Quel traitement pour la portion la plus malade de l'économie américaine ? ■ Un homme, la cinquantaine, a soudain ressenti des douleurs de poitrine. En tant que cadre chez IBM, il bénéficie d'une excellente couverture santé et est donc allé consulter un spécialiste. Son cardiologue lui a fait subir toute une batterie d'examens, dont une tomographie par ordinateur. Le radiologue a remarqué une anomalie dans son cou, et l'a donc dirigé vers un chirurgien du cou qui l'a examiné et qui n'a rien décelé. Le patient est retourné voir son cardiologue, qui lui a prescrit une angiographie, ce qui a provoqué des complications dangereuses et l'a cloué dans un lit d'hôpital pendant un certain temps. En tout, il a cumulé 150 000 $ de frais médicaux avant que ses douleurs de poitrine ne disparaissent d'elles-mêmes. Lorsqu'elles sont réapparues quelques mois plus tard, il s'est entretenu avec Paul Grundy, responsable du service de santé chez IBM. Dr Grundy, docteur en médecine préventive de formation, lui a demandé s'il avait changé son mode de vie récemment. Le cadre a mentionné qu'il avait recommencé à jardiner. Dr Grundy a rapidement établi que ses douleurs de poitrine étaient dues à un muscle qu'il avait mis à rude épreuve pendant ses sessions trop énergiques de jardinage. Cette histoire est des plus ordinaires. Les Américains vont dépenser la somme ahurissante de 2,5 billions $ en soins médicaux cette année, selon le Bureau du Budget du Congrès américain. Proportionnellement au revenu national, c'est beaucoup plus que ce que les autres pays riches dépensent, malgré la population légèrement plus jeune des Etats-Unis. Les Américains ne vivent pas plus longtemps que les Européens, mais moins que les Japonais. De plus, 46 millions d'entre eux n'ont pas de couverture santé. Plusieurs facteurs expliquent la cherté des soins médicaux en Amérique. Les Américains adorent les nouvelles technologies médicales. De nouveaux médicaments par exemple, sont disponibles un an ou deux plus tôt qu'en Europe, et cela a un coût. De plus, les médecins américains paient une fortune pour se prémunir contre les procès abusifs. Mais le problème essentiel est que la majorité des Américains obtient sa couverture maladie par l'intermédiaire de leurs employeurs. Lorsqu'un patient ordinaire consulte un médecin, il n'a aucune idée de ce que cela va lui coûter. Il ne paie que 15 % de la facture ; donc, si le médecin lui recommande quoi que ce soit, le patient acceptera probablement. Le médecin est rétribué pour tout ce qu'il prescrit, c'est pourquoi il est encouragé à mettre en route des procédures coûteuses, parfois non nécessaires. Par ailleurs, il peut être redevable de dommages et intérêts s'il omet de prescrire un examen et si un avocat parvient à convaincre un jury que celui-ci était nécessaire. Les frais judiciaires sont transmis aux assureurs, qui les transmettent aux employeurs sous forme de primes plus élevées, qui les transmettent ensuite aux travailleurs sous forme de salaires plus bas. Beaucoup d'Américains pensent que le coût des couvertures maladie accable les entreprises. Mais en règle générale, les vraies victimes de l'inflation observée dans le domaine médical ne sont pas les sociétés, mais les Américains ordinaires. Avec l'augmentation du coût des couvertures santé, soit leurs salaires baissent, soit il n'y a pas de couverture du tout. La réforme du système de santé publique est devenue la priorité nationale de Barack Obama. Le président est déterminé à étendre la couverture et à réduire les coûts. Pour ce faire, il a l'intention de subventionner les individus et les petites entreprises afin qu'ils achètent des assurances, et d'interdire aux assureurs d'exclure les gens malades. Pour encourager la concurrence, il désire proposer aux Américains le choix d'acheter un plan d'assurance santé public comme celui qui couvre les fonctionnaires par exemple. Pour réduire les coûts, il souhaite encourager l'usage de l'informatique et de la « médecine factuelle », une médecine basée sur des données probantes. Le président désire également autoriser l'importation de médicaments de pays où ils sont moins onéreux. Mais faire approuver tout cela par le Congrès sera une rude épreuve. Pourtant, certaines de ces réformes ont de bonnes chances, peut-être pour cette année. Les conséquences pourraient être immenses. Obama semble déterminé à offrir aux Américains la possibilité de souscrire à la sécurité sociale ; si le Congrès était d'accord, les assureurs privés seraient anéantis. Une réforme du système de santé inquiète les sociétés pharmaceutiques également. Avec le système actuel, non seulement les Américains adoptent les nouveaux médicaments plus rapidement que dans les autres pays riches, mais en plus ils paient 50 % plus cher pour les mêmes remèdes. Dans un système dominé par le gouvernement, les bénéfices des sociétés pharmaceutiques prendraient un coup, tout comme leur volonté de toujours innover. Billy Tauzin, lobbyiste de l'industrie pharmaceutique, estime qu'un rationnement à l'européenne coûtera des vies aux Etats-Unis. Mais les sociétés se préparent déjà au pire. Plusieurs fusionnent entre elles pour réduire leurs frais et mettre en commun leurs capacités de recherche : Merck avec Schering-Plough, Pfizer avec Wyeth, Roche avec Genentech. D'autres découvrent qu'elles peuvent réduire les coûts en sous-traitant leurs tests de médicaments. Quintiles, la plus grande société ayant déjà mis en place de telles mesures, a vu ses bénéfices augmenter de 19 % l'année dernière. Obama a l'intention de consacrer 19 milliards $ à l'informatisation de la santé. Selon le New England Journal of Medicine, seuls 4 % des médecins américains utilisent un système de dossiers médicaux entièrement informatisés. Mais installer des ordinateurs sur les bureaux des médecins n'est pas suffisant. Quelque chose doit les pousser à s'en servir. Pour les organismes de gestion intégrée des soins de santé, les avantages sont déjà là. Si les médecins peuvent afficher le dossier médical de leurs patients sur un écran, ainsi que des informations quant à des traitements adaptés, ils peuvent obtenir de meilleurs résultats à moindre coût. Athena Health est une société privée du Massachusetts dirigée par un cousin de George Bush. Au lieu d'essayer de vendre à des médecins des logiciels qu'ils n'utiliseront probablement jamais, Jonathan Bush aide 13 000 médecins à digitaliser les dossiers de leurs patients et à traiter le processus exaspérant de factures aux assureurs. Bush déclare que ses clients sont payés 11 % plus qu'auparavant et 34 % plus vite. Et il fait économiser de l'argent aux patients aussi. Les médecins sans dossiers électroniques trouvent souvent plus facile de prescrire aujourd'hui une autre radio de la poitrine à 500 $ que d'aller dénicher les résultats de celle qu'ils ont prescrite hier, s'étonne M. Bush.