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Le cas Mustapha Echatar
Publié dans La Gazette du Maroc le 28 - 07 - 2003


Qui sont les inculpés ?
Le jour du procès du groupe de Rabat approche. Prévu le 26 septembre prochain, il risque de faire plonger plus d'un et surtout de lever le voile sur d'autres projets et attentats qui visaient le cœur même du pays et sa capitale. Près de trente personnes sont arrêtées après les aveux des deux sœurs jumelles Imane et Asmae Laghrissi. Celles-ci doivent prouver leur innocence ou alors donner plus d'explications sur les différentes ramifications de la Salafiya Jihadiya qui sous-tend les affaires de crimes, de meurtres et de préparatifs à des attaques suicides. Dans le désormais célèbre Jbel Raïssi, à Hay Al Inbiât, nous avons rencontré d'autres familles d'inculpés, leurs amis de tous les jours. Nous avons cherché à les connaître, à scruter les moindres recoins de leur vie avant les arrestations pour les rapprocher de l'opinion publique, faire la lumière sur des personnages que l'on avance comme des criminels en puissance. Retour dans un quartier populaire qui vit depuis plus d'un mois au rythme du jihad et des jihadistes.
A deux pas de la mosquée de Hay Al Inbiât, là où Imane et Sanae Laghrissi avaient leurs habitudes, là où elles devaient rencontrer tous les autres individus inculpés dans cette affaire, partager des moments passionnés en leur compagnie sur fond de révisions très poussées des sacro-saints préceptes du "véritable islam" et autres notions takfiristes pour punir une population égarée et surtout corriger "les erreurs d'une nation Taghout"; c'est donc là qu'habite Mostapha Echatar que les deux jumelles ont désigné comme membre de leur groupe. Avant d'y aller, nous avons cru bon de faire un détour par la fameuse mosquée, ce lieu saint où normalement l'amour doit être un credo, où le respect de l'autre, de tout être humain doit être la valeur suprême tel que cela est dit dans ce même Coran que tout Musulman a au moins une fois ouvert un jour. Les mines sont graves, les sourires semblent figés dans une espèce de torpeur qui en dit long sur les prédispositions des fidèles à recevoir les gens et leur parler un peu de cette religion, pourtant très claire, qui aujourd'hui devient le nerf de guerre d'une partie de la population qui veut en faire un autre usage.
Badauds et autres balourds sont là devant la porte principale faisant parfois office de videur et de premier contact. Non loin, tout au long de l'édifice et devant les deux grandes portes de la mosquée, se tassent des vendeurs ambulants et des gosses en bas âge qui proposent de tout : chapelets, parfums d'Arabie, musc et ambre, éditions de Coran de poche, cassettes audio, fringues, culottes, caleçons, chaussettes, légumes, fruits et autres friandises… Au cas où notre visage ne leur revenait pas, nous étions bons pour une belle brimade et un oust en bonne et due forme. Dans le cas contraire, il faut espérer tomber sur un Musulman accueillant qui ait envie de partager un moment de calme sans accros ni invectives avec un autre qui serait selon lui "moins" Musulman, sur la base d'un partage commun qui est ce Coran et ce Dieu qui nous est témoin. Bref, la balade devant la mosquée réservait son lot désagréable de surprises. "Qui ? Mostapha Echatar ? Connais pas. Et puis, c'est quoi cette manière de venir dans la maison de Dieu pour faire les mouchards ? Vous avez fait vos ablutions ? Ah Bon ! Et que faites-vous ici ? Sortez, maudit soit Satan, sortez…" Le jeune homme est très remonté. Sérieusement en colère. Nos têtes ne lui reviennent pas du tout. Au bout d'un moment, il revient, le visage rembruni de colère. Il commence à nous réciter un verset, très long du Coran et appelle les gens à ne pas nous parler. "Ils vous veulent du mal, ne leur dites rien, ils veulent nous séparer pour mieux nous affaiblir…"
Dans le long chapelet copieux, nous avons retenu une comparaison avec les Juifs, une autre avec les Européens aliénés et une troisième avec les suppôts du diable qui, un jour, va nous emmener droit au feu des enfers. Des hommes s'interposent entre le virulent clone d'Abou Hamza Al Masri, le fameux sbire de la mosquée de Finsbury à Londres, et nous. "Partez mes enfants et revenez plus tard. Il faut éviter les problèmes".
En nous exécutant, nous avons lancé : “il faudra donc nous tuer tous pour laver de notre sang la honte de l'Islam, n'est-ce pas monsieur l'orateur ?". Le "oui" qui a surgi dans la foule était presque surréel. Le jeune homme à la dégaine étrange, au regard fielleux et aux gestes hystériques aurait pu à n'importe quel moment se saisir d'une grosse pierre pour fracasser nos crânes de "mauvais Musulmans". Quand un bonhomme est venu nous parler pour calmer les ardeurs de son acolyte, le méchant garçon s'est éclipsé comme si la terre l'avait avalé, comme s'il était revenu continuer son discours avec une communauté secrète, sous terre, loin des yeux, dans les fins fonds des cercles de la haine.
Derrière la mosquée, au milieu d'un terrain laissé en friche qui se transforme en marécage pendant l'hiver, nous rencontrons enfin Tahar, un jeune homme du coin, qui accepte d'éclairer nos lanternes. A l'évocation du nom de Echatar, notre interlocuteur tique, se racle la gorge comme s'il allait dire quelque chose de grave et d'important, nous regarde longuement dans les yeux pour sonder nos intentions. Il commence par dire : "Mustapha, c'est à peine si je le connaissais…", pour préciser qu'il ne le fréquentait pas à la mosquée, mais dans un café non loin de la demeure des Echatar, où le prévenu avait parfois l'habitude de s'asseoir. Il nous le décrit : "c'est un jeune homme très timide et serviable. Il était discret dans le quartier, gentil avec tout le monde". Tahar, sans hésiter, nous annonce que Mustapha ne saurait faire du mal à une mouche. Il ajoute sur un ton qui montre que tout le monde, ici, est dépassé par cette histoire abracadabrante, où des fillettes nubiles deviennent des bombes, des vendeurs de saucisses et des poissonniers des "révolutionnaires" d'un autre genre : "seul Allah connaît la vérité et ce qui se cache réellement dans le cœur des hommes". Mustapha allait régulièrement à la mosquée, mais ce n'était pas non plus un habitué des lieux. Il venait de temps à autre et essayait de ne pas rater les prêches du vendredi qui étaient dispensés dans la mosquée Al Wahda avec l'imam Nafae. "Mustapha était un jeune homme qui ne savait pas quel chemin il devait prendre. Il me donnait l'impression de quelqu'un un peu égaré dans les tourmentes de la vie", dit notre interlocuteur.
L'ombre de Mustapha
Plus loin, en s'approchant de la demeure de la famille Echatar, nous décidons de faire une halte dans une échoppe pour demander après Mustapha. L'image qui se profile dans nos esprits est aux antipodes de nos attentes de ce matin, lorsque nous pensions tomber sur un méchant individu qui aurait été la terreur des filles du quartier et la hantise de la police. Rien de tout cela ne vient déranger les souvenirs tissés par les gens sur la personne du prévenu : "Mustapha un islamiste intransigeant ? Non, je ne crois pas…", raconte cet épicier d'un âge avancé qui a vu certainement naître Mustapha dans le quartier. C'est un "garçon qui a grandi comme tout le monde, il fréquentait les voisins, riait beaucoup avec les uns et les autres. C'était un homme qui ne se faisait pas trop remarquer dans le voisinage". L'épicier est un vieillard, les 70 ans bien sonnés, qui est le doyen du quartier, l'homme qui a vu grandir tous les mômes du derb, les a observés, connaît leurs réactions, prévoit même comment ils vont tourner et quel chemin ils sont capables de suivre. Il est atterré, ne comprend plus rien à rien, remet en question tous ses acquis, semble à la dérive. L'homme hoche la tête, fait un signe d'impatience et ajoute : "ce sont là des signes étranges de grand chaos. C'est une véritable Fitna qui nous vient cette fois de là où on ne l'attendait pas. Ce sont alors nos enfants, qui ont poussé devant nos yeux, qui nous donnent aujourd'hui la mort ? Que Dieu nous vienne en aide. Je n'en peux plus". Il dit avoir décidé de se taire, de ne plus jamais parler de quoi que ce soit sur ce genre d'affaires, de garder dans son cœur l'image de son Islam tel qu'il l'a toujours vécu et ressenti en son for intérieur. Mais il ajoutera finalement : "Mustapha, s'il est réellement dans le coup, alors, moi, je ne ferai plus confiance à personne".
Avant d'arriver chez les Echatar, nous sommes interpellés par un jeune homme, 25 ans, un peu grassouillet, le visage rasé de près, un T-Shirt blanc et un jean délavé. Il portait des sandales très "in" et semblait bien dans le vent. "C'est vous qui êtes venus pour l'affaire des jumelles, j'ai des choses à vous dire, mais venez prendre un café avec moi. C'est d'ailleurs ici même que Mustapha prenait son pot de temps à autre". Le café en question est un immense salon où la télé siège comme un trône sur la tête des clients. Les visages sont rivés à l'image d'un mauvais nanar américain de série B. Ils étaient une bonne vingtaine essaimés un peu partout aux quatre coins de la salle et s'adonnaient à des parties de cartes. On jouait la Ronda et on s'esclaffait de rire. A l'intérieur, derrière le comptoir, il n'y avait personne.
Le chef cafetier était attablé en train d'en découdre avec trois autres gars pour une bonne mise qui serait selon toute vraisemblance une tournée de café cassé ou une bonne théière. Aziz, notre hôte, nous désigne un type de dos qui jouait aux cartes : "c'est le frère de Fouad El Gaz, mais il ne nous dira rien parce qu'il n'est pas toujours au courant de ce qui se passe chez lui. Il est un peu spécial. Mais par contre si vous voulez que l'on discute un peu de Mustapha, posez-moi toutes vos questions, j'ai des réponses à tout parce que je l'ai bien connu ce jeune homme. C'est presque un grand ami". Il nous offre un thé et entame la conversation sur les deux sœurs jumelles qui, d'après lui, sont des menteuses.
Nous apprenons alors que ces gamines "étaient tout le temps fourrées chez les gens, venaient beaucoup à la mosquée et parfois même faisaient la manche. Elles en voulaient à tout le monde, avaient une grande rancune à l'égard de nous tous en raison de leur situation de famille, leur misère et tout le reste. Je ne dis pas cela pour disculper Mustapha, mais je veux juste attirer votre attention sur un fait qui me semble clair. Vous ne pensez pas avec moi que ces deux fillettes avaient toutes les raisons du monde d'en vouloir à la société ? Sans père, sans éducation, une mère que l'on dit prostituée et mendiante, sans toit, sans famille pour s'en occuper… voilà le cocktail idéal pour une récupération en bonne et due forme par les islamistes. Et puis, comme vous le savez, Imane n'avait pas toute sa raison. C'est un fait. C'est une folle perdue entre le mirage d'un mariage qui ne vient pas et un avenir noir dont elle ne voit pas le bout du tunnel. Beaucoup de gens vous diront qu'Imane cherchait à nuire autour d'elle, obnubilée qu'elle était par ce qu'elle voyait sur les chaînes de télévision satellitaires où l'on glorifie les martyrs de l'Islam et tous ceux qui se font exploser pour la bonne cause… Notre bonne cause, eh bien elle est là, devant nous, dans notre vie de tous les jours, à Rabat ou à Dakhla. Au lieu de préparer des attentats, les jeunes désoeuvrés qui souhaitent participer à al islah, feraient mieux d'aller construire des routes bénévolement, d'alphabétiser les gens de leur quartier, de lutter contre la pauvreté de mille manières... D'ailleurs, cette culture du terrorisme, on la retrouvait avant le 16 mai jusque dans nos émissions de télévision et surtout les informations, et même sur les radios. Médi 1 ne parle-t-elle pas de "mouchtachhid" dans ses différents bulletins arabophones ?"
Dans la maison
de Mustapha Echatar
Mustapha est né en octobre 1967. Sa mère s'appelle Fatema et est originaire de Kalâa des Sraghna. Son père, décédé en 1995, était un petit commerçant. La demeure des Echatar est située à Hay Al Inbiât, bloc 21, numéro 246. Une maison sur deux étages et une terrasse, très mignonne.
Un véritable cocon familial où l'on imagine une famille simple, mais heureuse passer des instants de bonheur autour d'un bon dîner en suivant les informations à la télévision ou en s'éclatant de rire devant une pièce de Adil Imam. Nous sommes loin, très loin de la tombe où vivaient les deux sœurs jumelles, Imane et Sanae, ce trou dans un mur sans porte et sans toit exposé aux intempéries. La maison des Echatar est clean, propre, passée au détergent d'une propreté ancestrale que l'on ressent au moindre recoin de ce salon tout en zellige où la mère et la sœur nous ont reçus. Des photos de famille sont posées sur quelques meubles, de jolis tissus sur les banquettes et un sol à la mosaïque bien traditionnelle qui respire un certain goût et une certaine approche de la vie en ville. Bref, Mustapha avait une belle maison pour vivre et surtout un cadre familial des plus apaisants. Pourtant…
"Pourquoi ont-elles dénoncé Mustapha ? Pourquoi ont-elles décidé comme ça de
" brûler " toute une famille ? Nous autres, dans cette maison, nous ne connaissions pas ces deux sœurs", nous dit Lalla Fatema en nous invitant à entrer dans le salon traditionnel. Elle nous parle de son fils, arrêté un jour de grande misère pour la famille : "Mustapha n'avait que ses deux bras pour travailler. Il était peintre en bâtiment. Il rentrait complètement abattu après de dures journées de labeur. Je lui répétais qu'il devait prendre soin de sa santé et se ménager… Il me répondait : "je ne sais rien faire, c'est une manière comme une autre de vivre". Je lui conseillais alors d'ouvrir un commerce, comme tant d'autres dans le quartier qui ont réussi à ouvrir une échoppe pour vendre n'importe quoi". Elle continue à brosser le portrait de son fils : "il rentrait le soir, buvait son café, allait faire ses ablutions pour faire sa prière. C'était un garçon normal, comme les autres" explique-t-elle. Et elle nous invite à "aller demander dans le quartier après Mustapha Echatar. Les fonctionnaires de police, avec les événements tragiques du 16 mai, sont devenus très chatouilleux et réagissent au quart de tour… Ils arrêtent n'importe qui. Mon fils a été vendu par les filles, et rien n'a été fait pour vérifier s'il était réellement ce qu'elles ont dit de lui ".
Mustapha avait plusieurs sœurs. Khadija, qui est mariée et mère de famille en Italie. C'est elle qui envoie régulièrement des sommes d'argent à la famille Echatar pour lui permettre de vivre… La sœur qui était parmi nous s'appelle Habiba. Une jeune fille très sympathique, les cheveux libres, qui aide sa mère en confectionnant chez elle des ouvrages de broderie et des vêtements traditionnels à quelques clientes fidèles… Une autre sœur est enseignante à l'école hôtelière de Rabat et vit avec sa famille à Salé al Jadida. La dernière sœur de Mustapha, Bahija, est morte en 2000. Elle a été contaminée par un microbe dans le laboratoire d'analyse où elle était employée. La mère précise qu'elle "manipulait des produits et s'était coupée la main avec la languette en verre qui sert dans les analyses sanguines. C'est à partir de là que tout a commencé. Elle est tombée malade et a développé un virus dans son corps qui l'a tuée". Selon Lalla Fatema, les indemnités reçues suite au décès de sa fille n'ont pas excédé la misérable somme de 40.000 dh… Inutile d'aller plus loin sur un autre souvenir poignant de la famille Echatar qui pense du coup que la vie de leur fille n'était pas cher payée. Mais passons, ceci est un autre débat. Le drame actuel éclipse les autres souffrances et la mère tente de cacher son désarroi, essaye de jouer les mères courage sans trop y arriver. "La maison où nous vivons a été construite par mes enfants, qui ont tous mis un peu d'argent pour aider leurs pauvres parents", précise-t-elle en évoquant le lourd passé d'une famille pauvre qui en a vu des vertes et des pas mûres. L'un des frères de Mustapha, dénommé Aziz, vit toujours dans la demeure parentale : il ne parle à personne, n'a pas beaucoup de liens ni avec son frère ni avec ses sœurs, c'est un ours dans la maison. Il a une chambre où il vit seul, part dans la journée pour son travail comme cheminot de l'ONCF et aime faire la fête le soir. "Il ne s'est jamais occupé de moi et ne sait jamais si je suis malade ou en bonne santé… Mustapha ne désirait qu'une chose, se marier, trouver une gentille fille pour fonder une famille", ajoute la mère qui laisse transparaître un léger grief à l'égard de son aîné, Aziz, pris dans la tourmente d'une vie coupée de tout son entourage.
L'obsession du mariage
Devant les frictions que Mustapha avait avec son autre frère, sa mère lui avait dit : "à ta place, je travaillerai jour et nuit pour remplir ma poche droite d'argent, et ma poche gauche d'argent aussi, pour sortir de cette mauvaise vie que tu traînes depuis si longtemps". C'est là que la sœur se mêle à la discussion et se permet d'interrompre le flot de souvenirs qui envahissaient sa mère : "Mustapha n'avait qu'un seul désir, le mariage. Il en rêvait jour et nuit…". Cette histoire de mariage revenait souvent à propos de l'histoire de Mustapha Echatar. D'autres amis dans le quartier ont confirmé que leur copain était très préoccupé par la question et attendait le jour de ramener une jeune fille pour réchauffer son lit. Certains laisseraient entendre que Imane, l'une des jumelles, avait des vues sur lui et d'autres iront même jusqu'à dire que les deux, Mustapha et Imane, avaient déjà consommé l'amour et se voyaient en secret. Tant de versions sur les affaires de cœur de ce jeune homme, dans la fleur de l'âge et qui cherche chaussure à son pied et comme il n'en trouvait pas vite aurait peut-être dû se contenter de la première sandale trouvée sur son chemin. Quoi qu'il en soit, cette histoire de mariage est sérieuse, mais Mustapha avait aussi d'autres plans : "depuis plusieurs mois, il préparait un voyage pour rejoindre définitivement sa sœur qui est installée en Italie. Il me disait :"al Oualida, j'attendrai de savoir si ma sœur peut m'aider pour les papiers et si je peux aller travailler en Europe avant de me décider à me marier. Je ne veux pas malmener ma future femme en lui proposant une vie noire et sans illusions. Je n'ai rien au Maroc, je ne peux assumer une famille…". Mustapha était fermement décidé à entreprendre ce voyage. Il en avait parlé beaucoup à ses copains dans le quartier qui nous l'ont confirmé : "il ne parlait que de sa sœur qui était en train de chercher un moyen pour le faire partir. Il disait que ça allait très vite se faire et que c'est peut-être là la solution à tout. Il pensait revenir au bout d'une année pour trouver une fille de bonne famille pour se marier". Le rêve a tourné court et Mustapha passe des jours plombés à la prison de Salé en attendant que les juges se prononcent sur son cas. Il doit repasser tout ceci dans son esprit et réfléchir aux erreurs faites, à celles qu'il pouvait éviter et à toutes les mauvaises fréquentations qu'il n'aurait jamais dû avoir. Dans le quartier, Mustapha n'est pas du tout considéré comme un intégriste ni comme un islamiste. Quand on évoque la question devant les amis, ils en rigolent et se jettent des coups d'oeils entendus. "Fanatique ? Jamais de la vie. Il était obsédé par les filles et par l'Italie. Il faisait sa prière, de temps à autre. Parfois il avait une petite barbe, mais il y a des jours où il se sapait chic pour aller draguer. Fanatique ? Non, c'était un garçon comme nous tous qui voulait changer pour le meilleur". Ce que cet ami avance est corroboré par d'autres qui se souviennent des discussions la nuit dans le café, des films qu'ils ont vus ensemble et de la frime et la tchatch des gosses quand ils ne pensent qu'à s'en mettre plein la vue les uns les autres.
Selon les dires de la famille, Mustapha n'a jamais quitté le Maroc, ni effectué de voyage en dehors de Rabat depuis belle lurette. Il était toujours fourré entre les jupons de sa mère et aimait la compagnie de ses sœurs. C'était un casanier qui avait plus de plaisir à rester avec les siens que d'aller faire les quatre cents coups avec les autres jeunes du quartier. Il était aussi disponible pour la moindre petite course, la plus infime des sollicitations pour aller faire telle ou telle commission. Son seul moment de loisir était la pause café avec des potes du derb qui disent que Mustapha était un garçon extrêmement charmant, toujours souriant, le coeur sur la main et jamais, jamais un mot déplacé ni une parole méchante. Lalla Fatema continue : "il ne s'absentait jamais, ne passait jamais la nuit dehors…"
La sœur ajoute en évoquant ses habitudes vestimentaires. Il s'habillait normalement, aimait le jeans, les jaquettes et les chemises européennes. Habiba dit que : "c'était un jeune homme de son temps. Il avait fait des études jusqu'en 2ème année secondaire. Il aimait les groupes de musique marocains, comme Lemchaheb ou Jil Jilala. Il avait appris quelques mots en italien et les répétait devant moi en me parlant de son rêve d'aller vivre avec sa sœur Khadija. Je connais bien mon frère, il passait parfois sa journée avec moi, il n'avait rien de mal dans sa tête, ne pensait jamais du mal des autres”. Il était comme ça Mustapha. Un homme bien éduqué, timide, qui n'éprouvait aucune haine dans son cœur. Il était très sociable. Il faisait sa prière comme tout le monde et portait parfois une barbe qu'il rasait rapidement au bout de quelques semaines… D'ailleurs, en ce moment, il est comme sur la photo, sans barbe. La mère sourit avec peine : "je n'ai jamais aimé la barbe de Mustapha. Chaque fois, je lui disais qu'il était encore jeune et qu'elle ne lui allait pas. Je l'arrêtais devant une glace, à l'entrée de la maison, et lui demandai de bien se regarder. Tout se passait dans le rire et chaque fois, il allait se raser pour me faire plaisir. Si c'était un vrai islamiste, il ne serait pas aussi je-m'en-foutiste sur la barbe et tout ce qui va avec".
Avec Mustapha dans la prison de Salé
Depuis quelques semaines, Mustapha Echatar loge à la prison de Salé. Sa mère qui est allée le voir plusieurs fois raconte le désarroi d'un jeune homme qui ne sait plus où donner de la tête. Depuis le jour de son arrestation, il clame son innocence. Retour sur son arrestation et sur ce qu'il a affirmé à sa mère à la prison Zaki.
Dans la prison Zaki de Salé, où sa mère, Lalla Fatema, a pu lui rendre visite, Mustapha aurait dit : "je n'ai jamais rien fait, je suis innocent de tout ce dont m'accusent ces filles". La mère nous apprend aussi que "devant le juge d'instruction, Mustapha a tout nié". La mère reviendra longuement sur les présumés rapports que son fils aurait eus avec tous les autres membres arrêtés et surtout avec le fameux Kichk, alias Abou Abderrahman. Selon ce qu'elle a pu apprendre de son fils à la prison de Salé, ce dernier n'aurait jamais eu de relations avec Hassan Chaouni (Kichk) et il a demandé à ce que la police fasse son enquête dans le quartier pour démontrer le contraire. Est-ce que Mustapha avait des liens avec Hassan Kichk Abou Abderrahmane ? Est-ce qu'on les voyait ensemble dans la rue ? Les aurait-on vus en pleine conversation un jour à la sortie de la grande et désormais fameuse mosquée Al Wahda ? Dans le quartier Al Inbiât, les avis sont clairs : "Mustapha n'allait pas souvent à la mosquée de Nafae alors que Kichk y était tout le temps. Personnellement, je suis certain qu'ils se connaissaient comme tous les voisins de quartier, mais je peux jurer qu'il n'y avait rien entre les deux. Non, ils étaient diamétralement opposés. L'un était très discret et pas très sûr de lui-même alors que Kischk était un habitué des mosquées".
Dans la prison de Salé, l'air est humide et ce début du mois de septembre laisse planer une lourde atmosphère. La mère ne s'y connaît pas beaucoup dans ce genre d'exercice où il faut être très coriace pour se faufiler entre les autres et avoir une bonne place pour pouvoir parler à son fils. On crie de tous les côtés et les mères se bousculent dans le parloir pour saisir quelques mots et s'enquérir de la vie des leurs à l'intérieur de la prison. Quand la mère sort de là, son visage est rouge, le souffle coupé et la jambe lourde. Elle n'en pouvait plus. "Il ne voulait pas que je parte. Il pleurait et essayait de me poser la main sur la tête. Il est très mal, mon enfant et je ne sais pas quoi faire pour lui. Quand le gardien venait lui retirer la main qu'il posait sur mon épaule, il éclatait en sanglots et me disait de ne pas le laisser là, derrière les barreaux. Que puis-je faire ?"
Quand la police débarque…
A son arrestation, Mustapha se trouvait dans sa demeure, vers 20h 30. Les flics, habillés en civil, sont venus un jeudi peu avant la prière d'Al Ichaa, et ils ont demandé à parler à Mustapha… La scène s'est déroulée ainsi : "Ils ont dit qu'ils voulaient le voir pour effectuer des travaux de peinture dans une maison. Mon fils Mustapha est descendu pour leur parler et là ils ont demandé à voir sa carte nationale. Il est monté l'apporter, croyant qu'il avait affaire à des clients méticuleux. Ils l'on suivi et sont montés au premier étage, dans la chambre où il avait ses affaires personnelles. Ils ont cherché partout : dans l'armoire, sous le lit, dans les tiroirs. Il a dit aux policiers :" cherchez et prenez tout ce que vous voulez, je n'ai rien ici qui sorte de l'ordinaire ". Les policiers ont juste pris des cassettes de Coran et ils n'ont rien trouvé d'autre. Ils ont laissé des cassettes de variétés arabes et n'ont pas pensé les prendre pour montrer que Mustapha écoutait aussi des musiques de danse… Après son arrestation, nous sommes restés 15 jours sans nouvelles sur sa santé ni même le lieu où il était détenu. C'est une femme qui est venue nous voir pour nous annoncer que Rachida Al Bidaouia, la mère des deux jumelles, est allée porter des victuailles à ses filles et que Mustapha se trouvait peut-être là-bas. Je pense que cette Rachida Al Bidaouia avait été informée que Mustapha se trouvait avec ses filles… Nous avons été au commissariat pour nous renseigner et quelqu'un nous a dit alors qu'il fallait penser apporter de la nourriture et des vêtements à mon fils... Je n'ai pas bien compris, j'ai senti le monde vaciller et s'effondrer autour de moi. Quelques jours après, on me remit la carte me permettant d'entrer à la prison Zaki de Salé pour voir mon fils. Mais je me suis trompée la première fois de date, et j'ai raté ma première visite. J'ai dû attendre toute une semaine avant de voir Mustapha… "Durant la visite, Mustapha pleurait sans arrêt et disait à sa mère qu'il était torturé et qu'il n'en pouvait plus. Il lui répétait aussi qu'il était son fils et qu'il ne pouvait lui mentir." J'essayai quant à moi de le rassurer, de lui dire que peut-être il était écrit que cela arrive et qu'il soit en prison, pour une affaire pareille. Et c'est Allah qui te tirera de là, si telle est sa volonté. Et que pouvais-je lui dire d'autre ? Je ne regardais qu'une seule chose, sa chemise qu'il portait depuis le jour de son arrestation. Elle était devenue noire de sueur et de saleté. Et dire que je n'avais pas pensé, lors de cette première visite, à lui apporter de quoi se changer. Et lui de me dire à chaque fois : "Al oualida, connaissais-tu quelque chose de mal en moi ? Penses-tu que je puisse faire une chose pareille ?" Je ne cessais de lui répéter depuis toujours qu'il ne devait pas faire confiance aux gens, en personne. Et voilà que cela lui est tombé dessus aujourd'hui. Il m'a aussi raconté que les interrogatoires qu'il avait subis avaient été violents et que les policiers ne s'étaient pas gênés pour le frapper pour lui soutirer des aveux… "Elle parlera longuement de son fils chéri qui devait vivre les moments les plus sombres de sa vie. Elle évoquait son enfance, le jeune garçon qu'il était, sa docilité, sa serviabilité et sa gentillesse.
Et la mère de s'en prendre à Imane : "il y a des médecins, il faut que l'Etat examine cette fille qui a fait tant de mal autour d'elle. Elle a dû rêver toute cette histoire et la raconter aux policiers. Comment la croire et sur la base de quelles preuves ? C'est comme si n'importe qui pouvait venir déballer ce qu'il voulait pour que la vie d'autres soit gâchée". Comment démêler le vrai du faux. D'un côté une mère, comme toutes les mères du monde qui fera tout ce qui est en son pouvoir pour sauver la vie de son fils. Des sœurs qui marchent sur les pas de cette mère et tentent de nous persuader que leur frère était un ange. De l'autre, deux gamines, sœurs jumelles qui ont avoué et qui ont cité à maintes reprises le nom de Mustapha Echatar lors de ces séances d'aveux où les fillettes donnaient dans le détail ce que le groupe comptait perpétrer comme crimes dans la capitale du pays ? Qui croire enfin ? Il y a les amis, les enfants du derb qui nous parlent avec beaucoup de ferveur de cet ami "innocent" et qui veulent jouer les héros et essayer d'apporter leur grain de sel pour sauver leur copain. Il est clair que leurs déclarations étaient toutes teintées d'on ne sait quoi d'exagéré pour nous brosser le portrait d'un jeune homme tranquille, bien sous tous les rapports. On jure ses grands dieux, on crie, on se bouscule pour innocenter l'ami, le fils du derb, le voisin qui est dans la pire des mauvaises passes. Mais où est la vérité ? Qui était-il au juste? Un type calme, un peu tête en l'air qui ne pensait qu'au mariage et à une aventure avant d'aller se faire une place quelque part entre Gênes et Padova ? Ou alors un type qui cachait bien son jeu et fréquentait des groupes salafistes sans que personne ne le sache ? Mentait-il à sa famille, entretenait-il l'image d'un garçon loin de tout, juste un peintre en bâtiment très zen et se moquant de tout ce qui l'entoure ? Ou comme l'atteste cette photo de la Palestine dans sa chambre, était-il animé de sentiments belliqueux à l'égard de tous ceux qui font que le monde chavire vers le mal ? Sympathisant passif ou activiste plaidant la cause du jihad pour sauver cette terre spoliée qu'est Al Qods ? Lui seul tient les réponses et peut-être qu'il le dira le jour du procès prévu le 26 septembre prochain à la Cour d'Appel de Rabat.


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