Les 113.200 logements de cette année feront date dans le secteur de l'immobilier marocain. Cependant, le respect des normes de qualité et de sécurité ne semble pas être à l'ordre du jour de certains promoteurs qui préfèrent encore faire du nombre. On croyait le secteur assaini des mauvaises pratiques de construction, mais il n'en est rien pour bon nombre de promoteurs immobiliers. En effet, les nombreux avantages fiscaux accordés aux investisseurs ont attiré toutes sortes d'acteurs. Nombreux sont désormais ceux qui ont abandonné le tricot pour rejoindre le bâtiment. Le rang des promoteurs immobiliers compte désormais des avocats, des comptables ou des commerçants, des médecins ou pharmaciens et même des journalistes, dit-on, qui ne cherchent qu'à améliorer leur marge. Cette recherche du profit ne peut malheureusement se faire qu'au détriment de la qualité. Selon Azzedine Nekmouch, architecte à Casablanca, cette situation ne date pas d'aujourd'hui. En effet, dans les années 1960, de vrais professionnels ont pris en main les premiers chantiers immobiliers du Maroc, notamment en construisant le boulevard Zerktouni et celui de la Grande ceinture. Mais, tout de suite après, le secteur est allé entre des mains peu enclines aux bonnes pratiques de construction. En 1996, par un forcing, on a finalement réussi à inciter les promoteurs à la réalisation de projets de qualité avec le projet des 200.000 logements par an. Mais certains se sont engouffrés dans une brèche pour réaliser surtout des opérations spéculatives. Course aux économies La course aux économies pose le problème de la non-qualité. Les logements, de la villa au logement social, construits par les promoteurs publics ou privés, sont sujets à de nombreuses plaintes. Le choix des matériaux ne respecte pas les 300 normes établies pour le bâtiment. L'insonorisation, le manque d'étanchéité, la défaillance dans le second œuvre sont le lot quotidien de milliers de propriétaires. Certains promoteurs immobiliers veulent réaliser des économies dans chaque élément. Les marchés sont confiés aux moins-disants, dans le gros œuvre comme dans le second œuvre. Sur les cloisons par exemple, certains promoteurs immobiliers n'hésitent pas à utiliser des murs de 7 cm d'épaisseur seulement au lieu des 15 cm plus communément utilisés. Le but est, bien entendu, de gagner 8 cm par cloison, lequel gain est loin d'être anodin. C'est suite à un calcul expert qu'une telle décision de non-qualité est prise, le seul but étant la course effrénée vers des coûts de plus en plus bas et des gains de productivité de plus en plus importants. Car, un petit appartement construit dans le cadre des logements sociaux compte trois à quatre cloisons parallèles, aussi bien dans le sens de la longueur que dans celui de la largeur. Le promoteur gagne ainsi sur chaque appartement une petite superficie (environ 1000 cm2) qui ne signifierait rien pour l'acquéreur de l'appartement. Mais rapporté à un programme de 5000 logements, ce malin calcul s'avère payant, puisque les petits gains de superficie correspondent au final à dix bons appartements de 50 m2 chacun. De telles cloisons ne peuvent garantir une isolation phonique adéquate. Les malheureux acquéreurs s'entendent parler d'une chambre à l'autre ou d'une maison à l'autre. Insouciance S'agit-il d'amateurisme ? Le terme est peut-être trop faible pour une pratique aussi douteuse. Il ne faut pas croire que ce fait n'est que celui de certains promoteurs du logement social. Certes, l'impact est plus important vu les marges assez serrées auxquelles elles doivent faire face. Cependant, certains promoteurs véreux dans le très haut standing n'hésitent pas à sauter le pas de l'insouciance, au seul nom de l'optimisation. A l'orée du Parc à Casablanca, on est dans le très haut standing, avec des villas à quelques encablures de la côte. Les acquéreurs de ces petits bijoux de 2,4 millions de DH ne devraient pas avoir à se plaindre. Pourtant, après quelques mois, ils se rendent tous compte de la supercherie d'un promoteur, parachuté dans le métier de la promotion immobilière par les millions de son père. Les cloisons sont en effet faites à partir d'un matériau de bas étage. Les toits des villas s'affaissent lentement sous leur propre poids. Les plafonds, par absence d'étanchéité, s'imbibent d'eau. Bref, tout est réuni pour parler d'arnaque. D'ailleurs, les acquéreurs de ces villas ont décidé d'ester en justice. La recherche du gain, pour certains, se poursuit également quant au bois de coffrage qui permet de faire couler le béton. Selon Chafik Jalal, expert assermenté près les tribunaux et directeur général de Qualité-Contrôle Sarl, un tel bois ne doit être utilisé plus de trois ou quatre fois. Malheureusement, certains promoteurs n'hésitent pas à réaliser des gains sur cet élément indispensable pour la solidité de la structure. Car, un bois de coffrage, après plusieurs utilisations, favorise la porosité du béton et le manque de rigidité. Il en découle des fissures dès les premiers mois. Il pourrait être le problème de Youssef C., jeune cadre qui a acquis un appartement de belle facture à Bourgogne. Il y habite depuis près de deux ans. Actuellement, les murs dans tout l'immeuble sont lézardés. Cas litigieux Investir une somme d'argent supplémentaire pour rendre viable son appartement est quasiment devenu une règle. Tous les acquéreurs prévoient entre 10.000 et 50.000 DH, selon la valeur de l'appartement pour le rendre habitable. Il y a toujours, un carrelage à refaire, un évier à changer, une douche à réinstaller. Les acquéreurs des résidences de Sidi Maarouf à Casablanca auprès d'un groupe bien connu qui compte plus de 10.000 logements à son actif, eux ont eu à se fabriquer de nouveaux placards. Dans l'appartement témoin, il y avait, bien entendu, un confort à convaincre le plus sceptique. Des centaines de familles se sont vite décidées à acheter. A l'arrivée, les placards de l'appartement témoin ont disparu, avec dans chaque pièce des petits travaux à faire. Pour l'ensemble, il fallait investir entre 1500 et 2500 pour chaque appartement, affirme cet acquéreur qui croyait faire un cadeau à sa mère. Normal, diront certains, estimant qu'il s'agit du logement social. Pourtant, il y figure des lots d'appartements de 47 m2 vendus à 200.000 DH, soit 4255 DH le m2. C'est presque un peu plus que le prix du moyen standing. Tous les propriétaires ont dû signer devant le notaire une décharge pour le promoteur. Le groupe en question n'est sans doute pas le seul indexé. Il suffit de visiter quelques autres appartements dans le cadre des logements sociaux pour se rendre à l'évidence que le groupe se tient en tête de peloton par rapport à la concurrence. Chafik Jallal, de Quacot, lui, a sa propre explication des problèmes rencontrés. Il affirme qu'en achetant de moins en moins cher, les promoteurs sont obligés de recourir à des matériaux bon marché, mais aussi à des prestations peu onéreuses. La loi du moins-disant favorise la non-qualité sur le gros œuvre, mais également sur les lots secondaires et techniques. "C'est déplorable, s'exclame-t-il, parce que les acquéreurs ne sont pas avertis et sont les laissés-pour-compte d'un vide réglementaire". Il n'hésite d'ailleurs pas à condamner les communes qui sont passées maîtres dans l'attribution de dérogation. Ce sont aussi elles qui réceptionnent les travaux et qui constituent pour l'heure l'unique garantie des acquéreurs, malheureusement, elles ne font pas leur travail, conclut-il.