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TUNISIE : 50 ANS DE DEVELOPPEMENT
Publié dans La Gazette du Maroc le 20 - 03 - 2006

Le lundi 20 mars 2006, la Tunisie fête son cinquantenaire de l'indépendance. Un événement qui revêt des significations très profondes qui lient les acquis du passé et les enjeux et défis de l'avenir. Car, loin d'être un acquis définitif, l'indépendance demeure pour les Tunisiens un combat sans cesse renouvelé.
Le devoir de sauvegarde de l'indépendance est une responsabilité tout aussi importante que son acquisition. De même, l'honneur d'œuvrer à conforter l'indépendance et à consolider ses fondements équivaut à celui qui s'attache à la lutte menée pour l'acquérir». Cet extrait du discours prononcé par le président, Zine El Abidine Ben Ali, à l'occasion de la proclamation de l'indépendance, le 20 mars 2004, résume à lui seul les fondements essentiels de l'œuvre de modernisation et de développement engagée en Tunisie depuis un demi siècle. Tout comme il reflète une conscience profonde que l'indépendance représente un édifice en construction permanente, qui ne tolère ni répit ni relâchement, en vue de relever les défis du présent et de l'avenir.
Loin d'avoir été un long fleuve tranquille, la reconquête de l'indépendance totale dura en fait près d'une décennie. Tout commence le 31 juillet 1954 lorsque, à la surprise générale, le président français du Conseil à l'époque, Pierre Mendès France, se rend en Tunisie. Il y annonce que «l'autonomie interne de l'Etat tunisien est reconnue et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français qui entend l'affirmer dans son principe et lui permettre dans l'action la concrétisation du succès». Cependant, cette visite et ces propos de Mendès France, n'ont pas empêché le retard de la marche vers l'indépendance. Dans ce contexte, les conventions franco-tunisiennes sur l'autonomie interne, signées le 29 mai 1955 n'ont pas fait réellement avancé les choses. Bien au contraire, elles ont ravivé les divergences entre les deux pôles des «Destouriens»- en référence au parti Néo-Destour- Habib Bourguiba et Saleh Ben Youssef. Au-delà de l'enjeu des négociations avec la France, le bras de fer entre ces deux leaders, oppose deux ambitions inconciliables. Les tiraillements entre ces deux hommes forts, symboles de la reconquête de l'indépendance de la Tunisie éclatent au grand jour après leurs retours respectifs au bercail l'été de la même année. La rupture est consommée le 7 octobre 1955, lorsque Ben Youssef s'en prend violemment à son adversaire et réclame l'accession immédiate du pays à l'indépendance. Ce qui n'était pas de l'avis de Bourguiba et d'un grand nombre des dirigeants du parti qui avaient une autre tactique pour atteindre cet objectif. Cet affrontement fratricide qui a fortement tourmenté la base, d'autant qu'il s'est répercuté négativement sur la lutte pour l'indépendance, a fini par exclure Ben Youssef du Néo-Destour.
Au début de février 1956, la Tunisie était au bord d'une guerre civile. De son côté, Bourguiba part en France pour tenter de convaincre ses responsables d'ouvrir des négociations débouchant sur l'accession du pays à la pleine souveraineté. Tandis que Ben Youssef mène les surenchères en déclarant en mars 1956 qu'«avant toute discussion, la France doit proclamer l'abrogation du Traité du Bardo de 1881 (marquant la fin du protectorat), et l'occupation doit cesser avant d'examiner les futurs rapports franco-tunisiens». Après son refus de remettre en cause les accords conclu huit mois plus tôt, Paris finit par céder. Le 20 mars 1956, les deux pays signent un protocole d'accord selon lequel la France «reconnaît l'indépendance de la Tunisie qui doit s'accompagner de l'interdépendance». Ce que la majorité des Tunisiens a rejeté, le considérant comme étant une manière d'endiguer la reconquête totale de l'indépendance. La confrontation politique, accompagnée par une pression populaire tunisienne pendant trois mois ont poussé la France à conclure un accord à ce sujet en juin 1956, faisant tomber à l'eau la théorie de l'«indépendance dans l'interdépendance».
Sur le combattant suprême
Tous les Tunisiens ou presque se rappelleront de Habib Bourguiba (mort le 6 avril 2000 à l'âge de 96 ans) comme le Libérateur de la patrie. Et qu'il a présidé au destin de trois générations. L'histoire se souviendra d'un humaniste, disciple de Bergson et d'Auguste Comte, nourri par les valeurs de la IIIème République mais aussi d'un grand homme d'Etat laïc. En dépit de ce constat positif, nombreux sont les Tunisiens qui reprochent à Bourguiba son côté «narcissique» qui a mené son règne à une fin triste en raison de son accrochement au pouvoir. En effet, le «Combattant suprême», qui a dominé pendant environ 40 ans la scène en écartant de son chemin tous ceux qui pourraient gêner son pouvoir politique, n'a pas su renoncer au pouvoir au moment opportun ; encore moins préparer sa succession. Ce qui a créé autour de lui un cercle d'opportunistes qui ne rêvaient qu'à une succession qu'il n'avait jamais préparée. Ainsi, à la veille du Changement du 7 novembre 1987, mené par le président Zine El Abidine Ben Ali, la Tunisie était au bord du gouffre sur tous les plans. Les Tunisiens voyaient l'arrivée d'une guerre civile inéluctable, alors que la situation socio-économique était catastrophique. Les études menées par les institutions financières internationales de 1986, jusqu'à juin 1987, montrent que le pays ne tardera pas à devenir insolvable si la guerre du sérail persistera ; ce, au moment où le président Bourguiba n'arrivait plus à gouverner.
En dépit de ce point noir, le parcours du libérateur était riche, marqué par une grandeur exemplaire. Entré en politique à l'âge de 30 ans, il se distingua par sa volonté de rompre avec la classe politique ordinaire qui jouait le jeu du colonisateur. Un de ses ministres des Affaires étrangères, le diplomate feu Hadi Mabrouk nous disait que Bourguiba «préférait le verbe qu'il dominait parfaitement aux armes» ; et d'ajouter : «qu'à la révolution, il préférait la politique des étapes». Ce qui d'ailleurs était un point de conflit avec des chefs d'Etats arabes tels que le libyen Moammar Kadhafi ou l'algérien, Haouari Boumédiène. Son penchant pour le verbe et pour la politique par étapes avaient récompensé si souvent ses efforts. Et, c'est grâce à cette approche qu'il a fini par faire céder les Français avec qui le bras de fer n'était pas pour lui aussi facile. Bourguiba était en plus un stratège en matière de mobilisation de masses qu'il considérait, tout comme les discours, comme une arme décisive pour déstabiliser aussi bien les colonisateurs de son pays que ses adversaires politiques.
Ceux qui le considéraient comme étant un «visionnaire politique» de son époque, reconnaissent, d'autre part, ses défaillances sur le plan du développement économique. Le taux de croissance de l'économie tunisienne pendant presque la totalité de son règne était non seulement faible mais parfois alarmant. Les politiques socio-économiques adoptées par ses ministres dans les années 60, 70 et la première moitié des années 80, ont provoqué des insurrections politiques dans toutes les régions du pays. Si les Tunisiens se rappellent les grands moments du Libérateur, ils se souviennent avec grande amertume de la «révolution du pain».
L'histoire contemporaine, notamment celle du monde arabe, ne peut que reconnaître que Habib Bourguiba était non seulement le Libérateur de la Tunisie, mais aussi le Libérateur de la femme tunisienne. Il est devenu avec la mise en place des statuts qui la concerne, le «père de l'émancipation de la femme». Son intelligence politique lui avait permis de comprendre que la modernité d'un Etat se mesure à la place faite à la femme. Ce qui fait que la Tunisie était plus moderne à cet égard, que certains pays d'Europe à la même époque. Un chemin consolidée par l'actuel président Zine El Abidine Ben Ali qui ne cesse depuis le Changement du 7 novembre 1987 de placer la femme tunisienne au cœur du processus de développement socio-économique et même politique. Dans ce cadre, force est de rappeler que l'actuel chef de l'Etat soutient également cette cause à travers la création d'un fonds de garantie permettant le règlement des pensions impayées et l'instauration de la garde partagée des enfants.
En bref, il faut reconnaître que le passage de Bourguiba, le combattant suprême, le libérateur de la Tunisie, le moderniste, marquera sans doute l'histoire contemporaine.


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