Entretien avec Séverine Pierrot du (MRAP), Situation des sans-papiers, manifeste de solidarité, économie souterraine, zones d'attente, nouvelle loi, lutte des associations. Nous avons fait le tour du dossier “Sans papiers” en France avec Séverine Pierrot, membre actif du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP). Elle dénonce une politique de “clandestinité” La Gazette du Maroc : en quoi consiste l'action du mouvement ? Séverine Pierrot : le mouvement lutte contre le racisme. C'est sa plus grande action avec un grand projet sur la discrimination qui a abouti à la publication d'un guide de lutte contre le racisme et sur les voies de droits. Il y a la participation du MRAP en tant que soutien à la coordination nationale du sans-papiers pour l'organisation des manifestations ou des rencontres avec le ministère de l'Intérieur et les différentes préfectures. Que pensez-vous du projet de la nouvelle loi, proposé par le ministre de l'Intérieur ? C'est une catastrophe. Sous couvert de lutter contre les malfrats, les passeurs. C'est super déguisé la loi Sarkozy parce qu'elle pose des super principes au départ. Mais en fait, force est de constater que les personnes qui vont être le plus durement touchées sont les personnes à titre individuel et non pas les filières mafieuses contre lesquelles elles entendent lutter que ce soit des filières pour faire entrer les gens en France ou que ce soit les filières en France qui exploitent les sans-papiers. Ce que propose Sarkozy dans sa loi, c'est de précariser le séjour des étrangers en France. C'est super dangereux. On va aboutir à des situations super catastrophiques. Cette loi a souvent été modifiée. Elle prévoit notamment une peine d'emprisonnement ferme, d'amendes pour toute assistance à un sans-papiers. L'ordonnance de 45 a été modifiée une dizaine de fois. En fait depuis 1981, à chaque changement de majorité au Parlement on modifie la loi. Cela crée un balancier gauche-droite, droite-gauche, sachant que la gauche ne revient jamais totalement sur ce que la droite a fait. Et parfois, elle prend des dispositions pires que celles de la droite. La dernière fois qu'elle a été modifiée c'est par le gouvernement Jospin avec la loi Chevènement. Est-ce que les personnes qui viennent au mouvement parlent d'un contrôle plus corsé de l'identité. Est-ce qu'elles se sentent en sécurité en venant au mouvement ? Est-ce qu'elles n'ont pas peur d'être interceptées ? Bien sûr que si. C'est une peur quotidienne du sans-papiers parce qu'il n'a pas le droit d'être là. On lui refuse le droit de vivre ici et au moindre contrôle, si l'on s'aperçoit qu'il n'a pas de papiers, on va l'expulser. C'est une crainte quotidienne. Mais là, ça s'est largement accru, surtout à Paris. On ne peut pas faire un pas sans croiser des flics. Donc les sans-papiers sont terrorisés. En quoi consiste une zone d'attente ? La zone d'attente est une fiction juridique qui vise à créer un endroit avant l'entrée en France. La zone d'attente ce n'est pas la France, même si elle se trouve sur le territoire français. C'est pour l'arrivée des étrangers. C'est-à-dire qu'on peut venir en France avec un visa et à défaut si on n'a pas de visa c'est qu'on est généralement demandeur d'asile. Donc les gens sont contrôlés à la sortie de l'avion et ceux qui ne sont pas autorisés à entrer sur le territoire français, soit parce qu'ils n'ont pas de visa ou de passeport, vont être placés en zone d'attente pendant 12 jours maximum. 12 jours pendant lesquels on va vérifier s'il s'agit de demandeurs d'asile. Ils vont avoir un entretien avec le ministère des Affaires étrangères pour savoir si oui ou non leur demande est manifestement infondée. Dans ce cas, c'est le retour vers le pays d'origine. C'est pareil pour des gens qui arrivent même avec le visa. Lorsqu'ils sont contrôlés à l'aéroport, si l'agent de la Paf (police aux frontières) considère que oui, il y a un visa, mais, qu'il n'a pas assez de ressources ou il n'a pas réservé une chambre à l'hôtel… pour des détails, on a vu des gens placés en zone d'attente. C'est le contrôle à l'entrée et tous les gens qui ne peuvent pas rentrer immédiatement sur le territoire français sont placés là. Avez-vous eu des contacts avec des personnes placées en zone d'attente ? Font-elles appel à des associations ? Il existe une association l'Anafé (Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers). C'est une association inter associative. C'est une permanence téléphonique. Des personnes placées en zone d'attente appellent pour nous parler de ce qui se passe : “j'ai demandé à voir une médecin, je ne l'ai pas vu”. “Ça fait 12 jours que je suis là et je ne sais pas ce qui va se passer.” Ils appellent parce qu'ils sont complètement perdus. Ils vivent dans des conditions tout à fait déplorables. On a vu des situations super catastrophiques. Dans de petites cellules, il y a une vingtaine de personnes. Les gens dorment par terre. La nuit, on refuse de les emmener aux toilettes parce que les flics ne se considèrent pas comme des dames- pipi et ils sont obligés de pisser dans des bouteilles. On a vu des femmes avoir leurs règles et ne pas avoir de protections et on les laissent par terre assises sur des sacs de poubelles. Des situations monstrueuses. Où se trouvent les zones d'attente ? Il y en a plusieurs. La plus grande se trouve à Roissy, mais il y en a aussi à Marseille, à Orly. Il y en a à proximité des gares, ports et aéroports. Et maintenant la loi Sarkozy étend même la zone d'attente à des lieux tout à fait incongrus comme une plage par exemple où il y aurait un débarquement, à l'exemple de “l'East Sea”. Le gouvernement a eu des problèmes avec les zones d'attente puisque ce n'était pas légal d'en créer une. Il y a tout un contentieux qui est en cours. Et pour faciliter les choses Sarkozy a étendu la possibilité de créer les zones d'attente. Si jamais maintenant, il y a un bateau qui échoue sur les côtes françaises, on peut à proximité de l'échouage créer une zone d'attente. On peut en créer partout. En quelque sorte, les personnes placées en zone d'attente sont maintenues en garde à vue ? Ce n'est pas une garde à vue. C'est un maintien en zone d'attente. C'est très vague… C'est super vague. Ils ne sont pas admis sur le territoire français. Donc on les parque dans des endroits en attendant quoi ? Simplement de les renvoyer dans leur pays d'origine. Sarkozy a fait des charters. Il a commencé en mars dernier avec des Sénégalais, des Ivoiriens. C'était des gens placés en zones d'attente. Le placement en zone d'attente est de 12 jours ? La durée en zone d'attente ne dépasse pas les 12 jours. Il est en réalité de 48 heures. Au bout des 48 heures, l'étranger est obligé de passer devant un juge : le juge de la liberté et de la détention, de manière à prolonger ou non son maintien en zone d'attente. Si le juge considère qu'il faut effectivement prolonger et c'est très souvent le cas pour 5 jours, au bout de 5 jours, le juge est obligé de revenir sur le dossier et de se prononcer pour une nouvelle prolongation de 5 jours. Si au-delà de ces 12 jours, on n'a pas trouvé un moyen pour renvoyer l'étranger chez lui : pas d'avion ou que la personne a refusé d'embarquer, le juge est obligé de libérer la personne. Cela s'appelle la liberté individuelle. On ne peut pas détenir arbitrairement des gens et les priver de leur liberté. Un simple refus de la personne d'embarquer peut inciter le juge à la libérer ? En sachant que le refus d'embarquement est passible de prison. A la sortie de prison, on les rapatrie… Les associations ont-elles accès aux zones d'attente ? Un député a qualifié les zones d'attente et centres de rétention “d'horreur de la République”. la zone d'attente est un endroit où les gens sont super maltraités. Je passe sur les violences policières. On a vu au moment de la Coupe du monde le Sénégal battre la France, il y a deux Sénégalais qui se sont fait tabasser par des flics. C'est gratuit. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. A Roissy, les deux premiers étages de l'hôtel Ibis ont été réquisitionnés par le ministère de l'Intérieur pour servir de zone d'attente. A l'entrée de l'hôtel Ibis, il y avait un mot pour la femme de ménage “à nettoyer sang et cafard” !! C'était avant. Ils ont construit une nouvelle zone Zapi 3, un bâtiment au bord des pistes ce qui permet une certaine discrétion (pour que les passagers ne voient rien) et c'est pour calmer les esprits parce que les associations de défense des droits de l'homme ont largement critiqué les zones d'attente. On a ce super nouveau bâtiment où rien ne fonctionne surtout pas les cabines téléphoniques, parce que c'est l'unique lien avec le monde extérieur. C'est de là où ils peuvent appeler l'Anafé. Normalement à leur arrivée, on leur remet une petite trousse avec “normalement” les numéros de téléphone des associations avec une carte téléphonique… les cabines ne fonctionnent toujours pas. Ça n'a pas diminué pour autant les violences policières. Cette nouvelle loi encourage la clandestinité et l'exploitation des sans-papiers. C'est un peu paradoxal ? Ce n'est pas paradoxal. C'est juste une logique des décideurs et de ceux qui sont au pouvoir en France et qui font de l'immigration un problème majeur. Dès l'instant où on interdit aux gens de venir en France, dès l'instant où on met en place une politique répressive. Automatiquement cela va créer de plus en plus de clandestinité. C'est tout à fait normal. Mais, la logique du gouvernement est qu'il faut fermer les frontières, maîtriser les flux migratoires , ainsi on réglera la situation. Alors que ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas en faisant des lois répressives qu'on arrive à quelque chose. Les sans-papiers, il y en aura toujours. Mais l'idée de Sarkozy est de dire oui, il faut maîtriser les flux migratoires parce que depuis des années, la France s'est privée d'une politique migratoire satisfaisante qui est pour elle la fermeture des frontières et l'intégration des étrangers présents sur le territoire français. Là on rigole, depuis quand la France a une politique d'intégration ? Tout est paradoxal dans cette loi. Mais pour les décideurs, cette loi permettra de lutter contre la clandestinité . Si l'on se met dans la logique de la loi proposée par Nicolas Sarkozy, elle réprime des entreprises, des employeurs de sans-papiers, on voit mal des particuliers aider alors des sans-papiers… La loi Sarkozy ne crée pas la condamnation, cette loi existe. Il faut se placer dans une autre logique : pourquoi il y a des sans-papiers en France ? Parce que ça rapporte les sans-papiers. Parce que les sans-papiers sont des mecs qui travaillent pour pas cher, qui n'ont pas le droit de dire quoi que ce soit sur leurs conditions de travail, qui sont employés dans des postes avec des conditions de travail catastrophiques avec des accidents de travail non déclarés. On a des gens qui ont une santé ruinée qui ne peuvent obtenir aucune indemnisation. C'est ça la France et les sans-papiers. C'est toute une économie souterraine. Les sans-papiers sont utiles à la France. Donc ce n'est pas la peine de déguiser une politique d'immigration en politique répressive… parce que le MEDEF, le grand patronat est super content d'employer des sans papiers. Tous les sans-papiers chinois qui travaillent dans des ateliers clandestins pour de hauts couturiers français, pour de grandes marques, qui c'est qui va les fabriquer pour pas cher après ? Il n'y a pas d'intérêt à supprimer les sans-papiers. C'est dur, mais les sans-papiers servent l'économie française, une économie souterraine, ils produisent…