La constitution marocaine a défini cinq types de collectivités locales : les communes urbaines, les communes rurales, les préfectures, les provinces et les régions. Sur cette base, les Marocains s'apprêtent à élire leurs représentants aux conseils communaux en juin, aux conseils des préfectures et provinces en juillet et enfin aux conseils des régions en octobre 2003. Il est à remarquer que la représentation des femmes dans ces divers conseils est insignifiante. Lors des élections communales de 1997, la représentation politique des femmes était très faible tant au niveau des candidatures qu'à celui des mandats. Au niveau des candidatures, le nombre total des candidates n'a pas dépassé 1651 sur 102.179, c'est-à-dire 1,6%. Au niveau des mandats, seules 84 femmes ont été élues sur un nombre de 24.253 élus, c'est-à-dire 0,33%. Mais si le Maroc a franchi un grand pas au niveau de la représentation politique parlementaire lors des élections du 27 septembre 2002, il est appelé à présent à déployer plus d'efforts pour concrétiser le principe de la discrimination positive et atteindre une représentation féminine conséquente lors des prochaines élections locales. Les mécanismes d'accès dans les démocraties occidentales Il y a deux types de mécanismes adoptés par les démocraties occidentales pour permettre aux femmes d'accéder aux institutions représentatives locales. L'un est d'ordre juridique, l'autre est de nature politique. Les mécanismes juridiques dans les démocraties occidentales Il y a deux outils juridiques incarnés par le système du quota et par le mode de scrutin de liste à la proportionnelle. Le quota Très peu de pays sont dotés d'une loi électorale prévoyant le quota. En 1982, en France, ce principe a été adopté dans les élections municipales en prévoyant 25% des candidatures féminines dans les listes des partis, mais le conseil constitutionnel l'a déclaré anticonstitutionnel. En Italie, on a adopté deux lois électorales en 1992 prévoyant l'illégalité de toute liste électorale dont les candidatures de l'un des deux sexes dépassent 75%. La deuxième loi stipule que les candidatures féminines et masculines doivent figurer en alternance sur les listes. Ces deux lois ont été déclarées anticonstitutionnelles en 1995 par la cour constitutionnelle italienne. Parmi tous les pays de l'Union européenne, seule la Belgique a adopté le principe du quota dans ses lois électorales. Ainsi, la loi adoptée le 24 mai 1994 impose aux partis politiques de réserver 25% de postes aux candidatures féminines dans les élections municipales. A partir de 1999, cette proportion a été revue à la hausse pour atteindre 33,3%. La législation belge a même prévu des mesures de rétorsion en cas de non respect de ces dispositions. Ainsi, si aucune liste ne pourra dépasser 75% de candidatures masculines et si les partis ne trouvent pas de candidatures féminines, les circonscriptions concernées restent vacantes. Et si les listes ne comprennent pas suffisamment de femmes, le nombre des candidats masculins est revu à la baisse. La Belgique demeure aussi le seul pays de l'Union européenne à instaurer le principe du quota au niveau régional. Ainsi, la loi de 1994 impose de ne pas dépasser la proportion des 2/3 des candidatures masculines ou féminines. Le mode de scrutin de liste à la proportionnelle Le deuxième mécanisme juridique permettant l'accès des femmes aux mandats électoraux locaux consiste à adopter le mode de scrutin de liste à la proportionnelle. En effet, toutes les études comparatives effectuées dans les pays démocratiques ont relevé le lien existant entre ce mode de scrutin et la hausse de la représentation politique des femmes au niveau local. Au niveau des élections municipales La proportion de la représentation féminine dans les conseils municipaux diffère d'un pays à l'autre de l'Union européenne. Dans ce registre, la Suède est considérée comme le premier de la classe à ce niveau, puisque cette proportion atteint 41,3%, suivie de la Finlande avec 30%, du Danemark avec 27,9% et de la France avec 21%. Au niveau des élections régionales Dans les pays de l'Union européenne où se déroulent les élections régionales au mode de scrutin de liste à la proportionnelle, à l'exception de l'Allemagne qui adopte un mode mixte, la représentation féminine a atteint en 1995 28,9%. Le lien entre la représentation féminine et le mode de scrutin de liste à la proportionnelle peut paraître judicieux si l'on compare cette même représentation établie à la suite du recours à un autre mode de scrutin. A cet égard, il y a l'exemple de la France et du Luxembourg. Le modèle français En France, le mode de scrutin diffère d'une circonscription à l'autre. Ainsi, dans les communes de moins de 2.500 habitants, les élections se déroulent au mode de scrutin uninominal à deux tours et les candidatures indépendantes sont permises. Dans les communes où le nombre d'habitants se situe entre 2.500 et 3.500, c'est le mode uninominal à deux tours qui a cours mais excluant les candidatures indépendantes. Dans les circonscriptions de plus de 3500 habitants, à l'exception de Paris, Lyon et Marseille, c'est le mode de scrutin de liste à la proportionnelle avec listes bloquées qui est adopté. Le modèle français a démontré que la représentation féminine dans les circonscriptions ayant adopté le scrutin de liste à la proportionnelle est plus élevée que celle des autres circonscriptions. Le modèle luxembourgeois Les élections au Luxembourg se déroulent selon deux modes de scrutin. Ainsi, dans les communes de moins de 3.000 habitants, c'est le mode de scrutin uninominal qui a cours et dans les circonscriptions de plus de 3.000, c'est le scrutin de liste. Les dernières élections organisées en 1999 ont donné lieu aux résultats suivants. Dans les circonscriptions à mode de scrutin uninominal, les candidatures féminines n'ont pas dépassé 16,2%. Alors que dans les autres circonscriptions ce taux a atteint 30,4%. Les statistiques de 1993 ont démontré la même tendance et le nombre de femmes élues dans les circonscriptions à mode de scrutin de liste est de 2 fois supérieur à celui des circonscriptions à mode de scrutin uninominal. Toutefois, il ne faut pas faire de liens automatiques puisque certains exemples ont démontré le contraire. Ainsi, en Grande Bretagne où les élections communales se déroulent selon le mode de scrutin uninominal à un tour, les femmes ont remporté 25% des sièges. En Italie, ce taux a atteint 21,5% selon le mode de scrutin uninominal. En revanche dans certains pays ayant adopté le scrutin de liste la représentation féminine demeure faible, comme c'est le cas de la Grèce qui n'a compté en 1994 que 3,6% de femmes dans les conseils communaux. Ce dernier exemple prouve que le mode de scrutin de liste ne peut réellement favoriser une meilleure représentation féminine que s'il est accompagné de mécanismes politiques. Les mécanismes politiques La représentation féminine dans les conseils municipaux n'a pas été incitée uniquement grâce aux mécanismes juridiques. En effet, certains mécanismes politiques ont été rendus indispensables pour l'assurer et la renforcer. Il y a deux mécanismes. L'un est à effet direct et l'autre est à effet indirect. Les choix des partis Les options suivies par certaines formations politiques occidentales ont contribué à faire évoluer la représentation féminine tant au niveau des candidatures qu'à celui des mandats. En général ce sont trois outils. • L'option du quota Plusieurs partis ont adopté l'option du quota dont notamment le parti socialiste français dont les statuts indiquent la réservation de 30% de candidatures féminines dans les circonscriptions à mode de scrutin de liste. En Irlande, le parti démocratique et le parti travailliste ont opté pour 40%, les verts réservent entre 33% et 50% aux candidatures féminines et le parti des travailleurs réserve 25%. En Hollande, le parti travailliste réserve 33%. Pour les élections régionales, en Allemagne par exemple, le parti des verts réserve 50% et en France le PS 30%. • L'option du système fermeture éclair D'autres partis européens ont opté pour le système fermeture éclair qui consiste à adopter le principe de l'alternance des candidatures sur les listes. La plupart des partis suédois ont choisi ce système et c'est aussi le choix du parti écologiste allemand. Ce système n'est pas appliqué uniquement lors des élections municipales, il est appliqué aussi dans les élections régionales comme c'est le cas en Suède où la représentation féminine est la plus forte de l'Union européenne frisant même la parité. • L'option du classement favori Certains partis européens procèdent à la désignation de têtes de listes féminines dans des circonscriptions où la victoire est presque assurée. Dans ce cas, ils favorisent l'accès des femmes aux instances élues au niveau local, comme c'est le cas en Allemagne et en Autriche. Les mécanismes à effet indirect : la sensibilisation politique. En plus des mécanismes à effet direct, il y a d'autres mécanismes à effet indirect liés essentiellement au degré de la sensibilisation politique. Celle-ci se situe à deux niveaux : • Rôle des ONG Les organisations non gouvernementales jouent un rôle essentiel dans les opérations de sensibilisation politique. Il est vrai qu'il y a plusieurs associations qui s'activent pour améliorer les conditions de la femme, mais ce ne sont que quelques associations qui portent un intérêt particulier à la question de l'accès des femmes à la vie publique. A cet effet, quelques expériences et trois options sont bonnes à relever. • La première option consiste à encourager les femmes à adhérer en masse aux associations féminines, comme c'est le cas de la coalition des associations de femmes finlandaises pour une action commune qui regroupe plus de 600 mille adhérentes. Les statistiques montrent qu'en Finlande 20% des femmes adhèrent à des associations qui s'activent lors des élections pour sensibiliser à la participation. Cette même option est adoptée aux Etats-Unis d'Amérique notamment par la “League of Women Voters of the United States”. • La deuxième option consiste à fournir un soutien matériel aux candidates indépendamment de leur affiliation politique. C'est le cas en Grande Bretagne avec la liste Emily. • La troisième option consiste à diversifier les thèmes féminins lors des élections, comme c'est le cas en Angleterre avec Fawcette Society. Ainsi, l'éducation à l'égalité dans le cadre des mécanismes à effet indirect a contribué à établir une sorte d'équilibre dans la représentation au niveau des conseils communaux et l'intérêt pour ces mécanismes va crescendo et a donné lieu à un certain nombre de rencontres dont notamment “la rencontre du Luxembourg”. En effet, le 6 février 1999, se tint au Grand Duché une conférence ayant pour thème “le soutien à la représentation équilibrée dans les conseils communaux” où la ministre luxembourgeoise de la promotion féminine a présenté un projet-pilote intitulé “Partageons l'égalité”. Ce projet comprenait deux volets : • Education à l'égalité • Formation à l'égalité Ce projet a proposé de focaliser sur la nécessité de changer les mentalités de manière concrète, notamment en consacrant le principe du respect de l'égalité hommes-femmes dans tous les domaines. Cette rencontre a adopté une résolution finale sous forme d'appel pour l'augmentation du nombre de candidatures féminines, pour que les hommes assument leurs responsabilités au niveau des foyers conjugaux dans le cadre de l'égalité et pour considérer la participation des femmes dans la prise de décision politique comme élément essentiel dans toute démocratie. La résolution a également appelé les électeurs à voter équitablement pour les hommes et les femmes et invité les partis politiques à présenter sur leurs listes le maximum de candidatures féminines ainsi que la mise en place de stratégies susceptibles de garantir l'équilibre entre les deux sexes. Enfin, les autorités publiques ont été sollicitées à adopter une politique volontariste dans ce domaine. Qu'en est-il au Maroc ? Les organisations féminines et de défense des droits de l'Homme ont , à maintes reprises, fait des propositions à ce sujet. Il est nécessaire d'en rappeler quelques unes. Mémorandum pour l'accès des femmes aux centres de décision et de responsabilité présenté en mai 2001 lors de la révision de la loi électorale. Ce texte proposait l'adoption du mode de scrutin de liste à la proportionnelle, l'interdiction de dépasser 2/3 des candidatures d'un seul sexe, le quota de 20% comme seuil minimum sous peine de rejet de la liste, l'application du principe du quota de 20% dans la désignation des têtes de liste pour mettre fin au monopole masculin et l'adoption du système fermeture éclair selon le même quota pour toutes les listes. Le mémorandum du comité de coordination national des femmes des partis politiques présenté en janvier 2003 aux autorités publiques, en vue de garantir une meilleure représentation féminine lors des prochaines élections communales, notamment la révision de l'article 24 de la loi organique de la Chambre des conseillers. La représentation politique féminine ne s'est améliorée que grâce à l'adoption d'une législation appropriée garantissant l'égalité des hommes et des femmes dans l'accès aux centres de décision et aux responsabilités publiques. Ainsi, la représentation politique féminine au Maroc doit se situer au niveau de préalables généraux et de préalables particuliers. Les préalables généraux Il s'agit de toutes les législations et dispositions positives prises en faveur des femmes en vue d'assurer l'égalité entre les deux sexes. Ce sont deux catégories de mesures : juridiques et politiques. • les mesures juridiques La nécessité de réviser les dispositions constitutionnelles relatives à l'interdiction de toute discrimination. Ainsi, l'article 8 de la constitution qui stipule l'égalité des deux sexes en droits politiques et l'article 12 qui prononce l'égalité de tous les citoyens quant à l'accès à la fonction publique et aux postes de responsabilité publique, nécessitent une clarification. Ainsi, les débats parlementaires au sujet de la liste nationale ont démontré que la classe politique marocaine ne s'est pas encore libérée de la vision traditionnelle de l'égalité. Il est temps de suivre l'exemple tunisien et de réactualiser la constitution marocaine dans le sens de la consécration du principe de la non discrimination. D'autre part, il faut réviser la loi électorale pour l'adoption du principe du quota, même provisoirement, en attendant la révision de la constitution. En ce qui concerne le projet de loi sur les partis politiques, il faut déployer tous les efforts pour que ce texte comporte des mesures favorables à la représentation féminine notamment : • La nécessité d'établir l'égalité des sexes pour les candidatures. • Lier la subvention de l'Etat au respect du principe de l'égalité des sexes au niveau de la représentation. • Les mesures politiques Ces mesures doivent être de deux ordres : • la nécessité de réviser les statuts des partis politiques pour consacrer le principe de l'égalité. • Les partis doivent adopter l'une des trois options : quota, système de fermeture éclair ou de candidature à classement favori. • Elargir et diversifier les opérations de sensibilisation politique, notamment en créant “un comité de soutien aux candidatures féminines”. Les préalables particuliers Il s'agit de la totalité des législations et dispositions favorables à la représentation féminine dans les conseils municipaux. A ce sujet, il faut distinguer entre deux niveaux. • Le premier consiste à garantir une représentation féminine dans les institutions représentatives locales, notamment en révisant les lois régissant les élections communales, préfectorales, provinciales et régionales de telle sorte qu'elles adoptent le quota. • Accorder la possibilité aux femmes d'accéder aux responsabilités locales. L'élection des femmes ne suffit pas, encore faut-il qu'elles puissent pleinement assumer leurs responsabilités dans les prises de décision. A cet effet, il faut garantir la représentation féminine au sein des bureaux des conseils et leur accorder la présidence de certaines commissions.