L'histoire romancée a pour théâtre au 11ème siècle ce vaste espace aux frontières mouvantes que l'on appelle communément à notre époque le Moyen-Orient, comprenant aussi bien la Perse que la Turquie, la péninsule arabique que ce lointain Afghanistan. A la lumière, ou plutôt à l'obscurité des événements de Casablanca, le beau roman d'Amine Maâlouf, sorti des presses en 1988 (édition JC Latès), jette son ombre sur l'actualité pour nous dire combien aujourd'hui peut ressembler à hier. Au cœur de “l'intrigue” où l'intellectuel, rêvant de savoir et de découvertes scientifiques, se nourrit au sein du pouvoir symbolisé par Nizam Al Moulk, grand ordonnateur de l'empire “sous” Malikshah, se dresse pour dire à celui que notre mémoire ne retient malheureusement que comme poète, Omar Khayam: “ Je suis le Précurseur, celui qui aplanit la terre pour qu'elle soit prête à recevoir l'Imam du temps . Ignores-tu que le prophète a parlé de moi ? ”. Suit ce dialogue hallucinant : Omar Khayam : “ de toi, Hassan fils d'Ali Sabbah, natif de Kom ?” Hassan Sabbah : “ n'a-t-il pas dit : un homme viendra de Kom, il appellera les gens à suivre le droit chemin (...)” Omar Khayam : je ne connais pas cette citation, j'ai pourtant lu les recueils certifiés. H. Sabbah : “ tu as lu les recueils que tu veux, les Chiites ont d'autres recueils”. “ On a souvent dit, raconte Maâlouf, au vu de ces scènes irréelles que les hommes de Hassan [Sabbah] étaient drogués. Comment expliquer autrement qu'ils aillent au-devant de la mort avec le sourire ? On a accrédité la thèse qu'ils agissaient sous l'effet du haschisch [d'où] haschischyoune [dans lequel] certains orientalistes ont cru voir l'origine du mot assassin (...) La vérité est autre (...) Hassan aimait à appeler ses adeptes Assassiyoune, ceux qui sont restés fidèles au Assass, au “ Fondement de la foi (...) ”. Dans sa conception de la guerre qu'il mène aux “apostats ” mourir est plus important pour Hassan Sabbah que tuer : “ il ne suffit pas, disait-il à ses troupes, d'exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir, car si en tuant nous décourageons nos ennemis d'entreprendre quoi que ce soit contre nous,en mourant de la façon la plus courageuse nous forçons l'admiration de la foule. Et de cette foule des hommes sortiront pour se joindre à nous”. L'ordre des assassins fondé par Hassan Sabbah fera régner sa terreur plus d'un siècle et demi durant. Naturellement jamais le pouvoir ne lui échut, mais de son vivant, il réussit à empêcher Nizam Al Moulk de réaliser son projet de création d'un Etat fort aux structures modernes, dans l'acception de l'époque. Omar Khayam qui était, bien plus que le poète des Robayate, un astronome et un alchimiste, lui, sera contraint, et les Musulmans avec, de laisser -sur fond de controverse religieuse et d'interprétation de la loi coranique- le rêve de faire progresser les découvertes scientifiques au stade où le tumulte extrémiste le surprit dans son observatoire de Nichapoure. Beaucoup croient que ce sont les Arabes, et non pas les Indiens, qui ont inventé le zéro et en sont restés là. Omar Khayam, lui,c'est sûr, a légué à l'humanité son traité d'algèbre où apparaît pour la première fois le terme “Chay” (chose), qui se transformera en X “devenue symbole universel de l'inconnue” ; sans rapport avec cet inconnu que les extrémistes ne cessent, depuis, d'ouvrir devant nous.