Nouveaux partis politiques L'étude des partis politiques ne peut se limiter à une analyse de ces organisations considérées isolément, disait Michels. En effet, un système politique n'est pas caractérisé seulement par la nature des partis politiques qui existe en son sein, mais également par le nombre des partis qui influe sur le fonctionnement des institutions d'une manière directe. Vue sous cet angle, la floraison des partis politiques, à l'heure actuelle, mérite plus qu'une réflexion. Au Maroc, l'observateur ne manquera pas de relever le foisonnement des partis politiques qui suit une courbe ascendante. En effet, depuis octobre 2001 plus de dix partis ont pu voir le jour, bénéficiant ainsi d'une ouverture contextuelle du système politique sur ses acteurs centraux dont les partis constituent la trame de fond. On touche ici la question fondamentale, passionnante et difficile de l'explication d'un tel phénomène qui retient l'attention des observateurs surtout à l'approche des échéances électorales de septembre 2002. C'est une illusion, en effet, de penser que l'ordre normatif, parce qu'il est censé s'imposer d'une manière inconditionnée, façonne la réalité politique et sociale sans que celle-ci lui oppose une quelconque résistance. En pratique, c'est souvent le contexte politique qui détermine les transformations du système de partis. Autrement dit, c'est la conjoncture politique, à l'image des contraintes des nouvelles réformes politiques, qui doit être prise en considération dans l'étude, par exemple, du foisonnement des partis politiques. C'est pourquoi, il serait vain de penser que l'augmentation du nombre des partis politiques au Maroc est due à une volonté politique explicite du pouvoir central visant la libéralisation du champ politique. Par contre, il s'agit plutôt d'une stratégie politique de la monarchie, qui s'inscrit dans le cadre d'un mode de management politique, dont l'objectif central est la restructuration du système politique (1). En effet, l'autorisation pour créer de nouveaux partis politiques à l'heure actuelle n'est point une coïncidence, vu l'immobilisme politique actuel qui frappe le pays. Donc, il était tout à fait normal que la monarchie, en tant qu'acteur principal dans le système politique, intervienne pour remodeler la structuration de l'échiquier politique. Ce, pour deux raisons principales : la première est tactique à la veille des échéances électorales de septembre 2002. Alors que la deuxième est stratégique dans la mesure où elle est inhérente au processus de transition démocratique. Restructuration du champ politique Jamais le champ politique n'a été aussi fragmenté qu'il l‘est actuellement, du fait de la montée spectaculaire du nombre des partis politiques ( dix en moins d'un an). Une chose est au moins sûre : ce n'est forcément pas dû à l'effet du hasard. En effet, cette nouvelle donne politique s'inscrit dans une tactique politique programmée (2) par le pouvoir central visant, pour l'essentiel, le remodelage de la carte partisane à la veille des échéances électorales. À cette fin, la monarchie a rompu avec la politique sécuritaire qui veillait, autant que faire se peut, à réduire le nombre des partis politiques. Ce faisant, le pouvoir central va pouvoir d'abord tester la fiabilité du système politique, notamment sa capacité à résister à l'éclatement partisan par l'entrée en jeu de nouveaux partis. D'ailleurs, il serait intéressant de voir la réaction des partis politiques en place face à un tel changement de situation pour le moins désagréable. C'est dur pour des partis politiques qui avaient pris l'habitude de ratisser large, surtout lors des campagnes électorales, de voir leur électorat perturbé par de nouveaux protagonistes. Ensuite, contrôler toutes les stratégies d'alliances politiques entre les partis dominants tels que l'USFP ou le RNI et, par là même, anticiper les rapprochements politiques non désirés à l'image d'une coalition entre l'Istiqlal et les islamistes modérés du PJD. Et enfin, renforcer le rôle de la monarchie, comme le véritable meneur de jeu, en procédant à un rééquilibrage politique (3) capable d'amenuiser les partis politiques traditionnels. Car, le foisonnement des partis va générer une compétition politique susceptible de sanctionner les grands partis politiques qui risquent de voir leurs clientèles électorales largement réduites. Réanimation proportionnée du système politique En donnant son feu vert à la création de nouveaux partis politiques, la monarchie entend mettre en œuvre une stratégie politique qui a pour objectif principal la réanimation du processus de transition démocratique. En effet, après un mandat gouvernemental en demi-teinte, l'éclatement de la carte partisane peut être considéré comme une bouée de sauvetage destinée à sauver l'expérience de l' “ alternance”. Ce, à deux niveaux : d'une part, le foisonnement des partis va constituer le maillon fort du mode d'entretien du consensus politique par l'introduction dosée de nouvelles forces politiques. Et d'autre part, l'émergence de nouveaux partis va certainement activer la vie politique (4) et apaiser les tensions sociales qui se jouent dans les entrailles des communautés démunies. Ce faisant, la monarchie assurera le contrôle de deux enjeux politiques majeurs : d'un côté, rééquilibrer le jeu politique entre le Roi et les partis politiques traditionnels en vue de maintenir la stabilité politique du pays. L'ouverture contrôlée de la sphère partisane sur de nouvelles forces politiques en est une parfaite illustration. Et de l'autre côté, contenir le dénigrement de la population défavorisée face à une situation socioéconomique des plus déplaisantes. Ceci, tout en renforçant le processus de transition démocratique en phase d'usure politique, du fait de la consommation immodérée du concept dans les discours politiques. Mécanismes d'accompagnement Un des préceptes de base de la science politique est que les politiciens et les partis font des choix d'institutions, comme des systèmes électoraux, qui les favorisent. Vue sous cet angle, la réforme électorale dissimule, vraisemblablement, une manœuvre politique implicite servant de mesure d'accompagnement à la restructuration du champ politique. En effet, l'objectif non déclaré de l'adoption “ consensuelle ” d'un nouveau code électoral, qui a mis en place un système de représentation proportionnelle par scrutin de liste (RPSL), est double : d'une part, la réforme électorale, par l'adoption d'un système RPSL, a pour objectif d'assurer la représentativité d'un plus grand nombre de partis politiques. Par conséquent, les partis traditionnels seront obligés de batailler dur pour former un gouvernement à l'instar de celui en place, vu la balkanisation probable de la carte partisane qui résultera de l'éparpillement des voix électorales après les prochaines échéances. Du coup, on assistera, probablement, après les élections de septembre, à un scénario pareil à celui auquel nous assistons actuellement, c'est-à-dire, un gouvernement de coalition hétérogène. Néanmoins, les partis de l'ex-opposition, au cas où ils gagnent, pourront se féliciter de pouvoir passer de l'“ alternance octroyée ” à une “ alternance des urnes ”, et de sceller, par là même, un débat politique si controversé sur la légitimité de l'expérience. Et d'autre part, l'adoption d'un système RPSL s'inscrit dans le cadre d'une stratégie politique de la monarchie qui pointe la résorption politique des leaders contestataires, représentant les différentes tendances et minorités culturelles non institutionnalisées (religieuses, ethniques, culturelles et politiques). En somme, le multipartisme, loin de refléter le pluralisme politique qui constitue l'élément propulseur du processus de transition démocratique, peut être considéré comme un mode d'entretien des équilibres entre les différents acteurs du système politique. Ainsi, au Maroc, peu importe si les nouveaux partis politiques sont en mesure d'exprimer de nouvelles orientations politiques du moment qu'ils sont d'accord pour se présenter comme une valeur numérique qui vient consolider la thèse démodée associant le nombre des partis aux avancées du pays en matière de démocratie ! Certes, le processus de transition vers un système démocratique suppose la floraison des partis politiques dans le cadre d'une logique incontournable de désagrégation / agrégation politique, c'est-à-dire que la sphère partisane se divise en période de transition et une fois les élections achevées les partis politiques se regroupent. Toutefois, il serait intéressant de se demander si cette situation ne serait pas due, en partie, à la recrudescence d'un système politique tribal, qui couvait depuis la nuit des temps au Maroc, et dont la segmentarité politique ne serait qu'une simple manifestation (5) ? L'ouverture contrôlée par la monarchie de la sphère partisane sur de nouvelles forces politiques vise deux objectifs principaux : 1 – la restructuration du champ politique à la veille des élections. 2 - la réanimation de l'expérience de l'alternance consensuelle. (1) R.Leveau 1969 (2) R.Aron 1978 (3) Lipson 1975 (4) Gaxie 1979 (5) R.Montagne 1969