Les embrouilles d'une mafia au cadastre de Sidi Bernoussi L'affaire de la Conservation foncière de Sidi Bernoussi à Casablanca, qui est en cours d'instruction, n'a pas encore livré tous ses secrets. Mais les accusations qui pèsent déjà sur plusieurs fonctionnaires de cette administration ainsi que sur des élus locaux, sont gravissimes. Au nombre de 11 accusés, ils doivent répondre de leurs actes devant la justice. Leurs dossiers sont compromettants et portent sur des sommes assez importantes. Facettes d'un scandale qui n'est qu'à son commencement. Branle-bas de combat à la Conservation foncière de Sidi Bernoussi-Zenata à Casablanca. Dans cette administration, on arbore la mauvaise mine depuis quelques jours. Et pour cause, l'éclatement d'un grand scandale foncier, couleur polar, qui a fait l'effet d'une tourmente. Cette affaire aux ramifications multiples, qui n'a pas encore révélé tous ses secrets, est compliquée par ses confidences, spectaculaire par la nature des faits commis et avoués par les accusés, (ils sont au nombre de 11 dont certains sont en liberté provisoire), et compromettante par l'étendue des dommages. Tout a commencé le vendredi 10 septembre 2004 lorsqu'une plainte, portant sur une expropriation outrancière d'un terrain au quartier Al Qods à Sidi Bernoussi, a été déposée par un habitant du quartier auprès de la Police judiciaire de la Sûreté de Sidi Bernoussi-Zenata. Une véritable bombe qui allait mettre, peu après, les limiers de la brigade antigangs sur la piste d'une bande bien organisée, composée de fonctionnaires de la Conservation foncière, d'élus municipaux, d'hommes d'affaires et autres intermédiaires, qui agissaient en toute impunité pour extorquer illégalement des terrains non bâtis à l'insu de leurs propriétaires. Autrement dit, il s'agit là d'un réseau qui a jeté son dévolu sur le foncier abandonné des autres, bénéficiant ainsi de complicités diverses dans l'administration de la Conservation foncière et l'arrondissement de Sidi Bernoussi. Le procédé est tout simple, il fallait juste y penser. Selon une source judiciaire, les expropriations, qui ont porté sur plusieurs terrains non bâtis d'une valeur inestimable, reposaient principalement sur le faux et usage de faux et sur les falsifications d'opérations d'immatriculation, d'enregistrement des propriétés illégalement réquisitionnées. Mis hors d'état de nuire, ils sont aujourd'hui incarcérés à la prison d'Oukacha de Casablanca, en attendant leur jugement. Dans le lot, on trouve un homme d'affaires M.K (agriculteur de son état), quatre fonctionnaires de la Conservation foncière dont un retraité, un élu communal, un agent de la même commune chargé de la légalisation et deux intermédiaires dans l'immobilier. Le réseau bien rodé pour ce genre d'opérations a réussi à exproprier plusieurs parcelles de terrains (allant de 100 m2 à 400 m2) appartenant à autrui qu'ils ont réussi, en toute impunité, à revendre légalement par la suite. Ce sont dans la plupart du temps, soit des lots non bâtis, soit des biens litigieux ou abandonnés par leurs propriétaires résidant à l'étranger. Il faut dire que la spéculation et l'abandon de terrains sont chose fréquente dans toute la région du grand Casablanca. Des affaires similaires, qui ont porté sur plusieurs milliers d'hectares, ont éclaté partout dans la ville, laissant des victimes abusées et trompées dans leurs propres biens jusqu'à ce jour. Il n'y a qu'à faire une tournée dans les tribunaux pour comprendre l'ampleur qu'a pris ce phénomène. Magouilles et escroqueries Dans cette affaire, par contre, la victime ne s'est pas faite avoir. Bien au contraire. Propriétaire avéré du lot, non bâti, n° 162 d'une superficie d'envion 400 m2 à Hay Al Qods, celui-ci découvre, un beau jour du mois de septembre 2004, que sa parcelle de terrain est en plein travaux de construction d'un immeuble de quatre étages à usage d'habitation. Drôle de surprise, une bizarrerie criarde ! Sur les lieux, les quelques maçons présents l'informent sur l'identité du nouveau propriétaire ainsi que celle du chef de chantier. La victime ne comprend rien à cette situation et prend son mal en patience. Mais pas pour longtemps. Muni de son titre de propriété, il s'adresse, le lendemain, au service du cadastre relevant de la Conservation foncière de Sidi Bernoussi. La victime va de surprise en surprise en découvrant que sa propriété a été vendue doublement à autrui. Le fonctionnaire de cette administration lui donne le nom de l'acquéreur et lui exhibe une copie d'une procuration de vente où figure la signature de la victime elle même. Trop, c'est trop. L'affaire est grave et le mal est profond pour que l'abcès ne soit pas crevé. Et c'est devant les enquêteurs de la police judiciaire de Sidi Bernoussi que la victime, documents à l'appui, raconte son drame. L'enquête démarre et le premier à tomber est l'entrepreneur (M.K) qui passe vite à table. Homme d'affaires de son état, celui-ci est un personnage dont le signe distinctif a pour nom une soif dévorante pour l'argent. Une propension qui finira par le perdre. Il faut dire qu'à Sidi Bernoussi, où il s'est comporté en véritable parrain, cette propension lui a été fatale, révélant les embrouilles d'affaires sales où il est impliqué. Un univers de magouilles enchevêtrées, d'abus, d'arrogance et de passe-droits auto-octroyés. Un cocktail qui lui explosera à la figure. Dans les locaux de la PJ, M.K donne les noms de ses complices qui tomberont successivement l'un après l'autre pour avoir trempés dans des magouilles d'expropriation à grande échelle. L'astuce est toute simple. On procède tout d'abord par le repérage d'un terrain non bâti abandonné qui peut faire l'affaire. Le réseau est composé d'une nébuleuse de rabatteurs chargés de repérer les “bonnes affaires” à Sidi Bernoussi et ailleurs. Une fois trouvées, le réseau, grâce à des complicités internes au niveau de la Conservation foncière, identifie le propriétaire, la nature et les références du titre foncier... Lorsque toutes les données sont rassemblées, le réseau simule une opération de vente au nom du propriétaire, grâce à une vraie-fausse procuration de cession dûment légalisée par les services de la commune de Sidi Bernoussi. Le contrat de vente, sous seing privé, ainsi fait, le réseau enregistre le bien à la Conservation foncière pour le revendre, moyennant de modiques sommes, à M.K ( toujours lui ) qui, à son tour, s'en débarrasse en le proposant, en toute légalité, à des clients potentiels avec des prix défiant toute concurrence. Un commerce illicite, mais porteur qu'ils ont pratiqué pendant très longtemps sans être nullement inquiétés. Jusqu'au jour de leurs arrestations. Interrogés sur les facilités obtenues quant à la réalisation de ce genre d'opérations, les deux intermédiaires ainsi que le cerveau de la bande ont dénoncé leurs complices au niveau de la Conservation foncière et de la commune (dont un élu communal) qui ont également trempé dans cette affaire pour avoir légalisé de faux documents. Les perquisitions opérées dans leurs domiciles respectifs ont permis la saisie de plusieurs documents compromettants : plans cartographiques, plans de la ville où sont cochées les parcelles de terrains expropriés, cartes d'identités et permis de conduire falsifiés, contrats de vente fictifs...etc. Biens indûment acquis Lors de leur première audition par le parquet de la Cour d'appel de Casablanca, les accusés ont, tous ou presque, avoué leurs forfaits. Leurs chefs d'accusation vont de la constitution d'une bande de malfaiteurs et l'escroquerie à l'usurpation de titres et le faux et l'usage de faux. Les opérations d'expropriation ont porté sur des sommes très importantes qu'ils devront rendre à leurs victimes. Pour l'instant, les enquêteurs de la PJ de Sidi Bernoussi sont toujours en train de recenser tous ces biens indûment acquis et expropriés par cette bande de malfaiteurs qui méditent sur leur mauvais sort à la prison d'Oukacha à Casablanca en attendant l'issue du procès.