Visite de Donald Rumsfeld Qu'est-ce qui fait courir les hauts responsables militaires et sécuritaires américains au Maghreb ? La visite du chef du Pentagone, Donald Rumsfeld, a exprimé avec une insistance particulière les préoccupations américaines liées au terrorisme et à la stabilité dans la région. La visite prochaine du président russe Poutine à Alger suscite aussi des interrogations sur cette évolution accélérée… Le regain d'intérêt des USA pour la région du Maghreb et de ses confins sahariens n'est pas fortuit. L'enjeu stratégique qu'elle représente a été fortement majoré au cours des dernières années sur fond de lutte contre le terrorisme à l'échelle internationale. C'est ainsi que la stabilité de la région et sa contribution active aux dispositifs militaires déployés par l'OTAN sont devenues des sujets centraux de contacts politiques et de concertation militaro-sécuritaire. Le secrétaire d'Etat américain à la Défense, Donald Rumsfeld, a exprimé sa satisfaction au terme de sa tournée qui l'a mené en trois jours de Tunis à Ifrane en passant par Alger (où il n'est resté que 5 heures et demie). Il a tenu à souligner que les trois pays sont « des partenaires constructifs de la lutte contre le terrorisme avec lesquels nous entretenons diversement des relations militaires que nous apprécions et voulons renforcer ». Le thème majeur de cette visite avait, juste auparavant, fait l'objet d'une rencontre en Sicile de Rumsfeld avec les représentants des pays membres du « Programme Dialogue méditerranéen » de l'OTAN comprenant le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Mauritanie, l'Egypte, la Jordanie et Israël. Sahara vulnérable L'inquiétude porte tout d'abord sur les zones de vulnérabilité, notamment au Sahara. Des renseignements indiquent des mouvements de regroupement d'éléments salafistes et jihadistes sur le pourtour saharien. Des sanctuaires d'Al Qaïda seraient en train d'être constitués, notamment dans des zones non maîtrisées car « non administrées » par les Etats du Sahel par manque de moyens ou du fait des dissensions entre ces derniers. Les Etats maghrébins sont ainsi conviés à jouer un rôle plus vigilant et plus musclé pour empêcher la formation de tels sanctuaires par les groupes terroristes. La volonté de coopération des autorités maghrébines est tout à fait manifeste, compte tenu de la menace terroriste qui n'a cessé de peser depuis l'attentat de Djerba en Tunisie en avril 2002, les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca et surtout avec la persistance des groupes armés en Algérie. C'est du reste le GSPC algérien (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) qui constitue le noyau des regroupements appréhendés au Sahara. L'attaque meurtrière contre une base militaire dans le nord-est de la Mauritanie le 3 juin dernier est attribuée précisément à ce groupe. Depuis, des responsables américains ont multiplié les visites « d'évaluation » en Mauritanie et en juillet 2005 une délégation du commandement militaire américain en Europe a tenu une réunion à Nouakchott avec les chefs d'état-major mauritanien, nigérien, malien et algérien. Durant l'été dernier, une “opération Fintlock” a été lancée dans cette zone avec le déploiement de 2000 soldats des pays du Sahel et 800 soldats américains. Le Pentagone compte multiplier de tels exercices. La participation des forces marocaine et algérienne est fortement sollicitée aussi bien dans les manœuvres au Sahel que dans celles de l'OTAN en Méditerranée (comme en décembre dernier). On a même évoqué un projet d'établissement d'une base militaire américaine en Mauritanie. En marge de la visite de Rumsfeld, des journaux algériens ont rappelé que des bruits avaient fait état d'une base près de Tamanrasset dans le Sahara algérien regroupant 400 hommes des forces spéciales américaines et munie d'une station d'écoute pour capter toutes les télécommunications en Afrique subsaharienne (“Le Canard enchaîné” ) s'en était, en mars 2004, fait l'écho). Au-delà des démentis officiels des autorités algériennes et américaines à ce sujet, il n'en reste pas moins qu'Alger manifeste une plus grande disposition à coopérer militairement avec les USA et l'OTAN. La coopération avec le Maroc, « allié stratégique essentiel », est qualifiée avec force éloges par les responsables américains. Le Maroc est considéré comme un facteur de stabilité et de modération, Rumsfeld ayant souligné que « le roi Mohammed VI tient une place très importante dans la région parce que sa voix est celle de la raison, de la modération et de la tolérance ». L'expérience marocaine en matière de démocratisation et de programmes du développement humain retient aussi l'attention. Ces questions sont aussi considérées comme des facteurs essentiels dans la lutte contre les causes sociales et politiques de l'extrémisme et du terrorisme. L'expérience marocaine est, en la matière, positivement évaluée, sinon considérée comme modèle. La Russie entre en jeu La visite de Rumsfeld a permis à ce dernier de se faire une idée selon son optique du degré de stabilité et de fiabilité de chaque Etat maghrébin. En Tunisie, dont il a loué “la modération et la tolérance”, il a néanmoins déclaré que “les libertés politiques et économiques doivent aller de pair pour une stabilité à long terme”. L'allusion est directe. A Alger, c'est la santé du président Abdelaziz Bouteflika, considéré comme un « allié sûr » des USA, qui est au cœur des interrogations. L'après-Bouteflika serait-il porteur de risques pour les intérêts américains ? Pour l'heure, les Américains cherchent à marquer des points qu'ils voudraient “irréversibles” en impliquant plus à fond l'Algérie dans une coopération militaire et sécuritaire et en favorisant « les opportunités économiques ». Les USA souhaitent ainsi que l'Algérie coopère davantage avec ses voisins marocains, tunisiens et mauritaniens. La question du Sahara marocain reste cependant un nœud non tranché. Comment assurer une coopération étendue alors que cette source de tension n'a pas été solutionnée ? La proposition du Maroc d'un règlement négocié fondé sur l'autonomie de la région dans le cadre de la souveraineté marocaine apparaît devoir s'imposer comme la seule base raisonnable de compromis. Les Américains parviendront-ils cependant à convaincre Alger de la nécessité du compromis ? C'est la stabilité même de l'espace maghrébin et l'avenir de toute coopération sur la sécurité qui sont ici en jeu. C'est dans ce contexte qu'est annoncée la prochaine visite du président russe Vladimir Poutine à Alger. Après un long passage à vide de près de 20 ans, la Russie veut récupérer la position de partenaire privilégié qu'elle avait auparavant en Algérie. A l'ordre du jour de cette visite, il y a notamment les achats de nouvelles armes russes, l'apurement de la dette algérienne, l'accroissement des échanges économiques et la mise en œuvre des accords récents sur le gaz. Une bonne partie des officiers algériens ayant été formés dans l'ex-URSS, l'armement russe reste très apprécié. L'Algérie veut acquérir de nouveaux types d'avions de combat, des fusils d'assaut (voire même des sous-marins). Compte tenu de la nouvelle donne stratégique, l'Algérie essaie aussi de jouer de la rivalité grandissante entre USA et Russie pour revaloriser sa position. Autant d'éléments qui exigent du Maroc un effort très soutenu de sa diplomatie tous azimuts. Il ne manque pas d'arguments convaincants pour sa cause au Sahara et pour le rôle incontournable qui est le sien pour garantir la stabilité régionale et sa mutation pacifique. Ses atouts, dont notamment l'image nettement revalorisée qu'il a pu acquérir ces dernières années, devront être sans faute mis à profit.