Alors que l'on s'interroge y compris au sein du PJD, sur la pertinence, voire les “dessous” du sondage d'un institut américain sur les intentions de vote aux élections de 2007 au Maroc, cette échéance sera-t-elle enfin l'occasion d'un réel débat sur l'avenir du choix d'une évolution démocratique du pays ? De ce point de vue, la question du mode de scrutin constitue un élément essentiel. Le PJD serait-il déjà entré en campagne électorale ? Une agitation fébrile semble depuis plusieurs semaines accréditer cela. Multiplication des déclarations et des réunions, organisation de la « caravane de la lampe » à travers plusieurs régions, campagne de charme à l'étranger auprès des élites politiques occidentales. Un « sondage » effectué par l'institut républicain international proche du parti américain au pouvoir accrédite le PJD d'un score équivalent à 47 % des intentions de vote (contre 17 % à l'USFP et 12 % à l'Istiqlal alors que les « indécis » représenteraient 78 %). Par une étrange fascination, les journaux multiplient les interviews et les couvertures sur ce parti et sur le présupposé « raz-de-marée » islamiste aux prochaines élections de 2007. A tel point, que certains dirigeants du parti islamiste « modéré » en sont venus à exprimer une sorte d'appréhension quant à cette focalisation sur leur victoire donnée comme certaine. Ils s'interrogent sur le caractère sans doute prématuré de ces pronostics et sur la possibilité de retombées négatives exposant le parti à des réalités plus décevantes et surtout à une mobilisation de ses adversaires pour le contenir. Dans une interview à « Attajdid », Abdallah Baha le numéro 2 du parti met en doute le sondage américain et se fait modeste quant aux « capacités » de sa formation. Tout en se prévalant néanmoins de la possibilité qu'ils pourront emporter la mise, au moins à 30 %, les dirigeants du PJD ne peuvent échapper tout à fait à de telles appréhensions. Au-delà des questions liées au mode de scrutin et au découpage électoral qui seraient retenus au terme des consultations actuelles, la perspective d'une victoire ouvrant la voie à une éventuelle participation au gouvernement n'est pas si euphorique ni aussi rassurante. Les contraintes auxquelles seraient alors confrontés le PJD et ses alliés plus ou moins conjoncturels risquent de mettre à nu les carences en matière de programmes et de gouvernance, notamment en matière économique et sociale. Les attentes qui portent actuellement l'opposition islamiste risquent d'être rapidement déçues, compte tenu du fait que le PJD sera vite confronté aux limites des réponses concrètes qu'il pourrait apporter sur ce plan. Le risque est grand alors de le voir chercher à compenser cette carence par les surenchères d'ordre moralisateur au nom de « la référence » à la religion. Ce qui débouchera, sans doute, sur une escalade des surenchères de ce type auxquelles se livreraient les différents mouvements islamistes et notamment Al Adl Wal Ihsane qui essaiera de récupérer les déçus du PJD, voire les groupes qui seraient davantage tentés par l'extrémisme. Le PJD en pré-campagne Les pronostics actuels expriment, à l'évidence, bien plus la dépolitisation d'une grande partie de la société face à l'ampleur des besoins et des frustrations sociales et au désarroi moral et culturel des individus dans le contexte d'une urbanisation et d'une modernisation encore problématiques.Il s'agit d'attentes massives auxquelles il n'y a pas de réponse totale et immédiate, d'où la tentation de leur fournir un exutoire à base de conservatisme moralisateur et d'idéologisation forcenée sur le plan religieux. On sait que le PJD se veut rassurant en invoquant comme le fait son secrétaire général, Saadeddine Othmani l'expérience de son homologue en Turquie et en multipliant les déclarations sur le légalisme du parti excluant toute imposition d'une « charia » traditionniste hors des cadres institutionnels. Il n'en reste pas moins que son incapacité à rompre avec l'idéologie intégriste que propage encore son association-mère, le Mouvement de l'Unité et de la réforme (MUR), laisse planer le doute sur son évolution vers une identité démocratique sans ambiguïté. La contradiction entre la volonté de rassurer du PJD et le fonds de commerce idéologique du MUR reste assez préoccupante. Tout se passe comme si l'adhésion d'ordre idéologique demeure le vivier principal de recrutement et de mobilisation des adeptes. En cas d'échecs ou de difficultés politiques il y a là toujours un champ de repli ou de compensation. Ceci est loin de garantir le renforcement d'une culture démocratique basée sur une perception plus rationnelle et réaliste des réalités politiques et sociales et sur une acceptation véritable du pluralisme en matière politique et culturelle, y compris le pluralisme de l'interprétation du corpus religieux où aucun courant ne doit se prévaloir de détenir la vérité. On voit quelle est la nature de l'enjeu des élections prochaines qui est tout d'abord celui de la démocratie en tant que valeur et pas seulement en tant que procédure technique d'accès au pouvoir. Le débat sur cette question doit pouvoir être porté plus amplement et plus nettement sur la place publique, notamment auprès des couches sociales les plus défavorisées. Ceci au cas où on ne veut pas risquer de mettre en péril les progrès, même relatifs, acquis ces dernières années et plonger le pays dans une régression dangereuse. Sans doute la dépolitisation et la perte de confiance, signe d'une certaine désespérance et d'un réel désarroi, sont le résultat des échecs cumulés depuis des décennies et des difficultés rencontrées encore dans la phase actuelle malgré l'ampleur des efforts entrepris. Elles sont aussi liées à la crise larvée des mouvements nationaliste et de gauche en mal de redéfinition et de mobilisation des nouvelles générations avec des objectifs et des formes d'action actualisés. Faut-il s'étonner de voir certains ex-militants radicaux (tel un Abdessamad Belkbir) se lamenter sur la perte des « idéaux » de l'arabisme ou de la gauche populiste et être tentés de rejoindre le PJD car les islamistes incarneraient désormais ces idéaux abandonnés ? Tout en faisant la part d'une triste nostalgie et de calculs plus opportunistes escomptant sur le vent qui tourne, il y a là aussi l'expression du fait que le PJD incarne pour beaucoup davantage la revanche conservatrice qu'une volonté de renouveau. Dépolitisation et désarroi Dans un contexte voué aux supputations les plus hasardeuses, les forces et les courants se réclamant des valeurs démocratiques sont plus que jamais interpellées. La mobilisation en vue des élections doit prendre en compte l'état de désaffection et de suspicion envers la chose politique. Ce qui implique d'une part que le choix des candidatures doit rehausser la crédibilité politique et morale des listes à accréditer et d'autre part que le discours à porter se fasse plus vrai et plus réaliste et sache faire comprendre les enjeux véritables de cette phase. Sans un tel débat, on risque d'enfoncer le pays dans une dépolitisation aggravée au seul profit des courants les plus rétrogrades. De ce fait, la question du mode de scrutin, actuellement objet de consultations, n'est pas seulement d'ordre technique. Elle a des implications politiques évidentes. Le retour au scrutin uninominal à un tour prôné par les partis qui furent étroitement liés au vieux système (MP, RNI) serait un pis-aller régressif, encourageant les notables locaux et l'achat des voix. Le scrutin de liste doit pouvoir être maintenu et amélioré. L'USFP serait pour des circonscriptions élargies et l'adoption de la règle de plus grande moyenne au lieu de plus grand reste pour l'attribution des sièges. Le PPS opterait pour des listes régionales et une liste nationale élargie comprenant femmes et hommes à égalité, ce qui serait contesté par les partisans du maintien de l'acquis de la liste féminine. L'Istiqlal serait partagé entre le scrutin de liste et l'uninominal à deux tours. Au-delà des considérations électoralistes de chaque parti, c'est la possibilité de favoriser ou de miner un débat clair sur l'orientation fondamentale du pays qui est ici en question. Entre pronostics douteux et faux calculs, ceci ne saurait être perdu de vue.