Sayed Qotb constitue une référence de choix de l'islamisme politique éradicateur. Mais tout d'abord, il faut se pencher sur son propre référentiel et sa vision telle que présentée dans son ouvrage "Maâlim Fi Attarik" ( Signes sur la voie). Le référentiel de Qotb Sayed Qotb est né en 1906 à Mouch dans la province d'Assyout. En 1925, il accéda à la faculté des sciences de l'éducation d'où il obtint son diplôme d'enseignant en 1928. Il passa ensuite quatre années à la faculté des sciences avant d'entamer une carrière d'enseignant pendant dix-huit ans. Mais, c'est au niveau de la presse que ses potentialités en tant que critique littéraire ont émergé. Il faut dire, cependant, qu'entre 1925 et 1939, Sayed Qotb n'a témoigné aucun intérêt aux questions religieuses. Il était même sympathisant du parti du Wafd de Saâd Zaghloul à l'instar de tous les jeunes de l'époque qui vouaient une admiration aux symboles de la culture nationaliste égyptienne. Mais au début de 1939, certains indices commençaient à se profiler, augurant de sa métamorphose. Au cours de cette année, il publia une série d'articles sur "la métaphore dans le Coran", avant de publier en 1945 un recueil complet portant le même titre. Cependant, c'est en 1949, que Sayed Qotb entama son vrai virage en publiant son ouvrage "La justice sociale en Islam". Il faut souligner que deux facteurs essentiels ont contribué à cette métamorphose: • En tant que critique littéraire, Sayed Qotb a eu l'occasion d'approfondir ses connaissances religieuses. • De 1948 à 1951, Sayed Qotb séjourna aux Etats-Unis d'Amérique où il prit conscience de son identité et de la réalité de la civilisation occidentale. Mais ce sont surtout les exactions commises par Gamal Abdennasser contre l'organisation des Frères musulmans d'Egypte et l'assassinat de Hassan Al Banna en 1949 qui ont le plus marqué Sayed Qotb. Pendant cette période, l'organisation des Frères musulmans devait témoigner sa sympathie à l'égard de Sayed Qotb, surtout après la publication de son ouvrage sur la justice sociale. Et c'est ainsi que juste après son retour des Etats-Unis, l'organisation a essayé de le recruter grâce aux efforts de Salah Chmaoui qui a pu le convaincre en 1953 de militer avec les Frères musulmans. Entre temps, Sayed Qotb a sympathisé avec la révolution des officiers libres et a même été désigné comme responsable des programmes de l'Education nationale. Mais cette alliance n'allait pas trop durer puisque les officiers libres allaient affronter les Frères musulmans. Sayed Qotb ne fut pas épargné et dut militer dans la clandestinité notamment en publiant une revue appelée "Al Ikhwane Fil Maâraka" (Les Frères en combat). Mais il fut arrêté en 1954 et libéré dix ans après avant d'être condamné à mort en 1966 et exécuté. Cependant, quelles sont les raisons qui ont poussé Sayed Qotb à s'éloigner de l'idéologie des Frères musulmans et d'adopter une vision alternative? Tout d'abord, il y a eu l'influence d'Al Moudoudi et de ses concepts de la Jahilya et de la Hakimya. Ensuite, il y eut la triste réalité vécue par les Frères musulmans dans les prisons de Nasser. Cette situation intenable allait dégénérer en émeute au sein de la prison Liman Tarh en 1957 et au cours de laquelle vingt Frères musulmans ont péri. Enfin, il y eut des considérations subjectives se rapportant à son état de santé. En effet, Sayed Qotb était malade et passa tout le temps de sa détention dans l'infirmerie de la prison. C'est pour cela qu'il était enclin à soutenir toutes les thèses d'affranchissement ( Al Khalas). Toutes ces conditions allaient lui poser la question suivante: dans quelle catégorie faut-il placer le régime de Nasser? Donc, pour répondre à cette grande question, il lui fallait trouver de grandes réponses puisées, notamment, dans l'Islam. Dans ce cadre, il est nécessaire de comprendre toute la symbolique du rêve de son compagnon de détention Ahmed Youssef Haouache qui lui fit la confidence suivante: " tout ce que tu cherches est dans la Sourate de Youssef". Cette vision allait ouvrir la voie à un revirement dangereux de l'approche des Frères musulmans et du mouvement islamiste égyptien en général. Elle est à la base même de l'ouvrage "Maâlim Fi Attarik" ( Signes sur la voie). “Maâlim Fi Attarik” ou la dialectique du manifeste et du mouvement Cet ouvrage essaie de mettre en exergue la dialectique de la théorie et de l'activisme. Ainsi, si le manifeste ( Al Bayan) se consacre à la foi et aux visions, le mouvement se confronte aux défis matériels et en premier lieu au pouvoir politique (Assultan Assiyassi) basé sur des facteurs confessionnels, racistes, de classe, sociaux et économiques. Mais tous les deux ( Al Bayan et Al Haraka) sont confrontés à une réalité humaine avec des moyens égaux nécessaires au démarrage d'un mouvement de libération de l'homme sur terre. Mais, en fait, de qui ou de quoi libérer l'homme? Selon Sayed Qotb, il faut le libérer de l'esclavage, puisque la société libre est une société qui est édifiée selon les règles d'allégeance à Dieu seul et unique. Cette allégeance (lire esclavage- Ouboudiya) est incarnée par la Chahada (Achhadou An la Ilaha Illa llah, wa Ana Mouhamadan Rassoul Allah- Il n'y a de dieu que Dieu et Mohammed est son prophète). La société libre est celle où l'allégeance à Dieu ( esclavage) s'exprime dans la foi, dans les rituels religieux et dans la législation. Dans ce cadre, Sayed Qotb dit: "ne pourra pas être esclave de Dieu celui qui ne croit pas en son unicité…Ne pourra pas être esclave de Dieu celui qui accomplit des rites envers quelqu'un d'autre autre que Dieu… Ne pourra pas être esclave de Dieu, celui qui reçoit des ordres légaux de la part de quelqu'un autre que Dieu et par des moyens autres que ceux prévus par Dieu et son prophète que la bénédiction d'Allah soit sur lui". La libération de l'homme de l'esclavage signifie sa libération de la Jahilya et "toute société de Jahilya est celle qui n'est pas fidèle en son esclavage à Dieu". A partir de cette définition, toutes les sociétés contemporaines sont des sociétés impies à commencer par les sociétés communistes en passant par les sociétés animistes, juives, chrétiennes et celles qui prétendent être musulmanes. "Cependant, la libération de l'homme suppose l'existence d'une organisation. En effet, l'Islam ne peut être limité à la théorie à laquelle adhère tel ou tel, pensant que c'est une religion, alors que les membres demeurent au sein de cette entité d'apostat régnante. Or, leur existence quel que soit leur nombre, ne peut conduire à une existence effective de l'Islam, car les individus musulmans en théorie ne font que renforcer la société de la Jahilya qu'ils sont censés combattre. Ils demeureront ainsi des cellules vivantes en son corps qui l'alimentent pour sa survie". Pour ces raisons, selon Sayed Qotb, il est nécessaire de bâtir l'édifice du mouvement musulman de telle sorte qu'il soit distinct du mouvement de la Jahilya. Ce mouvement musulman doit se doter de plusieurs caractéristiques, notamment: • Le Coran comme seule et unique source • Ne recevoir d'ordre que de Dieu pour tout ce qui se rapporte aux affaires des individus et des groupes • La rupture avec la Jahilya Toutes ces idées sont, donc, devenues des outils pour l'orientation d'une nouvelle génération de jeunes vers une nouvelle restructuration de l'organisation des Frères musulmans pour combattre le régime régnant.