Mohamed Daki avait opposé le ministère de la Justice au ministère de l'Intérieur et divisé tous les partis politiques en Italie sur son acquittement par la justice italienne. Son expulsion avait enragé Silvio Berlusconi et mis la scène politique italienne dans de beaux draps. Retour sur un cas d'école. On s'en souvient, il y a un an, le cas Mohamed Daki avait très vite pris des proportions d'affaire d'Etat. Blanchi par la juge Clementina Forleo, du tribunal de Milan, le Marocain se voit expulsable suite à un arrêté décrété par le ministre de l'Intérieur, Giuseppe Pisanu en personne. Coupable ou pas, le Marocain a purgé sa peine de 22 mois. Mais les politiques semblent voir la question sous un angle du moins inédit. Pour comprendre cet imbroglio, il faut remonter à une déclaration de la juge Forleo. C'est cette phrase qui a mis le feu aux poudres. Parlant de Daki et de deux autres accusés, elle avait déclaré que les trois hommes planifiaient “des activités de guérilla” en Irak et non “des activités visant à semer la terreur”. Mohamed Daki, un Marocain vivant en Italie, et ses deux autres compères, se voient blanchis de l'accusation de terrorisme. Dans la foulée, le procureur milanais chargé des questions antiterroristes avait indiqué que le parquet ferait appel. Il estimait que les éléments fournis par l'accusation, notamment des écoutes téléphoniques dans lesquelles les accusés parlaient “de recruter en Italie des combattants capables de croiser le fer, étaient sans ambiguïté et concernaient la planification d'attentats en Irak.” Deux visions paradoxales qui vont diviser l'Italie et mettre le gouvernement Berlusconi devant un cas historique sans précédent. Les choses se compliquent Il a fallu que le ministre des Affaires étrangères italien, Gianfranco Fini, participe au concert des voix montantes autour du cas Daki. Il avait fait part de son “indignation devant le travestissement d'une réalité qui s'étale aux yeux de tout le monde” tout comme de nombreux dirigeants de la droite. Prévisible ? Certes, mais ce n'était là que le début d'une longue série de règlements de comptes politiques avec, au centre des débats, le Marocain blanchi par la justice. Pourtant, l'affaire est très simple : la juge Clementina avait condamné deux Tunisiens Ali Ben Sassi Toumi et Bouyahia Maher à trois ans de prison pour soutien à l'immigration clandestine et vente de faux documents d'identité. Le Marocain, Mohamed Daki, avait écopé d'une peine de 22 mois de réclusion pour les mêmes charges. Le magistrat avait rejeté l'accusation de soutien au terrorisme international. Il a aussi demandé le transfert du procès de deux autres prévenus, un Marocain, Nourredine Drissi, et un Tunisien, Kamel Hamraoui, devant le tribunal de Brescia car les deux hommes sont soupçonnés de faire partie d'une cellule terroriste basée dans la ville de Cremone. Il faut rappeler que l'arrestation des cinq hommes s'était déroulée en 2003. Ils étaient alors tous accusés de liens avec le terrorisme international. Le parquet de Milan avait requis des peines de 6 à 10 ans de prison. C'est ce rejet qui posait un grave problème au gouvernement italien. La distinction faite par le juge entre guérilla et terrorisme avait choqué l'ensemble de la scène politique italienne. Toujours est-il que les avocats des prévenus, Me Gabriele Leccisi et Sara Fardella avaient souligné que “la décision prise aujourd'hui honore l'Italie et démontre que nous vivons dans un pays libre où les sentences sont fondées sur des preuves et non sur des soupçons et des théorèmes”. C'est là que le ministre italien de l'Intérieur, Giuseppe Pisanu, a annoncé qu'il avait signé un arrêté d'expulsion à l'encontre du Marocain Mohamed Daki “pour grave trouble à l'ordre public et danger pour la sûreté de l'Etat”. Plusieurs questions surgissent alors. Pourquoi cet arrêté uniquement à l'égard du Marocain ? Comment est-il possible d'expulser quelqu'un alors que l'action de la justice dans un dossier du terrorisme n'est pas achevée à cent pour cent ? Il faut aussi savoir qu'au sein du gouvernement de Silvio Berlusconi, le ministre de la Justice avait promis une enquête administrative pour comprendre ce litige qui divise la classe politique italienne entre gauche et droite. Alors que la juge Forleo, menacée par le Garde des sceaux, Roberto Castelli, d'une sanction disciplinaire, a remis les pendules à l'heure, en chargeant une avocate de porter plainte contre ceux qui l'ont attaquée, “y compris les plus hautes charges de l'Etat”. Et Daki dans tout cela ? Pour le ministre Pisanu, Mohamed Daki est un terroriste. “Oui”, et s'il y avait lieu, cet arrêté d'expulsion serait signé “cent fois”. assène le ministre italien pour qui il ne fait aucun doute que “Daki appartient à une organisation fondamentaliste liée au groupe d'Al-Zarkaoui”. Pour la juge Forleo, c'est “un activiste de rébellion”. Pour mettre fin aux surenchères, la justice avait tranché contre la volonté de toutes les voix qui condamnaient la position de la juge Forleo. Le parquet, de son côté, est aussi hostile à l'expulsion de Daki car il veut faire appel de la sentence de première instance. Pour le procureur-adjoint, Armando Spataro “la loi interdit l'expulsion de quelqu'un qui est poursuivi pour des faits de terrorisme”. Mohamed Daki, quant à lui, avait surpris tout le monde parce qu'à son retour chez lui, à Reggio Emilia où il était sous contrôle judiciaire, il avait confié aux journalistes qu'il comptait demander l'asile politique... en Norvège ou en Suède. Mais il n'en est rien puisque le Marocain a finalement été extradé au Maroc, malgré le fait qu'il ait été blanchi par la justice italienne. Au Maroc, il recouvre sa liberté et se voit du même coup innocenté de tous liens avec Al Qaïda, malgré tant de connaissances impliquées dans le dossier du terrorisme international. Ce qu'il explique et détaille dans l'interview accordée à Youssef Chmirou (page 20/21). Aujourd'hui, il est en position de force puisque la justice italienne lui donne le droit de poursuivre le gouvernement italien et demander des dommages et intérêts en plus de tous ses droits en tant qu'immigré qui a vécu en Italie. Tant que son innocence a été prouvée, la justice italienne reste sans arguments pour lui refuser tous ses droits garantis par la Constitution italienne elle-même. Reste que comme le cas Abddelghani M'Zoudi et autres Mounir Motassadeq, Daki peut traîner derrière la lenteur des procédures et voir le gouvernement Berlusconi lui sortir la thèse de l'expulsion de facto de toute personne soupçonnée de terrorisme. Un feuilleton qui vient à peine de débuter et dont le Marocain signe un générique de haut vol en traînant le chef du gouvernement italien devant sa propre justice. Cas d'école.