Le ministère de l'Intérieur se félicite du bilan de la première phase de l'INDH mais aucune étude d'impact n'a été rendue publique pour détailler les résultats de cette initiative royale lancée en 2005. Le ministère de l'Intérieur, en charge du pilotage de l'Initiative nationale de développement humain (INDH), a présenté mi-mai à Casablanca un bilan des huit premières années de mise en œuvre du programme, lancé en 2005. Un bilan jugé «très positif» par le ministre de tutelle, Mohand Laenser, rapporte l'agence officielle MAP. 29 000 projets créés, 7 millions de bénéficiaires, 11 milliards de dirhams investis à ce jour : les chiffres présentés par Mohand Laenser sont censés souligner la réussite de cette initiative royale, qui cible les communes urbaines et rurales les plus pauvres du pays. Un budget total de 10 milliards de dirhams a été dédié à la première phase de l'INDH (2005-2010). Celui de la deuxième phase (2011-2015) atteint 17 milliards de dirhams. Les domaines d'intervention du programme portent sur la santé, l'éducation, l'accès aux infrastructures et services sociaux de base ainsi que l'appui aux activités génératrices de revenus (AGR). Pas d'objectifs qualitatifs à atteindre ? La position du Maroc n'a pourtant pas évolué depuis 2006 dans le classement mondial du PNUD sur le développement humain (130e place), alors que d'autres pays comparables comme le Ghana, la Tunisie, Maurice ou le Bangladesh sont cités en exemple par le PNUD pour la réduction de leur déficit en développement humain ces dernières années. Peut-on mesurer l'impact réel de l'INDH (et des milliards de dirhams engagés) sur les populations ciblées ? A l'instar du programme national de lutte contre l'analphabétisme - qui constitue «un cas d'école» selon le militant associatif Azeddine Akesbi - les données publiées depuis 2005 par le ministère de l'Intérieur sur l'INDH ne concernent que les moyens mis en œuvre et le nombre de bénéficiaires ciblés, pas les résultats atteints. Le Conseil économique et social (CESE) reconnait dans son rapport sur l'INDH publié en février 2013 que «l'impact des projets ne peut être évalué en l'absence de données disponibles». Le CESE explique par ailleurs que les responsables de l'INDH n'ont pas défini d'objectifs qualitatifs avant de lancer le programme, rendant ainsi «difficile» l'appréciation qualitative des réalisations de la première phase. Où est passée l'étude d'impact ? L'Observatoire national de développement humain (ONDH), créé en 2008 et rattaché à la Primature, a justement pour mission d'analyser et d'évaluer l'impact des programmes de développement, notamment de l'INDH. Mais dans son premier bilan d'étape, publié en 2009, l'ONDH indique que «faute d'informations», l'analyse réalisée par l'Observatoire «ne traite pas de certaines questions-clé comme la qualité et la justification des projets, le type de bénéficiaires, ..., ni de l'évaluation de l'impact de cette opération». Le président de l'ONDH, Rachid Benmokhtar, explique1 début 2011 que l'étude d'impact «requiert une méthodologie plus affinée, consistant à choisir des groupes témoins pour apprécier les changements induits par l'INDH sur les populations ciblées et avec un recul temporel suffisant». Il annonce alors la réalisation de l'étude pour fin 2011-début 2012. Or, aujourd'hui, cette étude n'a toujours pas été rendue publique. Pourquoi ? Interrogé par Lakome, un membre de l'ONDH répond que «Sa Majesté n'a pas encore donné son accord pour la diffuser». Officiellement, l'étude est toujours en cours de réalisation. La phase 2 de l'INDH, elle, a été lancée en juin 2011 par le roi Mohammed VI. «Une nouvelle révolution du Roi et du peuple» Il faut dire que l'INDH est un «chantier de règne» du Souverain. Nadira El Guermai, la coordonnatrice nationale de l'INDH au ministère de l'Intérieur, parle même d'«une nouvelle révolution du Roi et du peuple»2. Les nombreuses inaugurations royales de projets INDH (centres de santé, écoles, routes, etc.) participent sans doute au façonnage de l'image du «roi des pauvres», bien que certains projets comme l'extension du marché central de Zaio (province de Nador) ont été inaugurés par Mohammed VI sans que leur financement intégral soit assuré3. Lors de son intervention à Casablanca, Mohand Laenser a justifié le fait que l'INDH soit dissociée de l'action des départements ministériels et des collectivités territoriales (donc hors de portée des partis politiques) par la nécessité de «préserver l'initiative contre toutes les formes de détournement de sa vocation sociale et humanitaire»... Gouvernance : le maillon faible Le montage institutionnel du programme et le manque de convergence entre l'INDH et les autres programmes de développement sont pointés du doigt par l'ONDH et le CESE. «L'INDH reste à ce jour un programme additionnel de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, géré par le ministère de l'Intérieur, évoluant en dehors des autres politiques sociales sectorielles», souligne ainsi le CESE, qui estime en conclusion de son rapport qu'«une question essentielle reste posée, celle du positionnement et de l'ancrage de l'INDH dans le champ des politiques publiques». L'instance consultative recommande notamment la mise en place d'une stratégie nationale intégrée de développement. Dès le lancement de l'INDH en 2005, c'est le ministère de l'Intérieur qui a pris le projet en main. «Une sérieuse incohérence», selon Azeddine Akesbi. Au niveau central, un comité stratégique, présidé par le premier ministre, et un comité de pilotage, présidé par l'Intérieur, s'occupent en théorie de la gestion de l'INDH. Mais c'est la coordination nationale de l'INDH, rattachée directement à l'Intérieur, qui gère en pratique la mise en œuvre de l'initiative royale, devenant «l'acteur central de l'INDH» selon le CESE. Au niveau local, l'approche participative est en théorie un élément fondamental du programme, ce qui constitue une première dans l'histoire du Maroc moderne. Toutefois les comités locaux, composés d'élus, d'associations et de représentants des services techniques déconcentrés, «n'ont aucun pouvoir décisionnel», relève le CESE dans son rapport. Là encore, c'est l'Intérieur, à travers les gouverneurs et walis qui dirigent respectivement les comités provinciaux et régionaux de l'INDH, qui est au centre du dispositif. "Quand on compare l'INDH avec des programmes qui ont mieux réussi à l'étranger, on constate que la principale différence réside dans l'approche adoptée. Dans ces programmes, la population et la société civile ont un vrai pouvoir de décision, alors que dans le cas du Maroc, cela part d'en haut", explique à Lakome un expert d'une institution financière internationale qui tient à garder l'anonymat. Le renforcement de l'approche participative et de la gouvernance locale est d'ailleurs un des principaux axes du soutien apporté par la Banque mondiale à la deuxième phase de l'INDH. «Chaque pays a ses spécificités mais l'approche participative inclut en général le diagnostic, l'identification des projets et leur évaluation par les populations, ainsi que la mise en place de mécanismes de gestion des doléances», explique à Lakome Mohamed Medouar, chef du projet INDH à la Banque mondiale. Il s'agit également de poursuivre la déconcentration et de renforcer les compétences techniques des acteurs locaux (élus, associations, porteurs de projets). INDH 2 : Un prêt conditionné aux résultats Les autres axes d'amélioration relevés par la Banque mondiale, qui a débloqué au total 300 millions de dollars pour appuyer la deuxième phase, concernent la pérennité des projets, la convergence entre l'INDH, les programmes sectoriels et les plans communaux de développement, l'inclusion économique des populations vulnérables (AGR) et le renforcement du système de suivi/évaluation. L'objectif est «d'améliorer la qualité de l'intervention et des projets», souligne Mohamed Medouar. Afin de s'assurer de résultats tangibles, la Banque mondiale utilise pour la deuxième phase de l'INDH (2011-2015) un nouvel instrument de prêt, le «Prêt-programme pour les résultats» (P4R), qui conditionne le décaissement des fonds à «la réalisation vérifiée d'un ensemble de résultats convenus à l'avance». «C'est là une démarche complètement nouvelle dans les efforts de la communauté du développement pour garantir que les fonds décaissés permettront bien d'obtenir les résultats escomptés», explique Simon Gray, directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Maghreb. Des indicateurs qualitatifs ont été définis et intégrés aux programmes de la deuxième phase, comme par exemple le pourcentage de jeunes filles résidant à Dar Taliba (foyers d'étudiantes créés par l'INDH) qui réussissent l'année scolaire, ou le pourcentage des AGR qui sont toujours viables deux ans après le financement de l'INDH 2. L'Intérieur refuse les critiques Le CESE estime que «la pérennité de beaucoup de projets est fragile voire compromise». La Cour des comptes relève de son côté certains dysfonctionnements dans son rapport 2011, comme cet espace associatif à Boujdour qui a coûté 2,9 millions de dirhams, livré en 2009 mais qui n'est pas encore opérationnel et qui n'a pas fait l'objet d'une convention de partenariat avec les associations concernées. Idem pour le marché central couvert de Dakhla, qui a coûté 18 millions de dirhams. «Il n'y a parfois pas d'argent prévu pour le fonctionnement et la maintenance des infrastructures. Il faudrait systématiser la délégation de gestion», explique Mohamed Medouar. «Ces contrats devraient définir clairement les tâches, les responsabilités des parties prenantes, les financements ainsi que des clauses de pénalité en cas de non-respect du contrat», précise le CESE dans ses recommandations. La question de la pérennité des projets INDH a également été soulevée lundi par des parlementaires PJD lors de la séance de questions orales à la chambre des Représentants. Le député de Béni Mellal Houcine Hansali a interpellé le ministre de l'Intérieur sur «un certain nombre de dysfonctionnements». Il a pris pour exemple des Maisons de la maternité (Dar Al Oumouma) créées en zones montagneuses grâce à l'INDH mais qui ne sont pas opérationnelles faute de ressources humaines. Houcine Hansali a également dénoncé des «abus dans le choix des membres des commissions locales et régionales» et le fait que l'INDH a été «instrumentalisée par certains lors des élections». Le ministre de l'Intérieur Mohand Laenser n'a pas répondu directement à ces critiques, affirmant simplement que les projets font l'objet «d'un contrôle permanent» et que l'INDH est "l'un des grands projets les plus transparents". Vidéo : Mohand Laenser interpellé par un acteur associatif à propos de l'INDH 1, 2 Conjoncture n°922 – janvier 2011 3 Rapport 2011 de la Cour des comptes - Tome 2