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Rabih, numéro d'écrou 25320
Publié dans La Gazette du Maroc le 06 - 10 - 2003


Dans le couloir de la mort
Jawani Rabih n'est pas un prisonnier comme les autres. Il arpente les couloirs sombres et froids du quartier B,
le couloir de la mort avec quelques idées en tête. D'abord, il est convaincu d'être un génie, ensuite il écrit, il parachève une œuvre “maîtresse” de calligraphie arabe sur la base d'un nouveau concept mis en oeuvre par ses soins et sa grande ingéniosité. Il se dit aussi innocent mais avoue avoir trempé dans un complot qu'il regrette amèrement. Sinon, le reste est un vague va-et-vient entre amnésie et larges éclaircies de l'esprit. Rabih demeure un cas à la Prison centrale de Kénitra
qui jongle avec le passé et l'avenir.
Il faisait lourd à l'intérieur de la Prison centrale de Kénitra. L'atmosphère dégageait «un je ne sais quoi de bizarre» qui rendait les gens un tantinet excités. Les prisonniers faisaient leur ronde habituelle, un pied devant l'autre, le pas lent, comme au ralenti, suspendu pour narguer ce temps qui ne veut pas passer. Dans le tas, une silhouette qui gesticule, dans une pantomime très particulière et qui semblait très étudiée. C'était un détenu qui expliquait à un autre comment ne plus penser aux heures. Les gestes appuyés et les mains qui voltigeaient étaient des signaux
pour marquer des lisières entre le temps de tous et le temps selon lui, eux, tous les condamnés à mort. Intrigué, je lance : “et c'est quoi la différence ?”. Il marque une pause pour jauger cette tête qui s'est pointée sans sommation devant lui pour lui poser une question aussi stupide :
“il n'y en a pas en réalité, mais c'est moi qui crée le temps aujourd'hui. Mes heures sont d'ailleurs plus courtes que les tiennes et forcément la journée aussi. Mais si tu veux creuser, tu finiras par comprendre que c'est là une affaire individuelle, le temps. Oui, chacune sonne à son heure, suit son rythme, jette-t-il d'un air docte avant de conclure : si tu comprends ceci tu as déjà résolu une grande partie de ta vie”. Philosophie de bas étage ? Tergiversations sur le thème de l'être et du temps ? Tractatus logico-métaphysicus ? Non, le bonhomme savait de quoi il parlait et tout le reste, mes explications, mes interrogations et celles de tout le reste de l'humanité n'étaient pour lui que vaines élucubrations de l'esprit.
Le théoricien du temps se détourne et continue son cours sur les affaires de Chronos et autres divinités connues de lui seul. C'est à ce moment-là que Jawani Rabih apparut au tournant de cet escalier qui mène vers une réserve humaine où ce même temps, cette fois, le vôtre, le mien, traînait la patte, s'attardait dans des détails franchement insignifiants.
Avant d'arriver, il est pris au vol par l'ami connaisseur, l'homme qui gesticule pour esquiver le temps : “tu as rendez-vous aujourd'hui pour parler de ta vie. Si j'ai un conseil à te donner, c'est de bien creuser là-dedans (il pointait son front) pour nous sortir une de tes idées brillantes”. Jawani sourit, acquiesce et fait un clin d'oeil entendu à son acolyte. Nous sommes dans la pièce qui sert de salle de réception. Cette fameuse pièce où les dessins représentant Mickey Mouse et autre Donald Duck est pour le moment oubliée, nous sommes encore une fois au siège des œuvres sociales de la Prison centrale de Kénitra. Les bureaux jonchés de paperasses, des tableaux aux murs désignant les noms des détenus étudiants qui s'escriment pour enlever un autre diplôme et une bouteille d'eau pour nous désaltérer au cas où la rencontre venait à prendre beaucoup de temps(le nôtre !).
Rabih est un homme de taille moyenne, très mince, la peau mate, le visage passé au soleil de l'hérédité et une allure pour le moins légèrement cocasse.
Rabih, l'inventeur
Dans son attitude, il y avait quelque chose de superficiel, de surfait, une volonté certaine d'impressionner ou de faire bonne figure. Il sourit. Le même sourire qu'il avait accordé à son pote dans le couloir, la même bouche qui se tord légèrement, le même regard espiègle de celui qui en sait beaucoup sur les hommes et qui tient à vous le faire savoir dès les premiers instants. Il s'était rasé de près non pour l'occasion mais il tenait à faire propre en bas dans le long couloir de l'oubli.La chemise bien qu'usée avait cette couleur qui sentait un homme qui essayait par tous les moyens de s'entretenir. Il ne tenait pas en place. Dès son arrivée et juste après le sourire de circonstance, il a entamé son travail de spéléologue dans les âmes des autres. Cela devait être une vieille habitude qu'il a peaufinée derrière les murs de la prison. “Avant de dire quoi que ce soit, je tiens à vous montrer quelque chose. Regardez, jugez-en vous-mêmes, n'est-ce pas un chef-d'œuvre, une trouvaille ? Je suis le seul au monde à avoir pensé à cela. C'est une révolution”.
La grande trouvaille était un ensemble de dessins calligraphiques qu'il a pris soin de présenter de belle manière. On y trouvait de tout, du Coran, des slogans publicitaires, des noms de clubs de sports, des noms d'animaux… le tout décliné selon le même principe scriptural. Il était question donc de pingouin qui servait d'ossature aux textes écrits. “C'est cela la nouveauté dans l'histoire de l'écriture arabe. Personne n'a pensé à cela. Personne n'a osé le faire avant moi. Avouez que c'est beau !”
Rabih était un autre homme, plutôt un enfant qui a inventé son propre jouet et qui a jeté aux oubliettes du temps tout ce que la main de l'homme avait jusque-là créé. Les yeux étincelaient, le corps pris dans une tornade de sensations, il avait, pendant cinq minutes recouvré sa liberté. Il avait fracassé la tête du temps, déjoué les rêts du sort et fait un joli croche-pied au destin. Il jubilait littéralement. “Non, laissez-moi vous montrer ceci, non, cela et ceci encore…”. J'ai cru que Rabih n'allait plus en finir. Je lui ai demandé s'il comptait enregistrer son invention et s'il voulait publier son livre de dessins. “Et comment. Il faut juste que je sorte d'ici ou alors que quelqu'un vienne me voir pour que le monde se rende compte de ce qui j'ai créé. Moi je n'ai pas perdu de temps ici. J'ai travaillé tous les jours pour mettre au point cette contribution à l'art arabe et humain”. Rabih était sérieux. Il croyait dur comme fer que c'était donc là la porte de la gloire qui avait ouvert ses battants pour le faire connaître au monde. Il s'imaginait déjà en Egypte, en Irak, en Syrie et ailleurs en train d'expliquer aux autres théoriciens de la calligraphie arabe le pourquoi du comment et toute l'intelligence cachée derrière ses dessins. Impossible de lui poser une autre question, d'aborder un autre sujet. Il tenait en main son quart d'heure de gloire et il ne voulait plus le lâcher.Cela durait une bonne demi-heure où Rabih a visité le monde, rendu service à l'humanité, recouvré la liberté et libéré l'art arabe de sa sclérose…
Tout est question de mémoire
Quand on en est venu au chapitre de la vie réelle, la sienne propre, celle qu'il porte dans ses tripes et sur le dos, Rabih s'est renfermé. Il a retrouvé une mine renfrogné d'un garçon à qui on a retiré son plus beau jouet par un bel après-midi ensoleillé sur la plage.Il avait l'air de dire qu'il ne comprenait pas en quoi sa vie pouvait être plus importante que sa création, que ce don qu'il veut offrir aux humains. Il était presque outré par mon attitude coupant son élan pour le ramener sur terre. C'est à contrecœur que j'ai eu des réponses à mes questions les plus banales. On sait donc qu'il a vu le jour un certain 3 mai 1963 à Douar Jâawira, à Oujda. On sait que son père, Mokhtar, est mort il y a à peine quatre mois, que sa mère était originaire de Berkane et qu'elle avait 63 ou 65 ans.
C'est là que l'un des principaux traits de caractère de Rabih commençait à se préciser. Le jeu avec la mémoire. Les amnésies volontaires ou accidentelles. La volonté de biaiser, de faire comme si l'oubli avait frappé sans prévenir. Rabih se perdait dans les dates. Arrivés au volet frères et sœurs, les choses se compliquent sérieusement. Rabih ne sait plus combien ils sont. Dix, vingt, deux, pas de frères ni de sœurs ? Il est empêtré dans une sorte de calcul mental pour démêler le vrai du faux. Il se met alors à citer pour lui des noms qu'il efface du même coup n'étant pas sûr de leur existence ou de leur filialité : Ahmed né en 1958, Zohra en 1965, pour ceux-ci c'est sûr. Rabih est catégorique.Restent Omar, Mohamed, Fatéma, Rahma, Aïcha, Abdelkrim et deux ou trois autres frères et sœurs dont il a oublié les noms. Oui, un trou de mémoire, un immense trou comme celui de la couche d'ozone qui le sépare désormais de son sang. Impossible à croire, mais tout à fait vrai. Pendant un bref instant, j'ai cru qu'il était en train de blaguer, de s'adonner à un jeu bizarre pour faire l'intéressant. Non, c'était la réalité : Rabih avait égaré les noms de siens quelque part sur le chemin de sa vie. Et puis il y a d'autres frères ou sœurs qui sont morts jeunes, l'un à deux ans, l'autre à dix-sept jours en Algérie. C'est là que l'entretien avec lui prend d'autres tournures. Que vient faire l'Algérie dans cette histoire ? “Ah je ne vous ai pas dit, mais nous avons tous vécu quelques longues années à Oran”…Oran alors ! Et la vie du détenu qui se met à défiler par pans entiers oubliés et repris à la mémoire cachée. Il se rappelle soudain qu'il a été au collège Inb Tachfine qu'il quitte en 1983 donc à vingt ans. Je lui fais remarquer qu'il était impossible, à moins d'être le dernier des cancres, de rester au collège jusqu'à un âge aussi avancé. Il fait semblant de ne pas avoir entendu ce que je lui disais et enchaîne sur d'autres souvenirs : l'annexe, le lycée Bouhafs… etc. Il lâche dans la conversation comme s'il s'agissait d'un simple détail anodin qu'il a tout de même vécu presque 35 ans à Oran.Rien que ça, trente-cinq années effacées, mises sur le côté comme s'il s'agissait d'une journée amère que l'on veut oublier pour ne pas avoir à la porter dans sa mémoire. Pourquoi un tel oubli, une telle amnésie ? Rabih reste de marbre. Il écarquille les yeux comme pour dire : “mais ce n'est rien, pourquoi cela vous choque-t-il que je ne me souvienne plus de 35 ans de ma vie. Ça arrive, la preuve !”.Le reste de la rencontre sera mis sur ce compte. Il m'a fallu aiguillonner ses souvenirs pour ne pas lâcher le fil d'Ariane qui pouvait nous aider à trouver une piste fiable sur ce chemin de négations volontaires et de vides non comblés. Il a donc travaillé à Oran avec l'un de ses frères. Lequel ? Il ne sait plus. Peut-être Ahmed ou Mohamed. Il a aussi écrit un scénario avec un personnage nommé Houidek à Oran avant d'aller enseigner à l'école Al Fatih d'Oran où il avait un cours de CM2 qu'il dispensait entre 1982 et 1983.Encore un énorme trou de mémoire. S'il a lui-même quitté le collège en 1983 comment aurait-il pu être enseignant la même année ? Il dit que ce n'est peut-être pas la bonne date “mais peu importe. J'ai enseigné, c'est vrai”.
Le rançonneur est néAvant de quitter Oran pour revenir au Maroc où il avait de la famille, Rabih s'était lancé dans le commerce pour très vite se faire une situation. Mais ça n'avait pas marché. Il n'avait pas le cœur d'un bon commerçant : “j'ai tout perdu et puis je buvais, je sortais beaucoup, il y avait les femmes et tout le reste, alors les affaires, ce n'était pas ça du tout”.Rabih se casse la gueule et décide de rentrer au pays pour se refaire une santé financière. Nous sommes donc en 1988. Le retour se solde vite par une nouvelle période de perdition : les femmes, l'alcool et le capital est très vite englouti. Là non plus les détails de sa vie ne sont pas précis. Il faut l'aider, marcher avec lui au pas pour qu'il s'y retrouve. Presque dix ans où il fonde une famille, devient père de trois enfants, sans jamais trouver un véritable travail.En 1997, il ouvre un nouveau commerce qui périclite encore une fois. Il décide alors de devenir fellah. Retour aux sources, la mère terre, la bonne nourricière qui va le sauver. Ça ne marche pas non plus. Ni les produits alimentaires, son premier business, ni les petits boulots à la petite semaine, encore moins le labeur du sol, rien n'y fait.Rabih est un artiste et c'est peut-être là le secret de son échec cuisant partout. Ce qu'il fera pendant les deux années qui le séparaient du crime pour lequel il est condamné à mort, il ne le sait pas non plus : “rien, je n'ai rien fait, j'ai bu et j'ai roulé ma bosse et j'ai aussi beaucoup pensé”. Rien de plus. Rabih risque encore une fois de sombrer dans le vide et l'oubli, mieux vaut nous en tenir à ce qui est sûr et semble couler de source.Pendant tout ce temps où Rabih ne semblait pas voir la vie filer, il y avait un cousin avec qui il sortait souvent. Le cousin en question s'appelle Jawani Mimoun et purge la même peine à Kénitra dans le même quartier B que son cher cousin Rabih.Le cousin avait aussi ses loisirs. Il aimait aller chasser la pintade et la perdrix. Un bon pisteur, dit-on qui adorait les grandes plaines, le vide pour s'adonner à son loisir favori. Mais il avait aussi l'habitude de se faire accompagner par des gamins. La chasse n'avait pas le même goût sans la présence d'un joli petit chérubin pour donner un cachet plus jovial à la fête faite aux oies.
Des scenarii pour la RTM
Deux mois avant le crime et l'arrestation de Rabih, Mimoun avait déniché un gosse de 14 ans qu'il emmenait avec lui en dehors de la ville, dans la forêt pour pister les oiseaux. “Un jour il avait offert une perdrix à la famille du gamin pour qu'elle le laisse aller chasser avec Mimoun. Moi, je ne suis jamais allé avec lui. Je l'attendais, et on faisait des plats avec le gibier.” Mimoun est venu un jour dire à Rabih que le lendemain il était de sortie pour aller chasser dans la forêt. Ils se sont donné rendez-vous comme d'habitude à la sortie de la ville au moment du retour du grand chasseur en ville. Rabih attendait : “je ne savais pas où il était parti chasser, mais je savais comme d'habitude que j'allais le rencontrer à son retour en dehors de la ville. On avait coutume de marcher ensemble avant d'aller préparer le dîner”. La famille qui avait reçu la perdrix est confiante. Elle laisse l'enfant accompagner le maître chasseur. Rabih, lui, dit qu'il a passé cette journée en ville à attendre la fin de l'après-midi pour aller rencontrer le cousin. Quand ce dernier arrive, il est affolé : “je ne savais pas ce qui s'était passé. Mimoun avait peur et m'avait dit que le gamin était mort et qu'il fallait aller le dire à sa famille”.La chasse a mal tourné. Il y a un gros problème à résoudre. Rabih se souvient : “je lui ai dit de se calmer et que j'allais arranger tout cela. Je lui ai demandé de me donner le numéro de téléphone de la famille pour lui parler avant d'appeler la police pour régler cette sombre affaire. Mimoun m'a donné le numéro et il est rentré en ville”. Et c'est là que Rabih, qui a pris le temps de penser à sa misère, à l'argent qu'il avait perdu , aux affaires qui avaient capoté, a une idée lumineuse : “je me suis dit que c'était là une occasion pour se faire de l'argent. J'ai appelé la famille en lui disant que j'étais un grand bandit, un voleur dangereux et que j'avais kidnappé son fils. Je lui ai dit que si elle voulait le récupérer, il fallait me payer une rançon de 16 millions de centimes. La famille a eu peur et m'a dit O.k. Mais je devais encore la rappeler pour être sûr”. Quand on lui pose la question pourquoi il a pensé à un tel scénario, il répond que c'était l'occasion de sa vie. Pourtant un gamin était mort, une vie humaine, un gosse innocent qui est tombé on ne sait où et qu'il fallait au moins avertir les parents affolés. “J'étais sûr du coup, dit-il très détaché comme s'il s'agissait de l'un des détails oubliés de sa vie. Entre temps, le cousin était, selon les dires de Rabih, sûr que les parents avaient été avertis. Et comme il n'a pas vu la police débarquer, il s'était dit que tout allait bien. Sauf que Rabih, lui, était en train de travailler son scénario.Les parents ont fini par perdre espoir et sont allés avertir la police qu'il y avait une bande de criminels qui avait kidnappé leur enfant et demandait une rançon. Les policiers ont vite appris que l'enfant était parti à la chasse avec Mimoun. On vient chercher le cousin de Rabih qui raconte toute l'histoire. Et Rabih était encore sur son nuage sûr d'empocher les 16 millions quand la police est venue l'arrêter. Là, la mémoire a été très vite remise en place : il dit tout, raconte comment il avait grossi la voix pour que la famille ne le reconnaisse pas, comment il avait pensé à ce scénario…Rabih révélait tout ce qu'il avait dans le ventre. Il est sur le champ accusé de meurtre, de kidnapping, de demande de rançon et de constitution d'une bande criminelle. “Je n'ai tué personne, je ne savais même pas où le corps était jeté, mon tort était d'avoir voulu gagner de l'argent pour me refaire une santé.”, raconte-t-il comme si toute cette histoire était étrangère à sa vie. Il est arrêté en juillet 1999 à Hay Si Lakhdar où l'on se rappelle encore des détails de l'affaire de ce garçon, tué et jeté dans un puits, de cette bande qui voulait rançonner les gens et tant d'autres histoires sur l'éventuel viol du gamin par le chasseur qui, voulant masquer son crime, a fini par le tuer et le jeter dans un puits…
Rabih est dans le trou à la prison civile d'Oujda où il passera huit mois avant d'être condamné en 2000 à la peine de mort. Il sera très vite transféré à Kénitra où il est aujourd'hui en train de travailler à d'autres scénarios pour la télévision marocaine : «qui vont révolutionner le paysage médiatique au Maroc». Sans oublier d'autres inventions comme cette machine qui fera en sorte que la pluie tombera du ciel grâce à l'énergie solaire et d'autres trouvailles de génie que Rabih nous donnera un jour en tribut pour toute une vie entre amnésie et oubli.


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