Les secrets de l'assassinat de Mandari Elle dit avoir connu Hicham Mandari à Paris lors d'une soirée chez des “amis libanais”. Depuis, c'est une idylle sans lendemain où le bonhomme se payait les services de la jeune femme à chaque fois que le cœur lui en disait. Elle dit l'avoir vu la semaine de sa mort à Marbella où il lui avait offert des vacances. Il semblait “normal et sans pression et parlait d'un retour probable à Paris où il avait des affaires urgentes à régler”. Maria, c'est le prénom qu'elle a donné comme une façade pour se protéger. Retour sur un témoignage pour le moins imprévisible. Il fait très mauvais à Malaga en cette journée du mercredi 25 août. A 3 heures de l'après-midi, nous avons rendez-vous avec une jeune fille d'origine marocaine qui a été approchée il y a quelques jours par une télévision espagnole qui préparait, selon toute apparence, un reportage sur la mort de Hicham Mandari. C'est une brume folle qui drape la ville d'une grisaille toute automnale sans le moindre rayon de soleil qui se risquerait à changer l'air du temps. Nous sommes devant l'hôtel “Sur” à quelques encablures du port de Malaga. Dans une ruelle en chantier où les Marocains vivent en groupe et picolent dur sous l'humidité de la ville. Dans la Calle Trinidad Grund, ils sont nombreux à parler des “manipulations du gouvernement espagnol et la régularisation des 70.000 Marocains” et Mandari est le dernier de leurs soucis. On attend. Elle va venir d'un moment à l'autre alors que la brume menace de plus en plus le paysage de l'Avenida Andalucia, que les Malagueños appellent Alameda Principal. La jeune femme débarque enfin, le visage scrutateur, l'air préoccupé d'une personne qui ne sait pas où elle va, mais qui s'y risque tout de même. Maria, comme elle a décidé de se prénommer, est là, le visage beau d'une fille que la nature a doté de magnifiques atouts. Elle s'excuse du retard : “j'ai failli changer d'avis à la dernière minute. J'ai trop peur et la vérité c'est que je ne sais pas où je mets le pied. Cette affaire me dépasse de très loin et je me sens comme prise au piège”. Comment lui dire que c'était le cas sans qu'elle prenne peur et s'évapore dans la nature? Elle tremble sous sa robe fleurie qui lui donne des contours d'une rare beauté. Une femme au bord de la crise de nerfs Maria (on sait que ce n'est pas son vrai nom, mais on joue le jeu) est une très belle femme. Pas encore la trentaine, mais pas si loin. Elle est à l'orée de cet âge où toutes les femmes affichent une grâce surnaturelle. Elle est à la fois à l'aise et elle le sait car c'est une femme qui en jette, qui en impose, mais son corps semble avoir perdu de sa superbe. Elle est confrontée pour une fois à des choses qui façonnent sa vision du monde et elle ne sait pas comment gérer le stress, la peur et la méfiance. On va dans un café sur le boulevard Andalucia, au Plaza, à deux doigts de la grande rue piétonne du centre-ville, la rue marchande au cœur palpitant de la ville. Elle a le teint passé au soleil de la Costa del Sol et son sourire découvre une dentition qui flirte avec la perfection. Elle ne fume pas, dit-elle, quand on lui offre une cigarette, et on la croit volontiers. Son allure est de celles qui ont appris au contact de ce qu'on appelle le beau monde ce que c'est qu'une femme qui sait se tenir en public. Presque hautaine, mais sans la moindre arrogance, elle est là de temps à autre à s'escrimer contre des idées obsédantes. De taille moyenne, elle affiche une poitrine gorgée de vie et une silhouette que la vie et ses tracas n'ont pas encore entamée. “J'ai peur” est un mot qui lui colle aux lèvres et à chaque fois on a l'impression qu'un insidieux frisson lui parcourt la peau. Un tressaillement qui trahit un malaise non contenu. Elle a peur de nous, on le voit aussi. Elle se pose des questions auxquelles elle n'a pas de réponses, ou pas encore. Ce qui la tracasse le plus est de savoir si nous sommes réellement des journalistes ou des flics en guise de gratte-papier. Un numéro de La Gazette du Maroc avec la couverture de Mandari et nos signatures dessus l'a rassurée un peu. “Je crois que j'ai fait une grosse erreur de parler à un type de la télé. Je ne sais pas ce qui va en sortir, mais c'est irrattrapable”. Très vite, on a compris que Maria était de ces femmes qui acceptent le sort et ne se lamentent pas sur ce qui ne peut être récupéré. “Hicham m'avait dit de venir avec lui ici à Marbella il y a de cela un an, mais j'avais des engagements avec la famille. Cette année, c'est moi qui lui ai demandé si je pouvais venir et il m'a offert des vacances ici”. Elle est ici sur la Costa del Sol depuis la fin juillet : “je l'ai vu quatre jours en juillet et une semaine avant sa mort”. Pour elle, Hicham Mandari était normal, confiant et passait des vacances sans problèmes : “un soir chez des amis à lui, il m'a dit de le revoir le lendemain pour le déjeuner à Fuengirola. On s'est vu le lendemain et il m'avait fait part de son envie de rentrer prochainement en France pour du travail. Il m'a dit qu'il allait m'appeler pour qu'on dîne ensemble dans le Marais où il allait souvent. Il m'a déposé à Marbella et j'attendais qu'il me contacte et c'est là que j'ai entendu ce qui s'était passé”. “Il avait peur des Russes” On peut se demander pourquoi une femme qui a si peur vient rencontrer des journalistes et leur raconter son idylle avec un type mêlé à des affaires de maffia et qui finit une balle logée dans la cervelle ? Sa première motivation est de savoir ce qui se dit chez la police, ce que les journalistes savent et ne disent pas ou pas encore, ce qui se cache encore et finira peut-être par éclater au grand jour. Maria fait son enquête personnelle. Elle sait qu'elle est dans de sales draps et qu'elle peut en morfler dur dans cette sombre histoire. Alors elle prend les devants et essaie d'en savoir plus avant qu'il ne soit trop tard. “Non, je ne veux pas m'enfuir car je n'ai rien fait. Et jusque-la la police n'a pas cherché à m'entendre. Si la télé m'a trouvé c'est que la police le sait déjà, mais je vais bientôt partir à Paris”. Elle nous dira qu'elle attend un frère qui rentre du Maroc, qui passera par Marbella dans quelques jours la prendre pour aller à Montpellier avant de pousser une trotte à Paris. Elle nous dira qu'elle a tenté de partir par avion deux jours après l'annonce de la mort de Mandari mais qu'à la fin elle s'était ravisée attendant de voir comment les choses évoluaient sans attirer les regards. “Ce n'est pas un crime de fréquenter un type qui a été tué. Heureusement pour moi, je n'ai été mêlée à rien avec lui. Il me voyait rarement et on allait dans des endroits avec les gens. Je n'ai jamais été avec lui dans des trucs louches, je ne l'ai jamais vu avec des gens louches non plus. Et il était très discret sur ce qu'il faisait, mais il m'avait dit une fois qu'il avait de gros problèmes avec des gens de Russie qui s'étaient installés sur la côte d'Azur et qui lui voulaient beaucoup de mal”. Elle dira plus tard qu'elle pensait que c'était un mythomane qui racontait des tas de choses pour impressionner, mais que ce défaut ne la dérangeait pas du tout. Tout au long des trois heures de conversation, de questions et de réponses, Maria aura pleuré au moins dix fois et chaque fois pour des raisons fortes : “je mesure à quel degré c'est dangereux, mais qui aurait pensé qu'il allait mourir de cette façon. Une fois quand j'ai lu des choses en France, je lui en avais parlé et il m'avait dit que c'était des conneries, oui c'était son mot, des conneries. Puis une autre fois, quand il avait été libéré après cette affaire de chantage, il m'avait dit qu'on lui en voulait pour qui il était”. Elle sait aujourd'hui que ce bonhomme qu'elle dit ne “jamais avoir levé la main sur elle ni lui avoir manqué de respect” était embourbé jusqu'au cou. On apprendra qu'il lui a servi le chapelet sur son origine princière, sa filiation royale et d'autres salades qu'elle avoue ne jamais avoir gobées. “Il avait de l'argent, cela se voyait, il roulait sur l'or, il était bien loti, mais je ne pouvais pas croire qu'il était prince. Je suis Marocaine, il ne faut pas me raconter des conneries. Il m'en avait parlé une fois sans plus et je crois qu'il ne se doutait pas du fait que cette histoire ne m'intéressait pas outre mesure”. Les photos déchirées et brûlées “J'ai eu des photos avec lui à Paris pour un nouvel an et une fois encore on s'était pris en photo à Londres où je l'avais rejoint pour un week-end”. Quand on lui fait remarquer que c'était fatal pour elle d'avoir des photos avec lui alors qu'elle cherchait à tout prix à effacer tout lien avec lui, elle répond que c'était déjà fait : “j'ai fait ce qu'il faut. Tout est déchiré et brûlé et il n'y a aucune trace de tout cela. Ce qui me tracasse aujourd'hui ce sont deux amies à moi qui sont venues un soir avec moi à une fête d'un ami de Hicham à Paris. J'ai peur qu'elles ne parlent ou qu'elles ne racontent des conneries”. Elle s'étalera sur les détails de cette fête, des copains de Mandari, des gens du Golfe qui étaient là, très proches de lui et d'autres détails insignifiants sur une soirée dans une boîte de nuit et une fille, une Française, qui est venue l'embrasser, etc... Maria dira aussi que le bonhomme ne lésinait pas sur les dépenses, qu'il avait un train de vie impressionnant et que ses amis se comptaient par dizaines et que c'est rare où elle l'avait vu sortir seul sans des amis ou des gens “qui travaillent pour lui”. Quand on lui demande pourquoi elle a continué à le fréquenter après tout ce qui a été écrit dans la presse, elle répond du tac au tac que la presse n'est pas toujours crédible et qu'il y a des choses qu'on répète sur les gens juste pour vendre et d'autres vérités qui lui semblaient si évidentes. “Tant que personne ne m'avait jamais fait de mal, j'étais là et en plus je ne le voyais que trois ou quatre fois par an pour des occasions”. Dernière sortie à Marbella “Nous avons, comme je vous l'ai déjà dit, été chez des amis à lui dans une villa à la sortie de la ville vers les hauteurs, il y avait beaucoup de monde. On a passé une soirée très cool et vers trois heures du matin, c'est un type qui travaille pour lui, je crois que c'est un Français qui m'a déposée. Je n'ai rien vu d'inhabituel ni de louche. On a dansé, on a bu, on a fait la fête comme tout le monde ici à Marbella et il m'a semblé très calme et sans pression. Je n'ai jamais imaginé qu'il allait mourir une semaine plus tard. J'aurai tout pensé sauf cela”. Maria se révèle une tombe quand on lui demande des noms de personnes, des adresses et des visages qui l'auraient marquée. Elle dira qu'il y a eu des Arabes, des Espagnols, des Français et des gens nombreux, que c'était une soirée normale et que Mandari n'avait pas été particulièrement à la table de tel groupe ou tel autre. “Il passait des coups de fil, il parlait à beaucoup de personnes, mais je ne l'ai pas beaucoup vu cette soirée-là. Vous savez comment les choses se passent”. Elle dira que les gens se droguaient, que c'était normal et que ce n'était pas la première fois qu'elle allait dans des soirées où la dope est étalée sur les tables : “oui je crois l'avoir vu se droguer mais pas souvent. Ce soir-là, je crois qu'il était bien dedans”. C'était sa façon de dire que son hôte avait avalé des traits de blanche et quelques verres pleins de breuvages variés. C'est le dernier souvenir qu'elle gardera de lui après quelques jours où leurs rencontres ont été sporadiques. Elle sait que Mandari avait d'autres femmes, mais cela ne l'a jamais gênée : “je n'ai jamais attendu quoi que se soit de sa part. et il ne m'a jamais fait de promesses non plus. Je savais où je mettais les pieds et avec qui j'étais. Il n'était pas le genre d'homme à tenir une relation normale avec qui que se soit et cela m'arrangeait bien”. Aujourd'hui elle se rend bien compte que ses pieds n'étaient peut-être pas là où ils devraient être et que toute cette affaire pourrait lui faire beaucoup de mal : “je sais que je suis dans une très mauvaise posture et que vu son passé et ses affaires louches avec la maffia, je ne serai pas de sitôt hors d'atteinte, mais je sais que je n'ai rien eu à voir avec tout cela. Il était un homme que j'ai fréquenté et que peut-être je n'aurais pas dû le faire, mais il n'y a pas de place aux regrets”.