Quand les armes se seront tues pour un temps, celui nécessaire à la reconstitution de la résistance irakienne, que garderons-nous de cette guerre livrée par “la plus grande civilisation” de l'Histoire de l'Humanité à un pays exsangue par plusieurs guerres et un embargo de douze ans ? La désolation et quelques images de cupidité et de barbarie. Celle d'abord d'un enfant qui a tout perdu. Sa mère, son père, ses sœurs, ses frères, ses bras et ses jambes. A elle seule, cette image résume la sauvagerie d'une agression qui n'a pas fait, et ne fera pas comme l'a assuré Bush fils, “ dans la demi-mesure ”. Celle ensuite des chars américains, à peine entrés en Irak, dévalant à tombeau ouvert les routes irakiennes pour sécuriser les champs pétroliers, rien que les champs pétroliers ; puis au cœur même de Bagdad, leurs légionnaires des temps modernes juchés sur leurs tanks protégeant le ministère du Pétrole, rien que le ministère du pétrole ; tandis que le reste de la ville, après avoir ouvert à coups de canons les portes des prisons, a été livré au pillage. Enfin, celle, significative entre toutes, d'un blindé défonçant les monumentaux portails des musées d'Irak où reposaient huit mille ans de civilisation. La terre de Mésopotamie est la mère de la civilisation de l'Humanité. De l'écriture à l'agriculture en passant par les mathématiques et l'astronomie, elle en est le berceau. C'est sur les rives de l'Euphrate et du Tigre que le monde d'aujourd'hui a trouvé son impulsion qui a culminé, avec la civilisation musulmane à partir du 8ème siècle et pour 400 ans, permettant à plusieurs disciplines, dont les moindres ne sont pas l'algèbre et la médecine, de prospérer. Les musées d'Irak étaient les dépositaires de cette mémoire en reliques, statues et statuettes. L'appât du gain pour certains Américains et pour les réseaux de trafic de pièces archéologiques, pourrait expliquer cette barbarie. Ce ne serait en fin de compte que la réédition de toutes les fins de guerre : dépouiller les peuples vaincus de tout ce qui a une valeur quelconque. Dans le cas de l'Irak, c'est bien pire. L'archéophobie américaine, muée sur le terrain irakien en archéofolie, n'est que le pendant de la détermination américaine, depuis la première guerre, de désarmer les Irakiens de tout ce qui pourrait constituer chez eux ou leur inspirer une velléité de puissance. Dans le désarmement stricto sensus, il n'était pas seulement capital de rendre les armes, mais aussi les schémas qui permettent de les fabriquer et les hommes, ingénieurs et techniciens, capables de les concevoir. En un mot, effacer de la mémoire de l'Irak tout savoir. Mais, ce n'était guère suffisant. Il fallait aussi réduire à néant tout ce qui pouvait leur insuffler une idée de grandeur et nourrir chez eux une volonté d'égaler la civilisation des ancêtres dont témoignent les musées d'Irak. A travers la destruction du patrimoine archéologique de la Mésopotamie s'exprime non pas “le choc des civilisations” cher à Huntington, mais la haine de toutes les autres civilisations, passées, actuelles et à venir.