Et si l'éducation des jeunes marocaines n'était pas aussi efficace pour les insérer dans le marché du travail? Est-ce dramatique? Si l'on considère que le moyen d'émancipation le plus efficace est la capacité à générer ses propres ressources, alors la femme marocaine est largement perdante, car ses taux d'activité et de contribution à la population active occupée sont bas. L'argument selon lequel le travail rend libre (et je cite ici Hegel, personne d'autre) trouve sa raison dans un cheminement théorique prouvé par les statistiques du HCP: l'éducation permet de développer un capital humain valorisé par le marché du travail, et se traduirait par un revenu relatif supérieur à un emploi non qualifié, ou en tout cas ne faisant pas appel à ce capital humain. La dernière étude du HCP sur le niveau de vie des ménages indique bien l'impact positif du diplôme sur le niveau de revenu d'un ménage dont le(s) chef(s) dispose(nt) d'un diplôme scolaire et/ou universitaire. Les statistiques prouvent bien que le principal moyen d'acquérir un revenu autonome, l'éducation, ne sont pas en faveur de la population féminine: alors que le ratio féminin/masculin est relativement équilibré dans le primaire (93% en 2010) il décline significativement lors des études secondaires (collège et lycée) passant à 84%, pour se stabiliser ensuite à 87% pour les études universitaires. A notre décharge, le Maroc arrive de loin, très loin, en matière d'égalité des genres (ces chiffres ne dépassaient pas les 20% au début des années 1970). Pourtant, on observe que le pourcentage féminin d'occupation est très bas: depuis les années 1980, il ne semble pas dépasser les 30%, et on observe des niveaux similaires pour le pourcentage féminin de la population active occupée. La question que l'on se pose est donc : à quoi sert l'éducation primaire et secondaire des jeunes filles marocaines, si elles optent pour un retrait du marché du travail? Jusqu'au début du troisième millénaire, on pouvait raisonnablement supposer que l'emploi féminin ne nécessitait pas forcément une éducation formelle. Le graphe montre que la courbe du taux d'occupation permet potentiellement d'absorber toutes les diplômées du système scolaire et universitaire. Néanmoins, avec les objectifs du millénium et du développement, le Maroc a consenti un grand effort dans l'éducation primaire des jeunes filles (surtout dans le milieu rural) et on observe bien une augmentation substantielle du pourcentage total des femmes marocaines disposant d'une éducation quelconque. Pourtant, cela ne s'est pas forcément traduit par une augmentation de leur taux d'occupation. Il s'avère même que les chances d'insertion sur le marché du travail diminuent dès lors que le niveau d'instruction dépasse le niveau primaire: chaque année supplémentaire apporte moins de chances de s'insérer dans un milieu parfois hostile, en tout cas inscrivant l'inégalité des salaires comme règle de base. Un argument conservateur (tout aussi valable) serait que l'éducation primaire permet aux femmes ayant décider de rester au foyer de mieux suivre et compléter l'éducation de leurs enfants: elles seront d'autant plus disposées à assurer une meilleure attention à leurs progénitures puisqu'elles disposent au moins du niveau d'instruction initial qui correspond au curriculum de leurs enfants. Malheureusement, cet argument est contredit par deux faits: le premier, qui est d'ordre empirique, suggère que le niveau d'instruction maximal d'un individu est conditionné par le diplôme obtenu par leur mère; Une large population de femmes au foyer disposant seulement d'un certificat d'études primaire est donc un mauvais signal quant au niveau d'instruction espéré pour les générations futures (à moins d'anticiper une large population féminine, auquel cas le même schéma sera répété) le second fait réside dans le déclin tendanciel de la fertilité au Maroc. La population de nouveaux-nés est en déclin depuis la moitié des années 1990, et les projections du HCP pour 2050 confirment cette tendance. A propos, ces observations s'appliquent parfaitement au monde rural, dont les taux d'accroissement démographique enregistrent des déclins plus importants. On observera qu'un nombre supérieur de femmes au foyer ne signifie une augmentation automatique du taux de fécondité, mais enfin le contre-argument qui se base sur la contrainte du travail pour la femme est vidé de sa substance. Fécondité en déclin et retrait massif des femmes du marché du travail; la fécondité est irréversible pour les générations présentes. Cependant, on peut faire le pari qu'une arrivée plus importante de femmes mieux éduquées sur le marché du travail relèvera certainement le niveau de vie total à travers une production supérieure de biens et services. A travers cette insertion, les femmes pourront réaliser cette égalité des genres appelées par leurs voeux mais rarement réalisée.