Le silence comme prix insupportable de la liberté Finalement, Mohammed VI se redra bien aux Etats-Unis, où il sera reçu par le Président Barack Obama, le 22 novembre. Une visite longtemps mise en péril par l'emprisonnement du journaliste Ali Anouzla pour les charges d'assistance à une entreprise terroriste et d'apologie du terrorisme qui avait soulevé sinon l'indignation, du moins l'incompréhension, dans les milieux politiques américains, y compris parmi les plus favorables au Maroc. Depuis, le Directeur de « Lakome » arabophone a été remis en liberté provisoire, dans l'attente de son procès, au prix d'un silence jugé bien assourdissant par la plupart de ceux qui avaient mené campagne pour sa libération. Mais le Maroc n'est pas tiré d'affaire pour autant. Washington a, en effet, durci le ton vis-à-vis de Rabat, depuis le départ de Hilary Clinton, à propos de l'affaire du Sahara qui n'en finit plus d'empoisonner les relations bilatérales avec une bonne partie des pays africains, dont l'Algérie, faisant craindre le pire pour toute la région, au vu de l'escalade à laquelle se livrent les deux frères ennemis. Car de fraternité ou de relation de bon voisinage, il n'est, en effet, guère plus question. Bruits de bottes, manœuvres communes entre Polisario et armée algérienne, surarmement, frontières hermétiques, paysans coupés de leurs champs, pour raison de militarisation, escalade verbale entre responsables politiques, escarmouches éditoriales entre journaux officiels, accusations réciproques d'atteintes aux droits de l'homme, rappel de l'ambassadeur marocain. Un florilège qui en dit long sur la cocotte minute du Sahara mais également sur l'animosité que les deux régimes se portent mutuellement, pour mieux occulter leur crise sociale respective. De la menthe au goût de fiel et de lâcheté pour le 1° novembre algérien Mais la cerise sur le gâteau, vient des manifestations hostiles à l'Algérie qui se multiplient au Maroc. Une première du genre. Alors qu'une simple réunion de potaches dissertant, en pleine rue, de philosophie, déclenche la vindicte de la police marocaine, les manifestations vouant notre voisin aux gémonies semblent jouir d'une impunité totale, portant à croire qu'elles reçoivent, à tout le moins l'encouragement de Rabat. Pour qui se souvient de la violence avec laquelle les forces auxiliaires avaient « négocié » la dispersion des manifestants face au centre culturel libyen, dans le quartier des Orangers, le 21 février 2011, au lendemain des exactions du régime libyen contre les manifestants désarmés, comprend difficilement le laxisme des forces de l'ordre face au consulat algérien ce 1° novembre. un drôle de cadeau à l'Algérie pour sa commémoration du déclenchement de la lutte armée contre l'occupant français. Un cadeau empoisonné, au parfum de menthe, du nom de ce militant royaliste, Hamid Naânaâ qui a escaladé la grille en fer forgé, avant d'en faire de même pour le bâtiment des services consulaires et de s'attaquer au drapeau algérien qu'il a décroché de sa hampe. Les policiers de faction, autour de l'édifice, ce jour-là, se sont bien gardés d'intervenir, mises à part de molles mises en garde et la scène immortalisée par une caméra anonyme, ne laisse planer aucun doute sur les auteurs du forfait. Ce sont les mêmes visages qui sévissent depuis plusieurs mois contre les militants du « Vingt février » ou contre toute manifestation dénonçant la corruption, les atteintes aux libertés, les abus de pouvoir et d'autres pratiques du régime marocain. L'acte est, en lui-même, odieux parce qu'il s'est attaqué à l'un des fondamentaux même de la culture marocaine, sa proverbiale hospitalité qui dicte depuis des temps immémoriaux, que l'on fasse passer le bien-être de ses hôtes, avant même celui de sa propre famille. Il est ensuite condamnable, parce que les manifestants se sont attaqués à des bâtiments jouissant de la sacro-sainte extraterritorialité, en vertu de laquelle la souveraineté marocaine s'arrête à la grille en fer forgé qui protège les jardins du consulat, et toute personne passant ce seuil, sans y avoir été invitée, se rend coupable d'un franchissement illégal de frontière, sinon d'une attaque délibérée du territoire algérien. Enfin, si l'acte est odieux et condamnable il n'en est pas moins dénué de lâcheté, les bâtiments visés étaient désertés par leurs occupants, pour cause de jour férié. Trois ignominies pour le prix d'une et dont la responsabilité incombe avant tout au régime marocain, dont les services de sécurité se sont soudain révélés incapables de protéger le consulat. Tout porte à croire que Rabat, après avoir tout raté en diplomatie et usé et abusé de toutes sortes de stratagèmes, en est pitoyablement réduit à instrumentaliser de sombres voyous pour apporter la contradiction à ses adversaires, qu'ils appartiennent à la société civile, aux militants des droits de l'homme ou à un état tiers. « J'ai réglé l'affaire du Sahara ! » Alors Mohammed VI aura beau prononcer tous les discours de la « Marche verte » qu'il voudra, il ne fera pas oublier les termes triomphalistes de son interview au Figaro, en septembre 2001, au cours de laquelle il prétendait, candide, avoir « réglé la question du Sahara qui nous empoisonnait depuis vingt-cinq ans », avant d'ajouter avec un soupçon de suffisance : -« Ce genre d'affaire ne se traite pas en grimpant sur un piédestal et en publiant un communiqué par jour. Pour obtenir que les onze membres du Conseil de sécurité de l'O.N.U. reconnaissent la légitimité de la Souveraineté marocaine sur le Sahara, nous avons travaillé dur et dans la plus stricte confidentialité pendant dix-huit mois. » Et c'est sans doute parce que le roi y avait tellement cru, qu'il avait perdu, ce jour-là, une occasion de faire preuve d'humilité et qu'il a laissé, par la suite, ses troupes, douze années durant, se comporter en armée d'occupation et ses policiers de service à Laâyoune, Smara, Boujdour ou ailleurs, s'éprouver en terrain conquis et en supplétifs de la terreur, pendant que lui-même et les prédateurs de tous bords, investissait le terrain, s'accaparant sans vergogne, qui, les réserves halieutiques, qui, les réserves foncières, qui, les terres agricoles, qui, les phosphates, mettant en coupe réglée l'économie du Sahara, pendant que les enfants du pays continuaient de souffrir des affres de l'exclusion et de la répression. Les sahraouis n'ont ni pardonné, ni oublié. Ils le prouvent chaque jour, un peu plus ! Un énième discours pour rien Ceux qui promettaient des mesures importantes pour le discours du 6 novembre, ont pêché, à tout le moins par omission, sinon par hypocrisie. Deux tares qui ont contribué à faire du Maroc ce qu'il est devenu : un pays dont on abreuve ses citoyens d'espérance en des lendemains meilleurs, qui ont, en réalité, été reportés sine die. Une fiction improbable nourrie d'« Incha Allah » (si dieu le veut) et de « Hamdou lillah » (Rendons grâce à Dieu). Un mauvais film tant de fois consommé, qu'il en est devenu imbuvable, voire toxique. Seul changement palpable en trente-huit (38) ans de gestion calamiteuse du Sahara et en treize (13) ans de balbutiements et de bricolages sous Mohammed VI, les indépendantistes ont gagné en maturité, en force et en crédibilité, au détriment d'un Maroc, peu à peu lâché par ses alliés les plus inconditionnels, en raison de l'aveuglement, de l'incompétence et de la cupidité de ses politiciens. En prime, comme une épée de Damoclès, les adversaires du Maroc continuent d'agiter la menace de l'extension du mandat de la MINURSO à la surveillance de violations des droits humains. Une humiliation pour Rabat qui n'aurait d'autre alternative que de laisser manifester les indépendantistes, bien à l'abri, sous les fenêtres des envoyés de l'ONU au sahara. Autant d'éléments qui font ressembler le déplacement du souverain marocain à Washington à un voyage de la dernière chance. Mohammed VI et son avatar Bouteflika Et si Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika en sont à se jeter si pitoyablement, les Droits de l'homme à la figure, c'est précisément parce qu'il insupporte à chacun d'entre eux, de voir en l'autre, son parfait avatar et la copie conforme de ses propres turpitudes. Alors, lorsque Mohammed VI s'interroge, dans son discours, s'il serait « raisonnable de penser que le Maroc respecte les droits de l'Homme dans le nord du pays et les transgresse dans le sud ? », on serait tenté de lui répondre par d'autres questions : - Battre ses compatriotes parce qu'ils manifestent pour leur droit légitime à la liberté, à la dignité et à la justice, fait-il partie de ce respect des Droits de l'homme, dont il se gargarise ? - Ruiner des journalistes, les emprisonner et les condamner pour avoir simplement fait leur métier, fait-il partie du jeu démocratique marocain ? - Piller les ressources de son pays, s'accaparer impunément les richesses économiques de ce dernier et faire une concurrence déloyale à ses compatriotes entrepreneurs, est-il compatible avec un minimum d'honnêteté et une bonne gouvernance ? Lorsque le principal intéressé aura daigné sortir de son proverbial entêtement pour répondre à ces questions qui taraudent tant des nôtres, peut-être sera-t-il en mesure de comprendre pourquoi la fiancée sahraouie, refuse obstinément de convoler en justes noces, avec cet impitoyable bourreau venu du nord, qui la séquestre, la dépouille, la viole et la bat, depuis plus de trente huit ans.