Adopté en Conseil de gouvernement, le projet de réforme de l'audiovisuel continue de susciter de vives réactions auprès des observateurs et des professionnels. Que prévoit concrètement ce texte dont les retombées économiques, politiques et culturelles sont notables ? Lecture des principales dispositions. Le secteur de l'audiovisuel a depuis toujours attisé les convoitises des groupes économiques nationaux et étrangers. Le potentiel de développement que promet le secteur ne constitue pas à lui seul l'unique facteur d'incitation à l'investissement. L'impact politique et culturel que peut avoir la communication audiovisuelle sur une nation constitue, aux yeux des investisseurs étrangers notamment, un paramètre déterminant dans l'idée d'investir dans ce secteur. Tant de points qui font que le projet de loi sur l'ouverture du paysage est loin d'être une mince affaire compte tenu de ses multiples implications dans l'évolution d'une société en général. La libéralisation effective de l'audiovisuel est conditionnée par la publication du texte de loi dans le Bulletin officiel. Encore faut-il que le projet y afférent soit adopté par le Parlement et que les amendements qui lui seront apportés requièrent l'unanimité sans grande peine. Le projet de réforme étant aujourd'hui adopté par le gouvernement, c'est donc aux représentants de la Nation de trancher. C'est justement à ce stade que le texte risque de susciter un débat des plus houleux au vu des enjeux qui entourent cette réforme aussi bien sur le plan politique que culturel. Personne n'est en mesure aujourd'hui de s'avancer sur la période d'entrée en vigueur de cette loi. Entre temps, les opérateurs affinent leurs projets pour mieux se positionner et tentent par tous les moyens de s'adapter aux mesures prévues par le projet de loi selon le régime qui leur est imposé. Deux services, deux régimes juridiques Que prévoit concrètement ce projet de loi? “La communication audiovisuelle est libre”, tel est le principe fondateur de ce texte qui précise que cette liberté “s'exerce dans le respect des exigences de service public, des contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication ainsi que de la nécessité de développer une industrie nationale de production audiovisuelle”. En d'autres termes, il s'agit de privilégier les opérateurs locaux ayant une longue expérience dans le domaine. Seuls les montages financiers qui ne placent pas le facteur économique au centre de leurs préoccupations peuvent réussir. Une autre nuance est à mettre en exergue. Celle qui distingue le régime juridique du secteur privé de celui du public. Plus contraignantes, les clauses imposées au service privé sont nombreuses. Concernant les licences, les demandeurs sont tenus au respect des clauses d'un cahier des charges établi par la Haute autorité de la communication audiovisuelle. Cette instance établit l'ensemble des conditions administratives, techniques et financières de la licence. Ces conditions sont fixées au regard de chaque catégorie de services et selon que la diffusion a lieu en clair ou en crypté et selon l'étendue et l'importance démographique de la zone géographique desservie. Les conditions de la licence Le demandeur de la licence doit satisfaire plusieurs conditions. D'abord, être une société anonyme de droit marocain. Ensuite, le tour de table doit être composé d'au moins une personne physique ou morale bénéficiant d'une expérience professionnelle probante dans le domaine audiovisuel. Enfin, cet actionnaire doit détenir ou s'engager à acquérir au minimum 10 % du capital social de la société et de ses droits de vote. Détail important, cet opérateur qualifié ne peut être actionnaire dans une autre entreprise ayant le même objet social. “Contrairement à ce que l'on peut penser, c'est pour veiller au respect du caractère libéral de la loi que cette règle est imposée”, souligne un professionnel. Le demandeur de licence doit également s'engager à conserver un actionnariat stable via un pacte d'actionnariat dont la somme des participations est au moins égale à 51 % des actions et des droits de vote de la société en question. Cette période est déterminée dans le cahier des charges. Dans le cas d'une modification de la répartition de l'actionnariat, l'entrée d'un nouvel actionnaire suppose une autorisation de la part de la Haute autorité. Cette institution veille à ce que cette opération n'entraîne pas une cession indirecte de la licence accordée et à déséquilibrer le secteur. La réponse de l'Autorité doit se faire dans les deux mois suivant le dépôt de la demande. Des garde-fous que la loi impose en toute conscience. Le projet de texte précise qu' “une même personne physique agissant seule ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 51 % du capital ou des droits de vote d'une société titulaire d'une licence relative à un service de communication audiovisuelle par voie hertzienne”. Autre disposition prévue, le titulaire d'une licence, qui n ‘a pas forcément le statut d'opérateur qualifié, a le droit de détenir une participation au capital social d'un autre opérateur ayant le même objet social à condition que sa part ne dépasse pas 30 % du capital. L'objectif étant de respecter le principe de la pluralité des opérateurs et de cerner le risque d'une position dominante sur le paysage audiovisuel. Les modalités d'octroi de licence à des entreprises audiovisuelles dont le capital est détenu en totalité par des étrangers ou des Marocains résidant à l'étranger présentent quant à elles, quelques particularités. Ces opérateurs peuvent formuler leur demande pour la création ou l'exploitation d'un service audiovisuel transmis par le réseau satellitaire à partir d'une zone franche. Leurs structures bénéficieront des avantages de la loi 19-94 propres aux zones franches.A l'instar des nationaux, la licence attribuée à ces opérateurs suppose le respect des modalités du cahier des charges fixé par la Haute autorité de la communication audiovisuelle. Que prévoit le cahier des charges ? Le projet de réforme stipule qu'en cas de pluralité des demandes ayant pour objet la même offre de services audiovisuels ou la couverture de la même zone géographique, l'autorité de la communication audiovisuelle doit recourir à un appel à la concurrence. Elle arrête le règlement pour veiller à la non-discrimination et la transparence. Ce document comporte plusieurs points. Figurent en premier lieu l'objet de la licence, sa durée et les modalités de sa modification ou de son renouvellement. Sont à citer en outre, la contrepartie financière fixée pour l'octroi de la licence, le montant des redevances (affectées au fonds de la promotion du paysage audiovisuel national comme le stipule la loi de Finance), les conditions du recours à la publicité, les modalités techniques de l'émission ou de la transmission et les prescriptions exigées par la défense nationale et la sécurité publique. En attendant l'entrée en vigueur de cette loi, plusieurs professionnels du secteur estiment que dans un premier temps, on assistera à la création de stations de radio.Ceci étant, même au sein de la formation audio, certaines radios régionales peineront à atteindre rapidement leur seuil de rentabilité. Le pouvoir d'achat d'une région en détient le mot-clé. D'un autre côté, en préalable à l'adoption définitive de la loi, la Haute autorité de l'audiovisuel ne chôme pas. Elle a du pain sur la planche car elle devra assumer la lourde tâche de veiller au respect par les opérateurs des clauses des cahiers des charges. Tout dépendra des moyens mis à sa disposition et de sa méthodologie de travail. L'expérience étrangère a démontré la difficulté de cette mission. Son travail en amont doit d'ores et déjà commencer. Quelle place pour le service public ? Comment le service audiovisuel public affrontera-t-il l'arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché? D'accord, il bénéficiera toujours des subventions de l'Etat, mais est-ce suffisant pour résister à la concurrence qui s'avère agressive. D'autant plus que les opérateurs nationaux ne peuvent plus compter sur le niveau des recettes publicitaires actuelles pour financer leurs programmes. Le marché publicitaire, rappelons le, connaît depuis deux ans une stagnation. Avec l'ouverture du paysage, les annonceurs auront plus de choix en termes de supports. C'est l'audience qui fera la différence. Autant de considérations ayant amené les auteurs du projet de loi à prévoir des mesures pour permettre aux opérateurs nationaux (la RTM transformée en société nationale de radio et de télévision et Soread-2M) d'assurer la mission de service public dans de bonnes conditions. Dans ce sens, des contrats programmes annuels ou pluriannuels seront conclus entre l'Etat et ces sociétés. Ces contrats fixent les objectifs à réaliser et les ressources à mettre en œuvre pour répondre à plusieurs obligations notamment de contenu, de couverture nationale et du respect des standards technologiques, lit-on dans le texte de loi. Quant au financement alloué, il doit correspondre au coût effectif découlant du respect de ces obligations. A l'image des opérateurs privés, les chaînes nationales seront soumises au respect des conditions prévues dans le cadre d'un cahier des charges spécifique. Il s'agit, entre autres, des modalités de programmation des écrans publicitaires ainsi que de la part maximale de publicité pouvant être détenue par un seul annonceur, des conditions de parrainage des émissions. C'est donc une nouvelle vision du service audiovisuel qui se profile. Le financement des chaînes dépend en large partie du respect des cahiers des charges et des objectifs tracés par les contrats-programmes.