Impasse des négociations, rôle des Nations-Unies, propagande médiatique, Minurso et droits de l'homme : Lakome vous livre les détails du compte-rendu présenté par Christopher Ross devant le Conseil de sécurité de l'ONU fin novembre. Sa venue dans la région, du 25 octobre au 11 novembre, était attendue avec anxiété par la diplomatie marocaine. Déclaré «persona non grata» dans le Royaume en mai 2012 (pour des motifs qui restent encore à préciser), Christopher Ross a finalement été confirmé à son poste de médiateur en chef de l'ONU sur la question du Sahara en septembre dernier. Comment les autorités marocaines l'ont-elle accueilli après ce camouflet diplomatique ? Quelles incidences sur la suite des négociations ? Le compte-rendu présenté par Christopher Ross au Conseil de sécurité de l'ONU, réuni à huit-clos le 28 novembre dernier, répond en grande partie à ces questions. Dans ce document publié en exclusivité par Lakome, l'envoyé personnel de Ban Ki Moon rend compte de ses échanges, de ses impressions, de ses recommandations aussi pour tenter de relancer un processus de négociations au point mort depuis plusieurs années. Après s'être félicité de l'accueil reçu à chaque étape de son voyage, Christopher Ross résume l'impasse actuelle : chaque partie se dit prête à négocier sous l'égide de la médiation onusienne, mais seulement sur la base de sa propre proposition. Au Maroc, Mohammed VI a ainsi réitéré «la volonté du royaume» de continuer à travailler avec Christopher Ross «dans le cadre de la proposition d'autonomie sous souveraineté marocaine» alors qu'à Tindouf, Mohamed Abdelaziz a lui réaffirmé la disposition du Polisario a «intensifier son engagement» pour parvenir à une solution «qui inclurait un véritable référendum d'auto-détermination». Quant à l'Algérie, principal soutien du Polisario, sa position est pour le moins ambiguë : Bouteflika répète à Ross que son pays «n'est pas et ne sera jamais une des parties du conflit», mais il affirme en même temps que «tout accord qui n'inclue pas un véritable référendum d'auto-détermination n'est pas un accord du tout»... Christopher Ross a expliqué aux membres du Conseil de sécurité de l'ONU que l'échec des négociations est aussi attribué par chaque partie «au manque d'action décisive de la part de la communauté internationale, du Conseil de sécurité, du Secrétaire Général de l'ONU et de son Envoyé personnel [...] Les parties n'acceptent pas le fait que la responsabilité principale quant à la progression des négociations incombe aux parties elles-mêmes, bien que d'autres puissent apporter leur encouragement et des idées [,,,] En l'absence d'un consensus international, nul ne peut imposer quoique ce soit aux parties», explique-t-il. Après quatre rounds de négociations officielles et neuf rounds de discussions informelles, Ross propose donc une nouvelle approche. «Organiser un nouveau round n'aurait fait que mettre en évidence l'impasse actuelle, décrédibilisant davantage le processus». Le diplomate va ainsi engager des discussions approfondies avec les acteurs-clé au niveau international, avant d'entamer une période de «discrète diplomatie de la navette» avec les parties et les pays voisins. Concernant les événements au Sahel, le diplomate américain estime que si les parties sont bien conscientes du danger que représente la situation pour la région, «personne ne semble prêt à faire le premier pas». Christopher Ross a confirmé par ailleurs aux membres du Conseil de sécurité que «des individus de toute la région» ont rejoint un ou l'autre des groupes actuellement présents au nord du Mali. «Au Maroc, les médias continuent à parler d'un lien entre le Polisario et ces groupes, mais les officiels à Rabat et à Nouakchott ont été clairs en affirmant qu'aucun lien de ce type n'existe». Durant sa tournée, Christopher Ross s'est rendu pour la première fois à Laâyoune. «J'ai eu des entretiens avec un large éventail de sahraouis pro-indépendance et pro-autonomie, ainsi qu'avec les autorités locales», explique-t-il. «Tous se sont exprimés avec une évidente sincérité mais, et ce n'est pas une surprise, je n'ai pu déterminer de quel côté penche l'avis général [de la population sahraouie, ndlr]. Tout ce que je peux affirmer, c'est que chaque camp dispose de porte-paroles qui savent exprimer clairement leurs positions». Ainsi, les militants pro-autonomie ont mis l'accent sur «le développement de Laâyoune et des autres villes sous administration marocaine, ainsi que les nombreux autres bénéfices qu'ils voient dans cette administration », alors que les militants pro-indépendance ont souligné, explique Ross, «les relations tendues entre la population sahraouie autochtone et les résidents marocains, les violations des droits de l'homme qu'ils voient dans la répression policière et les conditions d'arrestation, de détention, de jugement et d'incarcération, l'exploitation illégale des ressources et l'absence d'emplois». «Des manifestations pro-indépendance – et les réponses policières qui ont suivi - ont effectivement eu lieu pendant et après ma visite. A ce propos, j'ai été frappé par le fait que quasiment aucun membre des forces de sécurité à Laâyoune, et probablement dans le reste du Sahara occidental, n'est sahraoui originaire du territoire ; j'ai profité de mes rencontres avec les officiels marocains, durant une seconde visite à Rabat, pour plaider un inversement de tendance et une meilleure formation à l'encadrement des manifestations». Lors de son passage à Tindouf, Christopher Ross a rencontré des membres des organisations féminine, estudiantine et de la jeunesse du Polisario. "Certains participants prétendent qu'après 25 ans d'efforts onusiens infructueux, il est temps de retourner à la lutte armée. D'autres estiment que l'ONU, ayant échoué à trouver un réglement au conflit, devrait simplement jeter l'éponge et se retirer. En parallèle, à Nouachkott, j'ai rencontré quelques opposants au Polisario qui ont quitté l'organisation et qui étaient impatients de m'exposer leurs doléances". Comme à chaque visite de responsables étrangers, la propagande à joué à fond dans les deux camps avant, pendant et après la tournée de Christopher Ross. Ce dernier s'en est d'ailleurs plaint aux membres du conseil de sécurité : "J'ai été consterné de voir à quel point les parties ont utilisé ma visite pour essayer de marquer des points. Mes déclarations publiques ont trop souvent été raccourcies ou rallongées pour servir l'agenda de l'une ou l'autre des parties". "A Rabat, explique-t-il, la télévision marocaine a coupé ma citation du texte du Conseil de sécurité de l'ONU appelant 'à une solution politique qui permettra l'auto-détermination du peuple du Sahara occidental'". Pas question de parler aux téléspectateurs marocains "d'auto-détermination" ni de "peuple du Sahara occidental"... De son côté, le Polisario a tenté un petit coup de com' avec Ross. "A Tifariti, où j'ai visité un site de la Minurso à l'est du mur de sable, le chef militaire du Polisario est arrivé à l'improviste et a cherché à me faire passer en revue une garde d'honneur. Dans les camps de réfugiés, mes déclarations à un groupe de femme ont été éditées pour y ajouter une éloge du rôle des femmes 'dans la lutte pour la libération du Sahara occidental'. Je n'ai pas fait une telle déclaration". Christopher Ross a tenu à saluer "le haut degré de professionnalisme et d'engagement" de la Minurso. A l'instar de Ban Ki Moon dans son dernier rapport au Conseil de sécurité (en avril 2012, qui dénonçait par ailleurs les entraves posées à la mission à Laâyoune), Ross demande aux membres du Conseil de sécurité une augmentation des ressources affectées à la Minurso ainsi qu'à l'UNMAS, le service d'action anti-mines de l'ONU. L'UNMAS est chargé de superviser le déminage d'une région considérée comme une des plus infestées au monde par les mines, alors que près de 10 000 nomades sahraouis vivent des deux côtés du mur de sable selon l'agence onusienne. Christopher Ross tient également à rappeler aux membres du Conseil de sécurité que c'est le patron de la Minurso, l'allemand Wolfgang Weisbrod-Weber, qui est le Représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU pour le Sahara occidental. "A ce titre, il est attendu qu'il fournisse au Secrétaire général et au Conseil des informations indépendantes sur l'environnement de travail de la Minurso au Sahara occidental. Ce territoire reste un territoire non-autonome et l'ONU, conformément à l'article 73 de la Charte, doit montrer un intérêt au bien-être de sa population, tout en reconnaissant le fait que le Maroc est la puissance administrante de facto à l'ouest du mur de sable et que le Polisario joue un rôle similaire à l'est du mur". La crise économique actuelle a pour conséquence "une baisse significative" des contributions à la fois publiques et privées à l'aide aux réfugiés de Tindouf, selon Christopher Ross. Sur la question du recensement individuel des réfugiés, "une nouvelle fois soulevée par Rabat", les officiels algériens et du Polisario ont assuré le responsable onusien "que le HCR est satisfait des estimations fournies et que ceux qui demandent un recensement individuel sont motivés par des considérations politiques". Présent à une réunion de donateurs à Alger, Ross indique, non sans ironie, qu'il "n'a constaté aucune impatience à examiner la question"... Très attendu sur cette question, d'un côté comme de l'autre, Ross en a fait le dernier point de son exposé sur le Sahara. "Chacune des parties a profité de ma venue pour enregistrer des plaintes concernant l'autre partie. Il y a eu beaucoup de visites liées aux droits de l'homme l'année passée, dont les visites de deux rapporteurs spéciaux - qui ont visité le Sahara occidental mais pas les camps de réfugiés - et d'au moins une ONG. Par ailleurs, la branche à Laâyoune du CNDH m'a dit avoir reçu un grand nombre de plaintes et mené plusieurs enquêtes, mais attend encore les réponses des autorités administrantes. Les droits de l'homme ne font pas partie de mon mandat mais mon opinion, quand on me l'a demandée, a été de déclarer que c'est à ce Conseil et au Haut Commissaire aux droits de l'homme de décider si l'information qui est développée nécessite leur attention et, si c'est le cas, ce qui est le mieux à faire, en gardant à l'esprit que toute approche sur cette question doit adresser la situation des droits de l'homme non seulement au Sahara occidental mais aussi dans les camps de réfugiés".