L'institution de contrôle relève dans son rapport 2011 le manque d'objectivité et d'indépendance de l'agence de presse officielle. Malgré l'évidence, la direction de la MAP nie en bloc. La Cour des comptes a contrôlé la gestion de la MAP sur la période 2006 – 2010. Ses observations et recommandations sont inscrites dans son rapport 2011 publié hier. L'institution présidée par Driss Jettou ne s'est pas seulement intéressée aux bilans comptables de l'agence de presse officielle : elle a aussi examiné la manière dont la MAP remplit ses principales missions. La Cour relève dès le départ le problème de la ligne éditoriale de l'agence, dont la tendance à la désinformation et à la propagande sont de notoriété publique depuis sa nationalisation par Hassan II en 1974. Un problème qui trouve sa source dans les statuts originaux de la MAP, puisque l'agence est chargée en même temps de deux missions contradictoires : d'un côté elle doit « rechercher, tant au Maroc qu'à l'étranger, les éléments d'une information complète et objective ». Mais l'agence est également tenue de « diffuser pour le compte des pouvoirs publics toute information qu'ils jugeraient bon de rendre publique ». En clair, la MAP est condamnée statutairement à un mélange des genres qui rend impossible toute objectivité dans le traitement de l'information : l'agence doit relayer les communiqués officiels (notamment ceux de l'Intérieur) sans les commenter ni les mettre en perspective. La Cour des comptes explique : « A travers l'analyse de la ligne éditoriale de la MAP, il a été constaté une prépondérance des informations officielles relevant des institutions gouvernementales et des formations politiques. Cette situation influence la ligne éditoriale de l'Agence qui privilégie la collecte de l'information auprès des instances officielles au détriment des informations diversifiées. » Dans un autre passage du rapport, la Cour détaille le manque d'objectivité de l'agence dans sa couverture des événements (règle de la polyphonie, c'est à dire faire parler l'ensemble des acteurs) : « A titre d'illustration, ce principe n'a pas été observé lors de la couverture des événements se rapportant à la couverture de certains festivals et au processus de la révision constitutionnelle. » La MAP nie en bloc Les réponses du directeur général de la MAP, Khalid Idrissi Hachimi, retranscrites dans le rapport de la Cour des comptes, sont édifiantes. Dans le pur style « langue de bois » de l'agence, il affirme que « La MAP respecte l'équilibre dans ses dépêches et donne, de plus en plus, la parole à toutes les composantes de la société. Elle couvre toutes les manifestations politiques, économiques, sociales,culturelles et sportives, en toute objectivité, en respectant les principes de pluralité et de diversité. » Concernant le manque de pluralité et les exemples cités par la Cour des comptes (festivals et révision de la constitution), Khalid Hachimi Idrissi ose même affirmer que la MAP a ouvert son fil « à des partis politiques qui ont annoncé leur boycott du référendum ». Il s'en réjouit : « c'était une première nationale saluée par l'opinion publique et les observateurs. » Malgré ses recherches, Lakome n'a pu retrouver aucune dépêche MAP relayant un quelconque appel au boycott du référendum de juillet 2011 (toute aide de nos lecteurs pour la trouver est la bienvenue). Il est certain en revanche que les journalistes de la MAP eux-mêmes ont manifesté devant le siège de l'agence à Rabat en mars 2011 pour réclamer l'indépendance éditoriale de l'agence. « Nous voulons une agence d'information et non pas une agence de propagande », scandaient alors les manifestants. Dans une lettre ouverte publiée par la presse, un des journalistes de la MAP expliquait leur colère : « Ceci est une lettre ouverte, non seulement à ceux qui dirigent la MAP, mais aussi à tous ceux qui s'attristent de voir un média public sombrer dans une folie de censure et d'anachronismes. Victime d'un cadre juridique taillé sur mesure, pendant les années de plomb, pour en faire un instrument de propagande, la MAP peine aujourd'hui à s'adapter à notre époque et se voit, de fait, unanimement décriée, y compris par ses propres employés. » La pression populaire née avec le mouvement du 20 février n'a pourtant pas réussi à faire changer la donne. Quelques jours à peine avant le référendum sur la constitution (le 27 juin 2011) le roi a nommé à la tête de l'agence Khalid Idrissi Hachimi, une des « plumes » les plus fidèles au régime. Les autorités de tutelle et la nouvelle direction ont alors entamé un grand chantier de modernisation de l'agence (ressources humaines, marketing, service commercial) mais se sont bien gardées de toucher à ses statuts de 1974. Résultat : la désinformation est encore d'actualité. Dans ses recommandations, la Cour des comptes demande donc à la MAP de « revoir le texte de création de l'Agence pour adapter ses missions aux innovations du paysage médiatique et audiovisuel et réviser la composition du CA afin de l'adapter aux évolutions du paysage des médias et aux défis du moment ». Le directeur de la MAP a simplement répondu à la Cour : « Observation prise en compte ». Le ministère de la Communication, lui, donne un peu plus de détails en affirmant qu'un projet de loi pour modifier le statut de la MAP a été intégré dans le plan législatif 2012-2016 du gouvernement. La Cour mentionne les fameuses « notes d'informations » Parmi les autres points relevés par la Cour des comptes : le manque de productivité de certains correspondants de la MAP, malgré un budget annuel d'environ 200 millions de DH en 2010, dont l'essentiel est consacré au fonctionnement. La Cour note ainsi la faiblesse du nombre de dépêches transmises par certains bureaux régionaux et internationaux, voire « l'absence de production journalistique durant quelques mois » comme à Barcelone ou à Smara. La Cour des comptes tient cependant à préciser qu'elle n'a pas pris en compte dans ses calculs « les notes d'information ». En quoi consistent exactement ces notes ? Les autorités de tutelle ne l'ont jamais expliqué officiellement. La Cour des comptes non plus ne donne aucun détail. Il s'agit en fait de rapports et comptes-rendus réalisés par les journalistes de l'agence mais qui ne sont pas destinés au public. « En principe, toutes les notes d'informations atterrissent chez le directeur général qui, selon son appréciation et le sujet, les transmet à son tour à qui de droit", explique une source interne. Ces infos en "off" sont destinées à un lectorat trié sur le volet, heureux de bénéficier d'un bulletin météo leur donnant la température sur les sujets chauds. Parmi ces happy few, on retrouve le staff de la DGED, du ministère de l'Intérieur et des Affaires étrangères. Voire le cabinet royal, pour les affaires les plus sensibles. Que des officiels, en résumé. », expliquait Telquel dans un dossier spécial. Les liens entre la MAP et les services de sécurité sont un secret de polichinelle. On se rappelle notamment l'expulsion fin 2011 du chef de l'agence en Mauritanie. Quelques années auparavant, en 2008, c'est la justice espagnole qui avait prouvé ces liens. Suite à un article d'Ali Lmrabet intitulé « Une armée de mouchards » et publié dans le quotidien El Mundo, la MAP avait en effet attaqué le journaliste marocain en justice pour diffamation. Condamné en première instance, Ali Lmrabet avait finalement gagné en appel. La justice espagnole estimait que la relation entre la MAP et la DGED « est suffisamment prouvée »...