Echéances électorales “ Si les acteurs politiques s'ingénient à reporter les élections, ou même de les annuler, comme bon leur semble, il serait illusoire d'espérer réussir la transition vers un système démocratique (…) ” disait J.Leca, politologue, spécialiste du monde arabe. Cette remarque est d'autant plus vraie pour le cas du Maroc, dans la mesure où, historiquement, le respect de l'échéancier électoral a toujours constitué un enjeu politique de taille. Dans les systèmes démocratiques, les élections recèlent un enjeu politique fondamental, à savoir la mise en œuvre d'un processus démocratique, basé sur la participation politique, le multipartisme et l'Etat de droit. Ce, pour deux raisons : d'une part, parce qu'elles contribuent à la participation de la communauté dans la gestion politique des affaires publiques, par le choix des représentants politiques. Et d'autre part, parce que les élections permettent aux citoyens, via leurs représentants, de participer à l'élaboration des lois et des législations qui régissent le fonctionnement de la société. Au Maroc, il paraît que les élections, loin de constituer un mécanisme susceptible d'asseoir les choix démocratiques de la population, sont considérées comme un moyen de préserver les intérêts politiques. Ainsi, si on se place du côté de l'administration, les échéances électorales sont un outil efficace pour assurer le contrôle du champ politique. Alors que du côté des partis politiques, l'échéancier électoral est un moyen d'assurer plus de pouvoir politique. A cet égard, l'organisation et/ou le report des élections ne cessent de susciter un vif débat, surtout parmi les observateurs politiques. Pour approcher le sujet, il serait utile, dans un premier temps, de donner un aperçu historique sur le processus électoral au Maroc. Et dans un deuxième temps, décrypter les enjeux inhérents aux élections au sein du système politique. Un peu d'histoire À voir la chronologie historique des échéances électorales au Maroc, on s'aperçoit rapidement que le nombre record des consultations électorales effectuées n'atteste pas d'un bon fonctionnement démocratique. En effet, tous les spécialistes s'accordent pour souligner le manque de crédibilité des élections vu l'ingérence du Makhzen dans l'orientation des résultats. Certes, les constitutions marocaines, depuis celle de 1962, reconnaissent la pluralité comme principe fondateur du système électoral. La preuve, c'est qu'après l'indépendance, les Marocains ont élu cinq parlements (1963-1997), ont voté pour cinq constitutions et se sont prononcés sur nombre de référendums qui avaient pour objectif la révision de la constitution. Mais en réalité, il n'en est rien puisque les élites politiques, qui se sont succédé au pouvoir, n'étaient nullement issues d'un processus électoral transparent qui reflète le choix des citoyens. D'un point de vue historique, les élections avaient fait l'objet de deux analyses complètement différentes : d'une part, une approche juridique qui avait pour objectif la réforme des élections pour remédier aux fraudes électorales. Et d'autre part, une approche politique qui visait la réforme de la constitution de manière à ce qu'elle puisse intégrer les aspirations démocratiques des élites politiques. En résumé, trois étapes principales caractérisent les élections au Maroc : la première, entre 1967 et 1972, a été caractérisée par un vide patent suite à la déclaration de l'Etat d'exception par feu Hassan II, et le report de la date prévue pour le déroulement des élections. La deuxième, entre 1975 et 1990, a été marquée par le consensus relatif entre les forces politiques et le palais sur l'unité territoriale du Sahara. La troisième, entre 1990 et 1997, s'est distinguée par la révision constitutionnelle de 1996 et l'inauguration d'une nouvelle phase de consensus entre les partis politiques de l'ex-opposition et la monarchie. Jeux et enjeux L'institutionnalisation du processus électoral s'avère d'une importance capitale. En effet, la mise en place d'un système électoral s'impose comme une condition sine qua non des pratiques démocratiques. Ainsi, l'adoption d'échéanciers électoraux, assure le déroulement régulier des élections et, par là même, le renouvellement systématique du personnel politique, tant au niveau local que national. À titre d'exemple, dans tous les systèmes démocratiques, le législateur avait circonscrit l'exercice du pouvoir à un mandat législatif, limité dans le temps, afin de pallier le monopole du pouvoir qui conduit, inéluctablement, vers le totalitarisme. Au Maroc, la situation est des plus conflictuelles puisque la dynamique institutionnelle, reconnaissant l'adoption d'un système électoral constitutionnel, a toujours été hypothéquée par la dynamique politique, qui dénonce le caractère anti-démocratique des élections. En d'autres termes, les partis politiques se sont toujours plaints de l'interventionnisme anti-constitutionnel de l'administration dans les élections à telle enseigne que la manipulation des résultats électoraux est devenue une pratique courante et constante. Pis encore, les enjeux politiques finissent toujours par prendre l'ascendant sur les principes constitutionnels. Autrement dit, le système électoral se trouve, la plupart du temps, occulté par le jeu politique des acteurs. Ainsi, le non respect des échéances électorales est devenu l'objet de surenchères politiques qui vident le processus électoral de toute sa substance. Ce faisant, le report des élections est monnaie courante dans un système politique, comme le nôtre, qui se refuse à assimiler les principes constitutionnels dont le respect des échéances électorales constitue l'indicateur de base du bon fonctionnement démocratique. Désormais, l'organisation des échéanes électorales est soumise à la volonté des acteurs politiques et non pas aux principes constitutionnels. Certes, il est toujours possible, voire parfois souhaitable, de reporter les échéances électorales au cas où le système politique traverserait des circonstances exceptionnelles (guerre, soulèvement populaire…). Mais, pas jusqu'à en faire un moyen de restructurer le champ politique ou d'imposer des orientations politiques particulières. Car, c'est par le respect du système électoral qu'on arrive à consolider les pratiques démocratiques et à asseoir la légitimité du système politique. Actuellement, le débat politique sur la probabilité de reporter les élections bat son plein parmi les acteurs et les observateurs politiques. Certains partis au gouvernement, notamment l'USFP, s'impatientent pour participer à des élections qui assureront, en cas de victoire, au leader socialiste une légitimité politique outre que celle issue de l'alternance octroyée par le palais. Alors que d'autres prêchent pour le report des élections jusqu'à la réforme politique de la constitution. D'autres encore, redoutent d'être évincés par des élections avec un mode de scrutin par liste, taillé sur mesure au profit des partis traditionnels. Mais, à voir l'état actuel des choses, il serait peu probable que les élections soient reportées à une date ultérieure. En tous cas, le Roi est décidé à faire, des prochaines échéances électorales, sa véritable rentrée politique. D'ailleurs, il s'est exprimé en faveur du respect des échéances. D'un autre côté, le leader socialiste s'impatiente pour se défaire du poids de l'expérience de l'alternance. Aucun des acteurs politiques n'a besoin de nager à contre-courant. D'autant plus que le report des élections peut engendrer des soupçons sur la volonté politique du Maroc d'accélérer sa transition vers un système démocratique. Chronologie des élections (1960-2000) • En 1959 : adoption de la première loi électorale au Maroc • 29 mai 1960 : premières élections au Maroc (élections municipales et communales) • 18 novembre 1962 : présentation de la première constitution marocaine qui a été approuvée par une majorité de 85% de la population. • 17 mai 1963 : élection du premier parlement marocain (deux chambres), marquée par la victoire programmée du FDIC et la défaite cuisante des partis issus du mouvement national. • 12 juillet 1963 : organisation des élections municipales et rurales • Juin 1965 : déclaration de l'Etat d'exception par feu Hassan II • 5 octobre 1969 : fin de l'Etat d ‘exception • 8 juillet 1970 : nouveau projet constitutionnel et nouveau référendum • 12 novembre 1976 : organisation de nouvelles élections communales • 3 juin 1977 : élection d'un nouveau parlement au suffrage universel. • Mai 1980 : organisation d'un référendum constitutionnel • Mars 1981 : organisation d'élections communales partielles marquées par une forte participation de la population sahraouie. • 10 juin 1983 : organisation de nouvelles élections communales • 17 août 1984 : élection du tiers du parlement par le suffrage indirect • 14 septembre 1984 : élection des deux tiers du parlement. • 2 octobre 1984 : élection du tiers restant du parlement au suffrage indirect par les élus locaux, les représentants des chambres professionnelles et des salariés. • 1er décembre 1989 : organisation d'un référendum constitutionnel, approuvé à 99,99%, pour prolonger le mandat législatif du parlement et des communes afin de faciliter le déroulement du référendum au Sahara par l'O.N.U • 4 septembre 1992 : organisation d'un référendum sur une nouvelle constitution. • 16 octobre 1992 : organisation des élections communales • 25 juin 1993 : déroulement des élections législatives directes. • 17 septembre 1994 : organisation des élections législatives indirectes. • 13 juin 1997 : organisation des élections communales avec la participation de la majorité des partis politiques dont les résultats étaient au profit des partis de la Koutla. • 14 novembre 1997 : déroulement des élections législatives directes avec un taux d'abstention qui dépasse les 42% des électeurs inscrits. Ces élections se sont soldées par le retour en force des partis de l'ex-opposition (Koutla) pilotés par l'USFP • Novembre 1997 : déroulement des élections législatives indirectes, qui se sont soldées par le déclin des partis de la Koutla • 15 septembre 2000 : élection du tiers de la Chambre des conseillers.