RUSSIE / MONDE ARABE Si l'initiative de Vladimir Poutine envers le mouvement Hamas a surpris les Américains et les Israéliens, nombreux sont les observateurs qui l'ont considérée comme étant un élément supplémentaire qui vient consolider la stratégie de retour de l'ex-URSS dans les eaux tièdes. Tout le monde sauf le mouvement islamique Hamas a été surpris par la position prise par le président russe. Cela dit, selon les proches du Premier ministre palestinien, Mahmoud Abbas, le dialogue entre les deux parties avait été entamé bien avant l'annonce, il y a quelques jours, par Vladimir Poutine. Une éventualité se recoupant avec des informations émanant du général Omar Soleïman, patron des services égyptiens de renseignements militaires, chargé toujours du dossier palestinien. Quoi qu'il en soit, force est de souligner que Moscou, membre du Quartette (formé des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France en plus de la Russie), censé relancer la «Feuille de route», semble être parfaitement consciente des conséquences de ce pavé jeté dans la mare. Surtout qu'il vient compléter sa position soutenant l'Iran dans son bras de fer avec l'Occident concernant le dossier du nucléaire. Ce jeu en solo, mené par la Russie veut-il prouver à Washington et à ses véritables alliés occidentaux, que les purs produits de l'ex-Union Soviétique, Poutine en premier, sont en train de prendre leur revanche en préparant le «retour des nouveaux tsars» aussi bien au Moyen-Orient que dans le Monde arabe ? Les indices et les faits, allant des anciennes Républiques islamiques de l'ex-URSS, passant particulièrement par l'Iran et la Syrie, finissant provisoirement par la Palestine, montrent sans aucun doute que la Russie, profitant du sérieux essoufflement des Etats-Unis dans plusieurs régions de la planète, est aujourd'hui déterminée à poursuivre ses percées. En affirmant que Moscou n'avait jamais qualifié Hamas d'organisation terroriste, d'autant qu'elle respecte le choix démocratique du peuple palestinien, Poutine voulait ainsi défier les Etats-Unis en ouvrant un deuxième front que ces derniers auront du mal à contrecarrer dans les circonstances actuelles. La preuve, le retour du patron du Kremlin à utiliser des propos datant de la période de la guerre froide tels que : « Ces changements actuellement en cours en Russie et dans certains pays arabes, aboutiront à un équilibre sur le plan mondial ». Ou bien des phrases du genre : « Le trône de l'influence américaine commence à être secoué avec les impasses dans lesquelles se trouve l'administration Bush ». En dépit des réactions tendues en provenance de Washington et de Tel-Aviv ; cette dernière estimant cette initiative comme étant un poignard dans le dos de l'Etat hébreu, Moscou reste sereine promettant qu'elle fera de son mieux pour convaincre les dirigeants du Hamas de montrer qu'ils sont capables d'assouplir leurs positions et de démarrer une action sérieuse visant à relancer le processus de paix. Les différents responsables russes, montés ces derniers jours au créneau, parmi eux le ministre de la Défense, ont tenu à faire savoir que lors de la visite des leaders du Hamas au courant de ce mois, ils oeuvreronts dans le sens de rapprocher les points de vue de ce mouvement avec ceux du Quartette. Une manière de faire comprendre aussi aux membres de ce dernier que le rôle de la Russie aussi bien dans le processus du paix que dans la région du Moyen-Orient est désormais devenu aussi important que celui des Etats-Unis. Et, par là, il serait raisonnable de ne plus parler dorénavant du monopole américain qui avait prévalu depuis le démantèlement de l'Union Soviétique. La soudaine volte-face de la France qui est venue soutenir la position russe concernant l'ouverture sur Hamas, rassure Moscou et perturbe Washington. Celle-ci qui, tout de suite, a évité de critiquer les déclarations de Poutine avant « d'avoir des éclaircissements officiels ». Pis, elle a annoncé, samedi dernier, qu'elle respecte la décision souveraine de la Russie. De ce fait, faut-il parler maintenant du retour de l'axe Paris-Moscou qui avait prévalu à la veille de la guerre et de l'occupation de l'Irak ? Interrogé par La “Gazette du Maroc”, l'ancien responsable du département Moyen-Orient auprès du ministère des Affaires étrangères de l'ex-URSS, Karin Brutens, répondit : « Il est prématuré de parler d'axe. Toutefois, il faut suivre de près les positions des uns et des autres au sein du Conseil de sécurité pour savoir si des axes sont vraiment nés pour faire face aux intérêts américains ». Et l'ancien responsable russe d'ajouter : « Il faut savoir une chose, c'est que la Russie est de retour en force dans les eaux tièdes de la Méditerranée et du Golfe arabo-persique ». Percées au Machrek … Le retour significatif de la Russie dans la région du Moyen-Orient avait concrètement commencé avec la signature avec l'Iran de l'accord portant sur son aide à développer l'industrie nucléaire civile de ce pays. Et, par là, moderniser l'usine de Boushahr. Les tractations accompagnant le dossier nucléaire aussi bien à l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) qu'au Conseil de sécurité, ont montré que la Russie a bien choisi son camp ; et, qu'elle était prête à le défendre jusqu'au bout ; ce, malgré les manœuvres qu'elle avait utilisées pour atténuer les pressions sur Téhéran qui est devenu son principal allié de la région. C'est à travers la République islamique d'Iran que Moscou avait mis en place son plan de retour graduel dans la région. Dans ce contexte, les Etats-Unis savent mieux que quiconque que la Russie dote l'Iran d'armes sophistiquées. Cependant, ils évitent de la provoquer de peur qu'elle aille encore plus loin, profitant de l'enlisement des forces américaines en Irak. En effet, le Secrétaire d'Etat à la Défense, Donald Rumsfeld, qui a salué les relations avec Moscou, lors de la réunion des ministres de la Défense des pays membres de l'OTAN tenue à Tormina en Italie, a cependant affiché sa préoccupation à l'égard des ventes d'armes par la Russie à l'Iran. « Nous préférons ne pas vendre d'armes aux pays qui ne nous aident pas en Irak », poursuit-il. Des messages qui sont restés lettres mortes. De sources iraniennes concordantes, on apprend que le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad, depuis son arrivée aux commandes, ne cesse de privilégier les sociétés russes au détriment des pays occidentaux qui, par le passé, avaient décroché de gros contrats dans les domaines de l'infrastructure et l'industrie gazière. La position prise par Téhéran suite à l'affaire des caricatures visant à punir les pays qui avaient cautionné cette campagne ne pourra qu'ouvrir plus la porte aux sociétés russes. Surtout que ces dernières ne se contentent plus de vendre mais d'investir dans ce pays en créant des projets mixtes. D'autre part, et dans le même ordre de percées visant à consolider le retour dans la région, Moscou s'est envolée au soutien de la Syrie, notamment lorsque cette dernière était sur le point d'être condamnée par le Conseil de Sécurité dans l'affaire de l'assassinat de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri. Ce qui a obligé les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne à faire marche arrière de peur que Moscou impose son veto. Pis, la Russie a mis indirectement Israël en garde contre toute aventure militaire visant à frapper les centres nucléaires iraniens ou des objectifs en Syrie. Allant encore plus loin, la Russie avait rayé, en juillet dernier, 70% de ses créances dues par la Syrie du temps de l'ex-URSS. De plus, elle s'est engagée à moderniser les équipements de l'armée syrienne et accepté de lui vendre des chars, des avions et des missiles sophistiqués. Un message clair adressé à l'égard des Etats-Unis et Israël. … et consolidation au Maghreb La Russie a, malgré les conséquences néfastes du démantèlement de l'URSS sur ses intérêts géostratégiques, réussi à garder la tête au-dessus de l'eau dans la région du Maghreb. Elle a fini par faire sortir son corps et retrouver son rôle d'antan. En Algérie, Moscou est retournée en force sur son champ traditionnel à travers ses «hommes» au sein de l'armée algérienne. Les contrats signés par milliards par les armées de l'air et de terre ces quatre dernières années en est la preuve tangible. Ce, malgré les pressions de la part des Etats-Unis qui croyaient faire basculer l'Algérie, une fois pour toutes, dans son camp ; et, de la France, qui voit de mauvais œil l'industrie militaire russe qui barre la route aussi bien à ses avions Rafales qu'à ses chars Leclerc. Au Maroc, les Russes qui savent parfaitement qu'il lui est quasi impossible d'approcher le domaine militaire pour diverses raisons, ont eu recours à l'investissement. Les entreprises russes et les hommes d'affaires qui possèdent aujourd'hui des montants colossaux, notamment après les privatisations et la libéralisation ciblée de l'économie, s'orientent aujourd'hui vers l'investissement dans le secteur du tourisme, d'une part ; et, doper les échanges en important de plus en plus des produits made in Morocco. Les Russes qui avaient bien appris le pragmatisme des communistes se contentent pour le moment de cette présence économique au Maroc, et misent là-dessus pour l'avenir. En Libye où les créances ont été épongées par des trocs contre du pétrole dans les années 90, la Russie fait comme tous les autres pays en rentrant en compétition dans la majorité des appels d'offres qui sont lancés. Par ailleurs, les relations dans le domaine militaire se poursuivent mais selon un rythme moins fort que par le passé. Mas cela n'empêchera pas le colonel Kadhafi de se tourner de nouveau vers les anciens alliés au cas où il remarquerait que la mainmise des Etats-Unis sur le monde arabe fléchit de plus en plus et le retour des Russes dans les eaux tièdes se confirmerait.