Voici les principaux épisodes ayant ponctué le débat sur le voile «islamique» et la laïcité depuis l'intervention de la première "affaire de foulard" à Creil en 1989 jusqu'au rapport de la commission Stasi remis jeudi 11 décembre à Jacques Chirac, en passant par les grandes étapes de la jurisprudence du Conseil d'Etat. • Octobre 1989 : Le principal du collège Gabriel-Havez de Creil (Oise) refuse l'accès de son établissement à deux adolescentes de 14 ans, d'origine marocaine, couvertes d'un foulard. Devant le refus des jeunes filles d'obtempérer, il se tourne vers le ministre de l'Education nationale de l'époque, Lionel Jospin. Ce dernier saisit à son tour le Conseil d'Etat pour consultation. • Novembre 1989: Le 27 du même mois le Conseil d'Etat rend donc son premier avis sur la question du foulard "islamique" à l'école, plus généralement sur la compatibilité du port d'un signe d'appartenance religieuse avec le principe de laïcité. Un avis qui donne plutôt raison aux jeunes filles, en estimant que le port de signes religieux "n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité", en l'absence de provocation, prosélytisme ou toute autre perturbation des cours. Par cet avis, la plus haute juridiction administrative française donne le coup d'envoi de sa jurisprudence sur le sujet, une jurisprudence qui restera constante au fil des années, même quand elle sera amenée à la préciser dans ses avis et arrêts ultérieurs. • Rentrée 1990 : Nouvelle "affaire" de foulard "islamique", cette fois au collège Jean-Jaurès de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), où des jeunes filles musulmanes refusent d'ôter leur foulard. Avant de prendre des mesures d'exclusion, le conseil d'administration de l'établissement prend soin d'insérer dans le règlement intérieur du collège un article interdisant "tout signe distinctif, vestimentaire ou autre, d'ordre religieux, politique ou philosophique". Les parents des trois élèves exclues sur la base de cet article saisissent à leur tour la justice. • Novembre 1992 : Deux ans après les faits, le Conseil d'Etat rend son arrêt dit "Khérouaa" concernant l'affaire de Montfermeil. Là encore, la plus haute juridiction administrative donne raison aux parents des jeunes filles voilées, en annulant à la fois l'article incriminé du règlement intérieur et les mesures d'exclusion. Dans ses motivations, le Conseil d'Etat juge "illégale" une interdiction générale et absolue des signes d'appartenance religieuse au sein des établissements. • Mars 1995 : Une nouvelle affaire de voile au collège Xavier-Bichat de Nantua (Ain) permet au Conseil d'Etat d'affiner encore sa jurisprudence. Deux soeurs musulmanes avaient été exclues de ce collège à l'automne 1993 parce qu'elles refusaient d'ôter leur foulard en cours d'éducation physique. Des manifestations de soutien s'étaient déroulées devant l'établissement. Dans son arrêt dit "Aoukili" (10 mars 1995), la juridiction administrative a rejeté la requête des parents des collégiennes exclues, en expliquant que "le port de ce foulard est incompatible avec le bon déroulement des cours d'éducation physique", que leur refus de le retirer a entraîné des "troubles" dans la vie de l'établissement, troubles "aggravés par les manifestations auxquelles participait le père des intéressées à l'entrée du collège". • Novembre 1996 : Dans son arrêt dit "Ligue islamique du Nord", le Conseil d'Etat confirme l'exclusion du lycée Faidherbe de Lille, à l'automne 1994, de 17 élèves qui portaient le foulard. Encore une fois, la juridiction administrative motive sa décision par le trouble à l'ordre public. • Octobre 1999 : Dans un nouvel arrêt, le Conseil d'Etat rappelle la nécessité pour les élèves voilées d'ôter leur foulard durant certains cours (disciplines sportives, physique-chimie, technologie), mais souligne qu'un foulard "islamique" ne constitue pas en lui-même un signe ostentatoire. • Février-Mars 2002 : En février, une élève du lycée Léonard-de-Vinci de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) est exclue de l'établissement pour refus de retirer son foulard. Quelques semaines plus tard, elle est réintégrée sur décision du rectorat. Aussitôt, la quasi-totalité des enseignants du lycée se mettent en grève pour protester contre cette réintégration alors même que la jeune fille porte toujours son voile. Après une semaine de grève, un compromis est trouvé: l'adolescente accepte de remplacer son foulard long et noir par un voile plus discret et de couleur claire, qui laisse apparaître son front et ses oreilles. • Année 2003 : Le débat déborde de l'Education nationale et du cadre juridique. Devant la récurrence des affaires de voile, nullement ralentie par la jurisprudence du Conseil d'Etat, le monde politique s'empare de la question du foulard "islamique" sous l'angle du respect de la laïcité à l'école. • Avril : Le 19, le ministre de l'Intérieur et des Cultes, Nicolas Sarkozy, est hué lors de son discours devant le congrès de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) réuni au Bourget, en évoquant la question du foulard et en rappelant l'obligation pour tous de présenter une photo d'identité avec la tête nue. Le 22, le ministre de l'Education nationale Luc Ferry annonce son intention de préparer une nouvelle loi d'orientation sur l'éducation, destinée à remplacer celle de 1989, avec l'objectif affiché de "réaffirmer très fermement les principes de la République et de la laïcité" face à "la montée des communautarismes". • Mai : Le 3, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin n'exclut pas de recourir à la loi, "si nécessaire", pour "redonner toute sa force à la laïcité", sans vouloir ouvrir un "conflit inutile" sur la question de l'interdiction du foulard islamique à l'école. Le 22, Luc Ferry juge "souhaitable de légiférer" sur le port du voile et des autres signes religieux à l'école. Il changera d'avis par la suite. • Juin: Le 4, le président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré met sur pied une mission d'information parlementaire sur les signes religieux à l'école, constituée d'une trentaine de députés de tous les groupes représentés au Palais Bourbon. Cette mission se fixe pour objectif de faire un "état des lieux" et d"'éclairer" le gouvernement sur la nécessité ou non de légiférer sur la question des signes religieux à l'école. • Juillet: Le 1er, le président Jacques Chirac, "garant de la cohésion nationale", charge le Médiateur de la République, Bernard Stasi, de former une commission de réflexion sur "l'application du principe de laïcité dans la République". • Octobre : Nouvelle affaire de voile, cette fois au lycée Henri-Wallon d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), duquel sont exclues le 10 octobre deux adolescentes musulmanes, Lila et sa soeur Alma, en raison de leur refus d'ôter leur foulard. Le gouvernement et le Parti socialiste approuvent ces exclusions. Le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples), qui soutenait les jeunes filles, déplore une décision qui "va crisper les réactions". L'avocat des deux soeurs annonce son intention de contester l'exclusion devant la justice. Le 31, Bernard Stasi, président de la commission sur la laïcité, s'exprime pour la première fois sur le sujet, en estimant que le foulard islamique "est objectivement un signe d'aliénation de la femme". • Novembre Le 28, après des semaines d'opinions contradictoires exprimées par ses différents responsables, l'UMP (droite), parti majoritaire, propose "au besoin" d'adopter une "disposition législative prohibant explicitement le port ostentatoire de tout signe politique ou religieux dans les écoles, collèges et lycées de l'enseignement public". Cette prise de position a été rendue possible par le ralliement, certes du bout des lèvres, de Nicolas Sarkozy à l'idée d'une loi "juste". Le même jour, Jean-Pierre Raffarin laisse entendre que le gouvernement a l'intention de légiférer sur la question du port des signes religieux à l'école. "La décision législative que nous choisirons sera bonne si elle protège les femmes, toutes les femmes, de toutes les contraintes du fondamentalisme", explique le Premier ministre. • Décembre : Le 5, en visite en Tunisie, Jacques Chirac laisse entrevoir sa préférence pour une loi destinée à "faire respecter le principe laïc" car "on ne peut pas accepter des signes ostentatoires de prosélytisme religieux, quels qu'ils soient, quelle que soit la religion". Le 11, la commission Stasi remet son rapport au président Chirac.