forcément moins compétent, qui l'obtient, j'ai des raisons pour pester…». De fait, les systèmes de récompense de la performance individuelle, bonus, salaire variable, entretiens d'évaluation, sont rarement mis en place tels quels, car ils s'avèrent délicats à l'usage et sources de stress.
Case n° 3 : la recherche de solution
Si on n'arrive pas à reconnaître mes mérites, qu'au moins j'échappe à la critique et aux attaques, se dit l'individu qui trouve refuge dans la case n°3. Ici, je suis parfait et dans mon unité tout va bien : tel est mon message officiel. Un problème ou un dysfonctionnement surgit-il ? Impossible. Ecouter les remarques, reconnaître un problème, c'est supporter une tache sur mon ego. En plus, les autres sont capables de monter en épingle cette erreur pour m'affaiblir. Il me faut élever immédiatement une barrière anti-problèmes, le réflexe «solution», qui protège mon ego tout en déplaçant le problème.
Case n° 4 : l'instrumentalisation de l'autre
La position sur la case n°3 est fragile. L'autre, collègue, supérieur hiérarchique, collaborateur ou simple fournisseur, par sa seule prestance, peut faire de l'ombre à ma crédibilité. Miroir, mon beau miroir… Il existe, donc j'ai une faille : ciel, je ne suis pas tout-puissant. Il faudrait que je compose avec quelqu'un qui, par son existence même, désigne mes limites. Je saute dans la case n°4, l'instrumentalisation de l'autre. Chacun cherche dans l'entreprise, souvent inconsciemment, des outils pour assujettir l'autre à son jeu. Il s'agit là d'un procédé classique de vases communicants qui, au niveau collectif, ne règle pas le problème de la motivation. Plus je gagne en estime de moi par ma maîtrise de la situation, plus je frustre l'autre en réduisant sa marge de liberté ! Il y a bien de la perversion au bout de ce chemin.
Case n° 5 : la tendance à être insatisfait
Evidemment, vouloir être le seul distingué, masquer les problèmes par des solutions et chercher à instrumentaliser l'autre, tout cela fait très mauvais joueur. Il faut donc trouver un moyen pour dissimuler le tout et rehausser son image de soi. Miracle, la case n° 5 est toute proche avec sa solution : se transformer en victime ! Ainsi, les gens s'inventent tout un roman pour ne pas être pris en flagrant délit de jouissance égoïste de leur succès. Vive la frustration ! Chacun se culpabilise, trouve un appui dans la jalousie ou rate son projet pour être sûr d'avoir des raisons d'être insatisfait. L'essentiel, c'est de toujours pouvoir se plaindre. La position de la victime, quel délice. Comme ça, on peut toujours passer son temps à trouver un coupable, un grand méchant, l'autre, qui nous a mis dans cet état. Et la messe est dite. Si je n'admets pas la jouissance pour moi-même, je ne peux la tolérer chez l'autre et je vais m'arranger pour le frustrer. D'où un retour aux cases précédentes.
On voit bien où est le piège. Les DRH peuvent se décarcasser, inventer les programmes de motivation les plus sophistiqués, ils n'éradiqueront jamais totalement la plainte. Dur, dur d'être patron. Dur, dur d'être DRH.
Rompre avec la relation duelle
Pour avancer, il faut rompre avec la relation duelle «dirigeant-salarié» où le premier s'imagine devoir motiver le second qui s'imagine être en droit d'attendre que le premier le motive ! Mais me direz-vous d'où vient ce jeu factice ? Quand l'individu entre dans le jeu de l'oie, il est déjà marqué d'une sorte de blessure narcissique, appelez ça comme vous voulez, mais c'est là, c'est sûr. L'individu est prêt à tout pour se cacher cette angoisse initiale. Il trouve dans son fantasme des mécanismes de défense efficaces. Cela commence avec la case n°1 : appartenir à un groupe pour oublier, dans la fusion, les peurs initiales. Et le reste s'ensuit, à l'insu de l'acteur, qui en sait toutefois suffisamment sur son fantasme pour exiger que les autres le respectent. A suivre…
Gérard Pavy Senior manager chez Capital Consulting


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