Ils deviennent pâles. On voit presque leurs yeux sortir de leur tête. Ils ne se soucient plus de rien. Comme hypnotisés, ils jouent contre le hasard. Pris dans un tourbillon psychologique effroyable, ils ne pensent qu'à gagner même s'ils perdent à vue d'œil tout en se nourrissant de sardines fourrées dans un quart de pain. Tiercé, quarté, quinté, bingo, poker, rami, Lotto, machines à sous…Tous les moyens sont bons pourvu qu'on gagne…Ils sont des centaines à jouer course par course devant les PMUM, des milliers à jouer aux chevaux chaque jour que fait le bon Dieu…Même les vendredis, jours des grandes prières, ne sont pas épargnés. Vendredi 16 mai 2003 a été d'ailleurs le dernier jour du bingo à Casablanca, soir des odieux attentats terroristes, entre autres, à la Casa de Espana qui servait en moins de deux heures plus de 160 couverts grâce à ce jeu qui rapportait gros au comité restreint de cette association jadis effritée. Beaucoup se sont fait une fortune sur le dos de ces malheureux joueurs qui croient fortement, aveuglément même, au hasard. On se rappelle qu'à Safi, par exemple, les conjointes sont allées se plaindre auprès du Procureur du Roi lorsque le PMUM a été introduit pour la première fois dans leur ville. Les maris en sont arrivés jusqu'à vendre tapis et couvertures aux enchères publiques (Dlalla) pour jouer au Tiercé. A Casablanca, les passants remarquent tous les jours un attroupement devant des salles de jeux sur le boulevard de Paris, près du Conservatoire communal et dans une ruelle parallèle à l'avenue Driss Lahrizi. L'attroupement est constitué d'hommes vêtus de haillons, sales, mal rasés, ternes, qui s'arrachent les programmes vendus à un dirham la photocopie. Ils jouent et rejouent. Ils gagnent peu et perdent beaucoup. Leur seul souci est de jouer pour gagner et ils oublient qu'ils perdent tout. Ils deviennent, rien qu'à les voir, des espèces de restes humains. Lorsqu'ils ont faim, ils se nourrissent de sardines. Pas plus de deux sardines fourrées dans un quart de pain noir qu'ils achètent sur place, dans la rue où s'alignent vendeurs de cigarettes au détail, vendeurs de programmes et cuisiniers ambulants. Il y a deux mois, la police judiciaire de Casablanca a déféré devant le Parquet onze personnes impliquées dans l'organisation d'un local pour jeux de poker et de Rami. C'est au Mâarif que le local se trouvait. On entend parler de locaux similaires du côté de la place Verdun. En plein centre de la métropole, des locaux abritent des machines à sous, pourtant formellement interdites par la loi, qui rapportent une fortune incroyable à leurs propriétaires qui n'engagent aucun investissement à part le courant électrique. Pris dans un tourbillon psychologique effroyable, les joueurs ne pensent qu'à gagner même s'ils perdent à vue d'œil. Le moins passionné perd 500 DH en l'espace de moins d'une heure. On imagine ce que la machine rapporte à ses propriétaires qui, sous on ne sait quelle couverture et avec quelle complicité, se remplissent les poches, les caisses et les comptes au vu et au su de tous. Une complicité flagrante qui fait un bon nombre de victimes en mal d'amour, de loisirs et de divertissements dans une ville éperdue. Les autorités compétentes devraient veiller au bon grain en menant des enquêtes sérieuses sur cette complicité qui va de la douane à la police des débits de boissons. A propos de ces derniers, beaucoup de bars, usant des chaînes satellitaires, se branchent sur les courses et en avant les dépenses…