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À la santé du mort
Publié dans La Gazette du Maroc le 16 - 01 - 2006


Paysages humains
Tout commence avec une blague. C'est l'histoire d'Ahmed et Mohamed, deux amis que les beuveries ont unis pour le meilleur et pour le pire. Cela fait trente ans qu'ils arpentent le carrelage poisseux de quelques trous à alcool. Ils sont ce que l'on appelle des inséparables. Ils ont leurs habitudes, des chemins pré-tracés; et il faut les croire, ils ne dévient jamais parce que, disent-ils, les risques de dérapages sont énormes quand deux amis se soutiennent les coudes et se portent le verre plein l'un au gosier de l'autre.
C'est cela la définition même de l'amitié entre les hommes. Et un soir, mauvaises potions enivrantes aidant, Ahmed et Mohamed décident de pleurer un bon coup, d'abord pour se remémorer le bon vieux temps, ensuite pour sceller un pacte devant l'Eternel et le tout Puissant.
Oui, une promesse solennelle devant le Seigneur au nom du vin, de la vie, des bons et mauvais jours et tout ce qui s'ensuit ad vitam aeternam. Ils sont là devant une table bariolée de bouteilles de tous genres, des bouteilles vides en hommage à la sacralité de la parole des hommes. Et ils pleurent. Ils mettent toute leur fougue retrouvée pour verser des larmes sincères qui charrient dans leur sillage le passif, le non-dit, le mal-être, le bonheur perdu, les grands jours enterrés sous des monticules d'amnésies volontaires. Ils pleurent et là, ils invitent tout le bar à venir écouter la promesse. Oui, parce que quand les hommes décident de se donner le bras pour toujours, il faut des témoins. Les badauds s'agglutinent derrière la table et le fameux Saïd, le barman régale l'assemblée, mais il faut attendre le propriétaire du trou à vin. Et celui-ci débarque avec sa bedaine saillante et une moustache apprivoisée par des années d'entretien. Devant le barman et l'homme qui possède le bar, devant les connaissances, Mohamed et Ahmed décident ce qui suit :
- Mohamed : devant Dieu et les hommes ici présents, si tu meurs, mon frère, mon ami, si tu viens à rendre l'âme, si par malheur ou bonheur ta vie t'est retirée, je fais la promesse de boire à ta place jusqu'à ma mort.
- Ahmed : devant Dieu et les hommes ici présents, si tu meurs, mon frère, mon ami, si tu viens à rendre l'âme, si par malheur ou bonheur ta vie t'est retirée, je fais la promesse de boire à ta place jusqu'à ma mort.
Et le bar de porter un toast à la mémoire des hommes capables encore de se faire des promesses, de pleurer et de boire pour faire passer l'amertume de ce qui ne reviendra plus. Car pour Ahmed et Mohamed, comme ils me l'ont confié plus tard, ils boivent toujours pour rattraper le temps et ils savent qu'ils ne le pourront jamais, mais ils persistent, s'accrochent et disent que peut-être, malgré les aléas et les intempéries, les ouragans et les tornades du cœur, un jour, qui sait ? un jour heureux et oublié des humains, ils vont trouver ce vieux visage de l'enfance qu'ils ont perdu de vue, depuis au moins cinquante ans.
Quelle grandeur d'âme que celle de ces deux gaillards que le vin a rendu plus beaux que tous les Dionysos morts et vivants ! Quel courage de pouvoir se projeter dans le temps alors que les gens ont peur de l'instant même qu'ils sont en train de traverser, n'étant plus sûrs de rien dans ce monde qui part en c… Oui, c'est cela qu'un ami qui a connu Ahmed et Mohamed le jour où ils ont goûté à leur premier vin rouge a dit en jurant de ne jamais oublier cet instant à marquer de fer rouge dans les annales de l'existence humaine. Les hommes ne comptent que par le nombre des petites choses qu'ils accomplissent dans leurs vies. Mais quand ils prennent la responsabilité d'une aussi grande entreprise, promettre de boire à la place de l'autre après sa mort, mon Dieu tout puissant, ça c'est la quintessence même de la valeur des hommes sur terre. La preuve que nous sommes, dans un sens, des divinités déchues. Et la nuit se passe entre pleurs et vieux souvenirs d'autres grands noms qui ont, chacun à sa mesure, célébré la vie et l'amitié en faisant un grand geste pour la postérité. Et avant l'aube, on baisse le rideau grinçant du bar et les hommes vont se calfeutrer sous des couvertures rétrécies par l'âge.
Les jours défilent jusqu'au jour où Ahmed perd la vie dans un accident de la route contre un train. Oui, un train le fauche, dit-on, à cause du brouillard. Et ce n'est pas anodin cette mort. Ce n'est pas donné à tous de rencontrer un train au petit matin à la sortie d'un bar après avoir loupé le virage qui menait droit au calfeutrage sous la couverture! Mohamed fait son deuil et il est aujourd'hui seul sans ce vieux compagnon de route. Il arrive dans le même trou et passe au bar, commande deux bières. Une pour lui, une pour l'ami défunt. Le barman le félicite pour sa cette grande responsabilité devant la mort. Les autres habitués apportent leurs encouragements en poussant des hourras de victoire. Il y a même eu des gestes de poings brandis comme pour narguer la gueuse. Bref, c'était la grande fête des hommes dans le trou à vin. Des mois passent, et Mohamed boit à la santé du mort. On lui sert sa bière et celle de son ami, et il est heureux.
Mais un soir, il débarque, la mine joviale, et il ne commande qu'une bière. Oui, une seule bière, ce qui attriste le barman au plus haut point. Il pose la bouteille sur la table maculée e de Mohamed avec un geste de refus et beaucoup d'amertume dans la voix. Et il s'en va servir d'autres clients. Mais le barman n'est pas homme à garder ce qu'il pense pour lui. Non, il est de la race de ceux qui disent ce qu'ils pensent. Alors, il y va.
- Le barman : dis moi, M'hamed, c'est quoi que tu viens de faire là ? Oui, dis moi et ne prend pas ton air de saint, pourquoi tu ne commande qu'une bière. C'est cela la promesse et les larmes au nom d'Ahmed notre ami à tous, celui qui est mort sous le train ? Tu peux m'expliquer, toi, qui nous a tous bluffé, où est passé ta parole, la parole d'un homme posée dans le vide d'un verre gorgé d'amitié. Oui parle, je t'écoute et surtout pas le malin avec moi, car tu me connais, très bien.
- Mohamed : d'abord, appelle-moi Mohamed et non M'hamed si tu veux que je te réponde. (Le barman tergiverse, mais il finit par s'exécuter) Bien, et là, mon pauvre Saïd laisse-moi t'expliquer un point avant de donner suite à ta requête. Je suis un homme comme tu n'en a jamais vu dans ta vie. Ca, je sais que tu le sais. Alors, quand je donne une parole, je la tiens, même si je devais en mourir. Et je peux même te faire, en passant, une confidence. J'aurais aimé mourir avant Ahmed, mais le Seigneur en a décidé autrement et, comme nous le savons tous, les voix du tout Grand sont impénétrables. Et là écoute, ouvre grand tes petites oreilles. Assied-toi et prête moi ta cervelle : Saïd, moi j'ai arrêté de boire ce matin à l'aube. Oui, c'est fini, terminé, une page est à jamais tournée. Plus une goutte d'alcool ne passera dans ma gorge. Et la bière que tu vois et que tu verras jusqu'au jour de ma mort est pour Ahmed. Oui, j'ai arrêté de boire, je ne bois qu'à la place de mon ami mort.


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