A l'occasion de la journée internationale de l'alphabétisation, le 8 septembre, Lakome publie en exclusivité une tribune de Rupert Joy, Ambassadeur, Chef de la Délégation de l'Union européenne au Maroc. Le 8 septembre, nous célébrons chaque année depuis 1965, la Journée internationale de l'alphabétisation. Son objectif est de souligner l'importance de l'alphabétisation auprès des citoyens, des collectivités et des associations. Aujourd'hui, dans le monde, près d'une personne sur sept est illettrée, et sur les 774 millions d'adultes analphabètes, deux tiers sont des femmes. Le niveau d'alphabétisation de la société a des effets importants sur le développement économique et sur les conditions sociales des populations. L'alphabétisation est par exemple incontournable dans l'utilisation des nouvelles technologies de l'information qui connaissent un essor très important dans nos sociétés. Une étude financée par l'Union européenne sur le coût de l'analphabétisme a démontré que le manque à gagner par la société marocaine, engendré par 1% d'analphabète (en 2010) est de 10,3 Milliards DH en termes de PIB, et 1,3% de taux de croissance. La même étude a démontré que les bénéfices à tirer de l'alphabétisation devraient justifier d'un investissement encore plus important dans ce domaine. Selon les résultats de l'enquête nationale sur l'analphabétisme de 2012, 28% de la population âgée de 10 ans et plus au Maroc est analphabète. Ce taux était de 43% en 2004 selon le Recensement Général de la Population et de l'Habitat. Cette baisse de 5 points au bout de 8 ans, est le résultat des efforts déployés dans le cadre de la stratégie nationale d'alphabétisation mise en œuvre depuis 2004 et d'une mobilisation importante impliquant aussi bien les opérateurs publics que les Organisations non gouvernementales (ONG). Ainsi, près de 6,5 millions de personnes ont pu bénéficier pendant les 10 dernières années de cette politique. Les femmes représentent plus de 88% de l'ensemble des bénéficiaires dont 48% sont issus du milieu rural. Depuis 2009, la stratégie de lutte contre l'analphabétisme a été révisée, consolidée et les activités devraient être encore intensifiées afin de réduire le taux d'analphabétisme à 20% en 2016 et rendre opérationnelle l'Agence Nationale pour l'alphabétisation, dont le décret d'application a été approuvé récemment. Ces avancées du Maroc ont été saluées par la communauté internationale, à travers l'octroi au Royaume de la Mention honorable du prix Confucius de l'Unesco en 2012, pour son programme d'alphabétisation et de post alphabétisation et sa contribution à l'autonomisation des femmes. L'Union européenne soutient depuis 2008 la mise en œuvre de la stratégie en matière d'alphabétisation, à travers un appui budgétaire de 27 millions d'euros (plus de 297 millions de dirhams), qui représente environ 25% du budget total annuel alloué par le gouvernement au secteur (2008-2012). Ces cinq dernières années, trois millions et demi de personnes ont pu bénéficier des programmes d'alphabétisation grâce à la contribution de cet appui. Ces efforts ont permis de résorber annuellement au moins 3 à 4% d'analphabètes dans chacune des régions ciblées par le programme, qui sont les régions les plus touchées par l'analphabétisme au Maroc (Sous Massa Draa, Gharb Charda Bni Hssen, Chaouia-Ouardigha, Marrakech Tensift, Oriental, Doukkala Abda, Tadla-Azilal, Meknès-Tafilalet, Fes-Boulmane, Taza Al Hoceima, TangerTétouan). . Le programme de l'Union européenne à la mise en œuvre de la stratégie nationale d'alphabétisation constitue un atout important pour le développement des actions de cette stratégie et de sa révision. Ce programme a contribué à l'amélioration de la gouvernance du système, de la qualité des outils didactiques et du ciblage des groupes prioritaires, notamment les jeunes adultes (16-35 ans) et les femmes. Il a également favorisé l'élargissement du partenariat avec les ONGs, la mise en place d'un système d'évaluation et de certification des bénéficiaires et le renforcement des capacités des acteurs, notamment des formateurs alphabétiseurs, environ 10.000 par an dans les régions ciblées. Le programme a, également, mis l'accent sur le renforcement des opportunités d'insertion socio professionnalisante des bénéficiaires : en 2011, selon une étude financée par l'UE sur l'insertion professionnelle des bénéficiaires, 18% des lauréats ont bénéficié d'un projet de formation professionnelle et/ou d'accompagnement vers une activité génératrice de revenu, contre 13% en 2010. Cet effort mérite d'être accentué, en impliquant toutes les composantes de la société, pour cibler un plus grand nombre de bénéficiaires. Malgré toute cette volonté et ces résultats, de nombreux défis restent à relever afin d'assurer la pérennité de ces actions, tels que : 1) La garantie de financement nécessaire afin de permettre au secteur d'atteindre l'objectif d'un million de bénéficiaires par an; 2) La convergence des programmes d'alphabétisation avec les autres programmes de développement sectoriel et local au Maroc (Plan Maroc Vert, l'INDH, plans de développement communaux ...etc.). Une plus grande mobilisation et implication des secteurs concernés par la lutte contre l'analphabétisme tels que les entreprises privées (la contribution des entreprises à la résorption de l'analphabétisme au Maroc, ne dépasse pas 0,3% de l'effort national), les collectivités locales et certains départements publics, est indispensable ; 3) Le dispositif législatif et organisationnel qui devrait considérer l'alphabétisation comme une obligation sociale de l'Etat, organiser le processus d'apprentissage, reconnaitre le certificat d'alphabétisation en créant des passerelles entre l'alphabétisation et d'autres systèmes d'éducation, de formation et accompagnement à l'emploi et préciser les champs d'intervention et les responsabilités de chaque intervenant ; 4) La stabilité institutionnelle et, à court terme, la mise en place effective de la nouvelle Agence récemment adoptée. Les leçons tirées de ces dernières années montrent qu'il ne suffit pas, pour atteindre l'objectif de l'alphabétisation pour tous, de multiplier les initiatives. Il importe que cet objectif demeure une véritable priorité politique. Parce que l'alphabétisation est essentielle pour éliminer la pauvreté, réduire la mortalité infantile, freiner la croissance démographique, instaurer l'égalité des genres et assurer le développement durable, la paix et la démocratie, l'Union européenne compte poursuivre son appui à ce secteur afin de contribuer à l'inclusion à part entière des citoyens dans la société marocaine et dans le monde. Rupert Joy Ambassadeur, Chef de la Délégation de l'Union européenne au Maroc Pour un autre regard sur la politique d'alphabétisation au Maroc, retrouvez également ici la dernière chronique d'Azeddine Akesbi sur la réforme de l'éducation.