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La patate chaude d'Aznar
Publié dans La Gazette du Maroc le 17 - 05 - 2004

Les réunions bilatérales héritent, aujourd'hui, de l'ancienne politique d'Aznar qui a culpabilisé le Maroc et imposé les règles du jeu dans le Détroit de Gibraltar. Jusqu'où pourra aller José Luis Rodriguez Zapatero pour revenir sur les décisions prises par son prédécesseur ? Selon toute vraisemblance, dans le fond, peu de modifications seront introduites dans les différents accords signés entre les deux pays riverains.
Malgré sa bonne volonté, le Maroc subit ces accords déséquilibrés qui le marginalisent de plus en plus dans un projet méditerranéen remis sans cesse à plus tard… Mais des poussées de l'intérieur de l'Espagne signalent déjà que le vrai changement ne peut provenir que de chez nos voisins ibériques et au-delà de l'Union européenne qui commence peut-être à comprendre le message.
Les rencontres bilatérales qui se sont tenues la semaine dernière à Madrid entre le Maroc et l'Espagne n'auraient jamais eu lieu si le parti de José Maria Aznar avait remporté les élections de mars. C'est bien ce que l'on aimerait croire. Car el présidente, le bien sortant, avait concocté pour le Royaume une panoplie de faux engagements, pour une collaboration fictive entre les rives. Une fausse-couche qui aura duré huit longues années… Elle aura réussi à enfanter davantage de freins à la coopération entre le Maroc et l'Union européenne, entre le Nord et le Sud.
Les commissions mixtes qui ont représenté les deux parties se sont penchées sur les dossiers de ladite collaboration, tous comportant un caractère sécuritaire sur lequel s'était déjà prononcé l'ancien gouvernement espagnol. Il s'agit notamment de l'immigration clandestine, avec son volet brûlant sur les mineurs, de la drogue et du terrorisme. Un quatrième dossier concernait l'opération Détroit de Gibraltar 2004 et le passage de quelque trois millions de Marocains et de 700.000 véhicules durant l'été prochain.
Sur les principaux dossiers, des avancées conséquentes avaient déjà été enregistrées depuis le réchauffement des relations en septembre 2003 et des conventions avaient été signées par les deux pays.
Une collaboration espagnole peu studieuse
Des accords qui ressemblaient plus à un statu quo sur la rive de la Méditerranée considérée comme source de tous les maux en Europe. Les engagements stigmatisaient le Maroc, devenu selon les arrière-pensées de ces accords un exportateur de clandestins, de terroristes, de narcotrafiquants. Un Maroc à qui l'Espagne, et par ricochet l'Europe, avaient demandé de rapatrier tous les indésirables et de verrouiller ses frontières naturelles : une côte poreuse au nord et à l'ouest et des milliers de kilomètres de désert au sud…
rien que ça.
En guise d'horizon d'attente, c'est le Détroit de Gibraltar et la rive sud qui sont visés par l'appétit de l'Union européenne qui avait de longue date prévu de contrôler la zone.
Le Maroc, depuis plus d'une décennie, était dépassé par les événements qui se tramaient devant sa porte.
Tout comme les autres pays concernés par les trois fléaux : immigration clandestine- drogue-terrorisme. Qui peut se prévaloir, en Union européenne, d'avoir résolu chez lui le problème ? Surtout pas l'Espagne, avec son million de sans-papiers évoluant à l'ombre dans une économie souterraine qui arrange le marché ibérique. Le cycle naturel des flux migratoires humains ayant été rompu depuis les accords de Schengen, il était prévisible que d'autres chemins, illégaux et dangereux, allaient naître dans la région. Le Maroc ne constituant qu'une étape, un chaînon de la route migratoire clandestine.
La drogue est, quant à elle, combattue depuis au moins quinze ans par le Maroc. Dans l'aléa que suppose cette lutte difficile, il s'avère que les gros trafiquants, les pointures de haut niveau qui évoluent entre le Maroc et l'Europe, bénéficient tous d'une nationalité occidentale, en particulier espagnole souvent octroyée à Sebta dans des conditions toujours douteuses.
Les gros bonnets de la drogue le savent et sont curieusement considérés comme des investisseurs, des hommes d'affaires qui placent leurs fortunes dans les banques étrangères et participent à des projets économiques de grande envergure. Mounir Erramach, dernier baron tombé dans les filets de la police marocaine, avait investi pas moins de dix-huit milliards de centimes en Espagne, contre trois milliards au Maroc. Et ces chiffres sont certainement en-deça de sa véritable fortune investie en Europe.
Durant le gouvernement Aznar, les narcotrafiquants de tous bords avaient été protégés et accueillis à bras ouverts. En 1996, des dizaines d'individus recherchés par Rabat avaient fui… en Espagne.
Le terrorisme, que l'on considère désormais comme le dossier le plus important entre les deux pays riverains, a également eu son lot de misère depuis quelques années. L'Espagne, qui pistait depuis 1994 plusieurs activistes islamistes sur son sol, dont plusieurs étaient d'origine marocaine, n'a jamais ouvert un front de collaboration et d'échange d'informations avec son voisin du sud. Pourquoi ? Selon le juge Baltasar Garzon, chargé des enquêtes sur Al Qaïda en Espagne, c'est Aznar qui avait refusé de donner de l'importance aux rapports transmis à la Moncloa, au moment même où il n'avait pas hésité à brandir, devant les Etats-Unis de Busch, la pièce à conviction qui justifiait son rapprochement avec l'oncle Sam. Le pic de cette pièce devenue macabre a culminé lorsque Aznar et ses hommes ont fustigé le Maroc après le 11 mars en insistant comme il se doit sur l'origine marocaine des terroristes.
On passe sur les années de silence d'Aznar qui ont favorisé l'organisation des plus grands attentats du siècle (dont le 11 septembre à Tarragone en février et juillet 2001). Mais ces hommes qui étaient souvent nés au Maroc avaient passé au moins la moitié de leur vie en Europe et avaient été formés là-bas, au sein de cellules internationales.
L'avenir du Détroit en équation
Pour l'heure, aucune bonne surprise lors de ces réunions. Il n'y a pas de révolution à Madrid. Pas de changement de cap. Une rencontre de suivi, banale, sans surprise, peu médiatisée. La patate chaude léguée par el présidente Aznar est encore là.
Elle représente certainement un véritable boulet entre les mains de José Luis Rodriguez Zapatero et de son gouvernement. L'Espagne est, malgré toute la bonne volonté du PSOE, déjà engagée dans un processus militaire irréversible avec l'OTAN, mené par les Etats-Unis, pour quadriller davantage la Méditerranée et notamment le Détroit de Gibraltar. Ce qui suppose des vases communiquants entre les trois dossiers évoqués (immigration-terrorisme-trafic de drogue) dont ils veulent les traiter en pack.
Le proche avenir montrera combien José Luis Rodriguez Zapatero accepte de revenir sur les décisions de son prédécesseur. Il l'a déjà fait brillamment sur la question des troupes espagnoles en Irak. Ira-t-il plus loin ? Le nouvel homme fort de Madrid aurait besoin de pressions internes pour téléguider ses choix politiques. Selon toute analyse, les poussées de changement ne pourront provenir que de l'intérieur de l'Espagne, sur quoi devrait s'aligner l'Union européenne.
Celle-ci a changé de ton depuis l'arrivée de Zapatero et a même fait des promesses récemment pour qu'une nouvelle ère de collaboration, qui prenne en compte le concept d'intégration économique et humaine, soit inaugurée avec le Maroc. Déjà, sur le dossier de l'immigration, où le PSOE avait une vision plus flexible, des changements sont en cours de l'intérieur de l'Espagne. Après les multiples procès contre plusieurs villes qui avaient refusé d'octroyer un permis de séjour à des mineurs, voilà que l'Andalousie porte plainte contre la ville d'El Ejido (localité d'Alméria) et son corps policier, ce 11 mai courant, pour violence, coups et abus de pouvoir à l'encontre des immigrés. Plusieurs dénonciations avaient eu cours sur des pratiques inhumaines dans cette ville à la mémoire triste qui s'est envenimée depuis les attentats de Madrid.
Mais plus important peut-être sur le plan de l'immigration, le tribunal suprême a décidé d'abolir une loi jugée honteuse qui poussait des dizaines de milliers d'immigrés à travailler sans possibilité de déclarer leur état (voir encadré : les immigrés étaient exploités par la loi). Ces exemples de pressions sociales, politiques, syndicales en faveur d'une meilleure approche des fléaux qui gangrènent l'Espagne et le Maroc, seront sans doute nécessaires à présent. A quoi devrait s'ajouter un travail de fond du lobbying marocain qui représente notre Royaume auprès des instances officielles européennes.


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