La mise en place de l'Instance Equité et Réconciliation Parachever la recherche de la vérité sur tous les cas non élucidés de disparition et de détention forcées et préparer la voie à une réconciliation fondée sur la mémoire et la culture des droits de l'homme, telle est la mission dévolue à l'Instance Equité et Réconciliation, pour qui l'avenir prime sur le passé. La mise en place de l'Instance Equité et Réconciliation le 7 janvier dernier par S.M. le Roi Mohammed VI s'inscrit dans la volonté réaffirmée à cette occasion par le Souverain d'“aller toujours de l'avant dans la promotion des droits de l'homme, dans la pratique et en tant que culture”. Cette instance prend la suite de l'Instance indépendante d'arbitrage qui avait procédé à l'étude de plus de 6.000 cas de disparitions forcées et de détentions arbitraires dont les victimes ont été indemnisées. La nouvelle instance a une mission plus élargie : outre les dossiers d'indemnisation soumis au-delà des délais fixés, elle devra effectuer les recherches pour établir sur un plan non judiciaire la vérité sur tous les cas de disparition forcée non élucidés et sur les lieux d'inhumation des personnes décédées. Elle devra aussi veiller à assurer aux victimes de ces épreuves les conditions d'intégration et de réhabilitation ainsi que l'assistance médicale et psychologique nécessaire. Relève aussi de son intervention le règlement des problèmes d'ordre administratif ou juridique non résolus en matière de réintégration professionnelle, en cas d'expropriation, etc. Au terme de leur mission qui devra s'achever dans neuf mois, les membres de cette instance, présidée par Driss Benzekri, présenteront un rapport final sur leurs investigations et leurs conclusions et recommandations. Dans l'optique du Souverain, il s'agit “de poser le dernier jalon sur un parcours devant conduire à la clôture définitive d'un dossier épineux, au terme d'un processus entamé au début des années 90”. Il a rappelé que la toute première décision prise au lendemain de son intronisation fut précisément liée au renforcement de ce processus en matière de droits de l'homme. La décision annoncée le même jour de gracier 33 condamnés (dont des islamistes, des Sahraouis, des militaires et des journalistes) s'inscrit dans la même optique et donne toute la mesure de la constance de ce choix fondamental dans un contexte pourtant marqué par la persistance de menaces terroristes. La vérité avant tout Formée de 16 membres dont huit issus du Conseil consultatif des droits de l'homme et huit autres personnes “connues pour leur intégrité morale, leur probité intellectuelle et leur humanité”, selon l'expression de Omar Azziman, président de ce Conseil, l'Instance Equité et Réconciliation s'inscrit dans la perspective de la réconciliation. Celle-ci implique que la vérité soit établie au maximum sur tous les cas non encore résolus de disparition et de détention forcées. Il ne s'agit pas d'occulter cette vérité mais de faire en sorte qu'elle nourrisse la mémoire de l'histoire troublée des années de plomb et serve à l'éducation des nouvelles générations pour que la culture des droits de l'homme soit profondément intégrée. La mise en place de l'Instance Equité et Réconciliation a été très favorablement accueillie par la plupart des partis et courants d'opinion. Le thème de la Réconciliation avait, cependant, soulevé des objections, voire des commentaires polémiques de l‹a part de certaines associations ou mouvements d'extrême gauche. Ces objecteurs exigent d'une part que l'Etat “présente des excuses” aux victimes des répressions et d'autre part que les responsables de tortures et autres exactions soient poursuivis. Certains ont même été jusqu'à taxer de “trahison” le rôle investi par Driss Benzekri, le caractère excessif de ces propos suffit à les déconsidérer. Comme ce militant déjà terriblement éprouvé par les longues années de détention, l'avait lui-même maintes fois expliqué, il est évident qu'en adoptant de telles mesures, l'Etat reconnaît ses responsabilités. C'est la responsabilité des individus qui fait débat car elle ne saurait relever que d'une procédure pénale, laquelle est affaire de justice et implique que les droits des personnes poursuivies soient préservés. S'engager dans les poursuites d'un grand nombre de personnes serait une entreprise interminable et peu aisée, même sur le plan judiciaire. S'il est évident que l'on doit tenir compte de la sensibilité des victimes, notamment vis-à-vis de certaines responsabilités individuelles, il n'en reste pas moins que l'essentiel n'est pas tant de punir que de reconnaître la vérité et de prémunir la société contre les atteintes aux droits de l'homme. L'essentiel consiste, aujourd'hui, à soutenir la volonté d'enraciner ces droits et de démocratiser l'Etat et la société. Les réformes engagées en ce sens doivent être confortées et poursuivies. Ceci sans oublier que les menaces contre les droits de l'homme et le progrès démocratique émanent, aujourd'hui, des courants extrémistes prônant le passéisme et la violence et dans le cadre de la légalité, elles doivent être combattues et jugulées. L'Instance Equité et Réconciliation, expérience unique dans le monde arabo-musulman, constitue de ce fait un pari sur un avenir nourri par la mémoire du passé et par la volonté de renforcer les progrès de l'Etat de droit.