Arts plastiques Dans une feria de couleurs et de corps, le peintre Houcine Talal revient avec une exposition à la fois sobre, colorée et pleine de non-dits. Une sorte de plongée dans les interstices de l'âme féminine avec un regard très nuancé sur le temps, l'amour… la vie. Ce sont des toiles de mêmes dimensions qui s'égrènent comme les jours de la semaine sur les cimaises du fondouk Baschko. Sans trop s'attarder sur la symbolique du chiffre et sa portée à la fois mystique et religieuse, il y a surtout au fond de cette œuvre dédiée à la femme une forte réminiscence symbolique. Très vite nous sommes placés dans l'univers de Mallarmé, de Strauss en passant par Moreau, Flaubert, Massenet, Huysmans, Laforgue, Redon, Wilde, Beardsley, Klimt, qui ont tous été fascinés par l'image de la féminité aux prises avec la réalité et son corollaire le métaphysique. Nous sommes très proche de l'épisode biblique évasif des Evangiles selon Saint Mathieu (14,11) et selon Saint Marc (6,17) qui relate la danse des sept voiles de Salomé et la décollation de Jean-Baptiste. Qui est Salomé et qui est Jean-Baptiste ? Peut-être bien la silhouette du peintre lui-même laisse entrevoir ce chemin qui mène de la féminité éthérée au périple du saint en quête d'idéal… Talal peint des corps de femmes comme des silhouettes sans attaches, coupées du temps, surélevées, baignant dans un espace intemporel. On devine la continuité de la vie derrière ce vide qui est à la fois la charpente de la toile et sa profondeur. Le peintre comme par un souci de détail ne laisse rien échapper à son pinceau qui pourrait détourner le regard de ces visages révélant une vie intérieure intense et de ses robes épousant des corps défiant les dimensions humaines. C'est tout juste le règne de la beauté et de son attrait qui priment ici. Mais c'est une beauté étrange qui est donnée à voir. Une beauté qui confine au désarroi, au malaise, voire à la mort par moments. Serait-ce encore là le “Qui a vu de ses yeux la beauté est déjà marqué par la mort ? ” très cher aux symboliques ? Sans y voir une évocation certaine à une forme de réflexion à la fois poétique et philosophique sur l'éternel féminin, force est de se remémorer ce que Joris-Karl Huysmans évoque en ces termes : “la femme essentielle et hors du temps, la Bête vénéneuse et nue, la mercenaire des Ténèbres, la servante absolue du Diable”. En effet, la femme de Talal revêt ce double aspect : tantôt fatale, tantôt docile et soumise. Et le monde tangue entre les deux rives où cette femme aux cent visages laisse entrevoir et ses secrets et ses démons. Chez la femme fatale, l'être disparaît sous l'apparence, le corps sous l'artifice, elle stimule l'imagination et fait resurgir le non-dit, dévoile ses recoins secrets. Elle incarne le mystère, l'ambiguïté physique et morale, l'équivoque, le danger qui la guette d'abord avant de menacer son pendant, l'homme ou sa symbolique. Elle devient alors une véritable énigme, elle réagit contre la conception naturaliste de l'amour banal, grossier, ravalé au rang d'instinct. On la devine cruelle, meurtrière, aimante, bacchante sur les traces d'un Dionysos perdu. Son mystère s'accroît quand son visage allégorique défiant son propre masque, le laissant par moment échapper à la vigilance et du peintre et du regard qui le guette, reflète une certaine rêverie mélancolique. Malaise qui devient surdimensionné du moment que l'on se rend compte que le peintre refuse toute illusion de réalité. Chez Talal, la femme est présentée sous toutes ses figures, et sous toutes ses formes : à la fois jeune et sans âge, riche et décadente, robuste et malingre, charmante et cruelle, innocente et coupable… comme dans un rêve de réalité. Houcine Talal expose ses œuvres à Fandouk Baschko, Atelier de Saâd Hassani, à partir du 19 décembre 2003.