Selon un rapport de l'Organisation des Nations unies, la culture arabe aurait stagné. Au point que les livres édités par l'ensemble arabe pendant des siècles représenteraient l'équivalent du produit quotidien espagnol en matière d'édition ! La comparaison avec la langue de servantes est édifiante. Le castillan (espagnol parlé dans la péninsule ibérique) est véhiculé par un peu plus de 330 millions de personnes dans le monde. Autant que la population arabe, du Maghreb au Machreq. Outre l'Espagne, le castillan est parlé dans toute l'Amérique latine (centrale et du Sud), exception faite du Brésil et aux Etats-Unis (Floride notamment) avec plus de 22 millions de personnes. Ce qui en fait la quatrième langue mondiale. Le rapport onusien compare la production littéraire espagnole quotidienne au produit de plusieurs siècles arabes. La comparaison ne peut dépasser ces termes. Autrement dit, la nation arabe vit en pleine misère, en dépit de ses potentialités économiques et de son histoire ancienne. Les raisons d'un tel déclin sont multiples. D'abord, il y a les entraves techniques. Ce n'est qu'au milieu du XIX ème siècle que l'imprimerie arabe a commencé à faire son chemin. Les tentatives antérieures remontent au XVI et XVII siècles et étaient l'œuvre d'Arabes de la communauté chrétienne, tant au Proche-Orient qu'en Europe (notamment en France et en Italie). Mais les raisons du retard sont aussi à chercher dans la sphère économique, puisque la puissante corporation vivait des manuscrits et manifestait une résistance inouïe à l'introduction et à la modernisation de l'édition arabe. Il a fallu batailler énormément pour parvenir à la restitution typographique de l'écriture arabe. La langue espagnole profitera du siècle des lumières pour consolider l'apologie des siècles précédents. Tant dans le domaine littéraire que dans les publications politiques, scientifiques et culturelles. Les Arabes resteront figés sur leurs acquis séculaires et la communication par l'impression butera encore aux impératifs politique-religieux. Les oulémas, véritables détenteurs du pouvoir culturel, manifestaient une opposition farouche à l'abandon du manuscrit et à l'introduction des réformes. La tradition est érigée en raison suffisante pour faire perdurer le monopole du savoir au nom de la vérification des textes que la nouvelle imprimerie pourrait chambouler. Ainsi, la transmission du savoir s'est vue amputée d'une grande opportunité et ce n'est que grâce aux travaux d'Européens que l'impression de textes arabes s'est produite. L'objectif était de permettre une meilleure compréhension des communautés chrétiennes d'Orient et une connaissance des textes arabes originaux. Des objectifs rendus impossibles, suite aux décisions politiques de l'Empire ottoman à la fin du XV siècle et au début du XVI ème siècle. Les impressions réalisées en Europe auront peu d'impact en dans le monde arabe et se soldèrent par un fiasco commercial. La première imprimerie ne sera installée en Syrie qu'au début du XVIII ème siècle. La production imprimée sera extêmement faible : une trentaine d'ouvrages en presqu'un siècle ! Il va falloir attendre le XIX ème siècle et l'arrivée de la lithographie qui constituera une révolution dans la transmission du savoir arabe et étranger. Cette technique a permis la reproduction fidèle des textes arabes et donc des formes de la calligraphie. Entre temps, les copistes s'adaptèrent à la «nouvelle technologie» et opérèrent des quelques reconversions qui s'imposaient. La transcription passe du papier à la pierre et l'édition imprimée prend son essor. L'Egypte n'aura sa première imprimerie (une presse) qu'en 1798, avec l'expédition de Bonaparte et Le Caire aura, grâce à l'implication de l'armée, la plus importante imprimerie en 1822 qui alimentera le monde arabe en livres et publications . La capitale égyptienne deviendra aussi, dès la fin du XIX ème siècle, la capitale du monde de l'édition arabe avec plus de 10.000 ouvrages publiés. Cette embellie est due à la libéralisation de l'espace de l'édition, auparavant détenu par l'imprimerie officielle de l'Etat. Mais l'implication tardive des Arabes dans l'impression des caractères mobiles n'est pas la raison principale de la misère d'aujourd'hui. En peu de temps, on peut réaliser bien des exploits. Or, à ne considérer que la seconde moitié du siècle dernier, quand les pays arabes ont obtenu leur indépendance, l'on ne peut se réjouir, globalement, de l'état d'avancée de l'édition. Notre nation lit et produit peu. C'est une question d'éducation et de culture, beaucoup plus que de pouvoir d'achat ou d'ignorance. Certes, le livre reste cher chez nous, mais la question reste celle du contenu qui peut accrocher le lecteur et faire prospérer les éditeurs et la société. Encore une guerre perdue. Il faudra en préparer une autre où tout sera entrepris pour la gagner. Une question malheureusement liée aussi à la nature des pouvoirs politiques et de leurs orientations en matière de culture. Tout un programme !