Khatib, Berrada Ça se termine toujours mal, très mal. Quand un vieil homme politique s'essaie à jouer Hamlet, il perd souvent le beau rôle. Par usure, ou par facilité. “Il y a quelque chose de pourri dans mon royaume…”, sonne mal dans la bouche d'un vieux de la vieille. Dr Khatib, car c'est de lui qu'il s'agit, brandit la menace d'un putsch qui, selon lui, planerait sur un autre royaume que celui de la pièce de Shakespeare. Notre royaume. Au cours d'un meeting, organisé par son parti, le PJD, l'ancien résistant a fait part sans sourciller de sa trouvaille. Une déduction, un peu versatile, en fait. “Le Maroc, rapporte la presse, vit actuellement la même situation ayant prévalu dans les pays qui ont, selon Khatib, fini par dégénérer en un coup d'Etat”. On a pensé un lapsus. On avait tort. Khatib est revenu à la charge. Cette fois-ci, il a choisi notre confrère Al Ayyam pour persister et signer. “J'ai sonné l'alarme. Ce qui s'est passé dans un pays très proche de nous risque de se produire ici au Maroc, n'en plaise à Dieu”. Ou encore : “j'ai bien peur que ce qui s'est passé avec Oufkir ne se répète. La confiance aveugle en quiconque est un péril”. La seule certitude qu'on en tire est qu'il y a quelque chose qui se trame, un complot qu'ourdissent des âmes obscures. L'allusion d'un homme de la trempe du leader du PJD, est en revanche très grave. Khatib, ce n'est un secret pour personne, est une donne du sérail. Un fin connaisseur des méandres du pouvoir, donc l'homme vaut son pesant en… déclarations. Elles sont hélas lourdes de conséquences. Mais voilà. Le docteur vise une personne, une seule et tait son nom. On peut se demander si sa menace tient la route. On peut encore se demander si un complot dont Khatib a eu vent est un vrai complot. Ou encore plus, si Khatib est vraiment maître de toutes ses facultés politiques, s'entend ! Car il paraît que depuis que l'affaire Hassan Kettani a fait la une des médias, le docteur est sorti de ses gonds. Et ses gangs, aussi. Car, faut-il le lui rappeler, le chef des barbus a toujours mis des gants avant de dire quoi que ce soit. Cette fois, il s'emporte. Or, si un homme avisé, est animé par la colère (ou la vengeance), il se doit de ne pas faire de déclarations. Le pire, c'est qu'il répète la même chose, en son âme et conscience. Au cours du meeting, comme lors de l'interview, il a fait le choix du caprice. Il a conséquemment cédé à la facilité, un peu curieuse, un peu obsessionnelle. Le terme est peu flatteur, certes, mais il est médical aussi. Un docteur ne m'en voudra pas, sans doute. Surtout qu'il a rejoint, coriacement, le cortège de ceux qui se plaisent à revisiter la mémoire d'Oufkir. Mémoires tristement célèbres, hélas. On en garde encore des séquelles. Et une photo en plus. Elle est datée de mars 1963. On y trouve - et retrouve - un Khatib fier et hautain à côté de… Oufkir ! Qu'elle est longue, l'ombre du souvenir ! Maintenant, l'homme est très âgé, pieusement blanchi. Il a l'allure digne et dépourvue de la gaieté d'autrefois. Bref, il est un peu triste, de cette tristesse qui va avec la vieillesse. Difficile donc de ne pas penser à Bouddha. Oui, le sage Sidharta. Difficile aussi de ne pas songer à cette lumineuse pensée qui vient de lui : “si ce que tu as à dire n'est pas plus beau que le silence, alors tais-toi”. Sincèrement, j'aimerais bien avoir l'âge de Bouddha, pour pouvoir réussir une telle irrévérence à un homme, dans les secrets des dieux de surcroît. Mais, on n'y peut rien. L'avantage d'être le sage Boudha, c'est qu'on peut toujours devenir le journaliste, alors que l'inverse est totalement impossible. Bon ! Passons. Et surtout n'allons pas chercher de l'esprit dans les propos qui en demandent le moins. L'essentiel – le préférable peut-être – serait d'être moins patriotique que d'autres. Il paraît que trop de sentiments nationalistes engendrent des toutes petites qualités. Le chauvinisme, par exemple. Parole de A. Berrada (encore lui !) qui, selon le même Al Ayyam, aime la république, la laïcité et beaucoup moins de “patriotisme à la noix” ! Au terme d'une longue dissertation, lors d'un dîner-débat, au nom des valeurs trop modernistes surgit cette affirmation de perversion réfléchie ( !). Tout patriotique – la méthode Berrada oblige – est un chauviniste qui s'ignore. On en arrive à cette déduction : c'est là une bêtise – de main de Me – où se conjugue l'art d'amuser et le délire fourre-tout. Délirium tremens, mon cher Shakespeare !