Un hommage est rendu, au Musée du Judaïsme de Casablanca, à celui qui, en 60 ans de carrière, a en partie forgé le paysage architectural marocain. A travers cette exposition, on découvre comment il fut le premier à adapter l'architecture traditionnelle marocaine aux conceptions modernes. Il est décédé le 22 janvier dernier, à l'âge de 91 ans. Depuis le 26 mars et jusqu'au 30 avril, le Musée du Judaïsme de Casablanca rend hommage à celui dont « l'œuvre architecturale parsème le Maroc de Tanger jusqu'au Sahara », selon le mot de Simon Lévy, directeur du musée. A Elie Azagury, qui fut le premier Marocain à décrocher un diplôme d'architecte (aux Beaux-Arts de Paris), on doit, entre autres, le projet Derb Jdid (aujourd'hui Hay Hassani) et l'aménagement du premier complexe touristique du pays, à Cabo Negro. Ce projet a expliqué le directeur de KLK, Rachid Khayatey, lors de l'inauguration de l'exposition, « a été le détonateur pour toute la production touristique au Maroc », avec un impact national et international. « Il a révélé au Royaume l'envergure de son potentiel touristique », a poursuivi le promoteur. Elie Azagury participa également à la reconstruction d'Agadir, aux côtés de Jean-François Zevaco, après le tremblement de terre de 1961. Enfin, il a conçu de nombreuses villas privées : Nahon, Schulmann, Hazan, Varaud… Naissance de «l'habitat adapté» Mais c'est d'abord une conception de l'architecture révolutionnaire dans les années 50 qu'il imposa, aux côtés d'Ecochard et Zevaco. « Il a orienté sa réflexion sur ‘l'habitat adapté' pour inciter les habitants à s'adapter à la vie moderne progressivement », expliquait Azelarab Benjelloun, président de l'Ordre des architectes de Casablanca, lors du vernissage de l'exposition. « Respectueux des particularités sociales et culturelles », Elie Azagury estimait en effet que l'habitat devait s'adapter au mode de vie de ses occupants et non l'inverse. «Son architecture n'était pas importée mais adaptée à la lumière, au climat, au mode de la vie du Maroc », complétait l'architecte Aimé Kakon. Pour se faire, il a donc « rénové et revisité l'architecture marocaine traditionnelle pour la mettre au diapason avec son époque, tout en préservant l'essence même de cette architecture », affirme l'architecte Aziz Lazrak dans Tel Quel. Inspiré par Le Corbusier et Frank Lloyd Wright, il conçut des maisons et des immeubles aux formes simples, géométriques, dont l'uniformité est cassée par un bloc déstructuré, une diagonale, une baie vitrée ou encore le surgissement d'une ligne courbe. Cofondateur de l'Ordre des architectes du Maroc, il en fut le président de 1958 à 1971. L'une de ses préoccupations fut toujours de transmettre aux générations suivantes ce qu'il avait appris, lui qui ne cessa jamais de sillonner le monde afin de se former au contact des plus grands (ses professeurs Auguste Perret et Eugène Baudoin, puis Oscar Niemeyer, Lucio Costa, J.B. Bakema, Richard Neutra, Lina Bardi…) Car Elie Azagury fut également une grande figure humaniste, comme l'a rappelé Aimé Kakon : « J'ai fait un stage chez Elie Azagury. Je le voyais travailler, décider, prendre ‘un parti' et je le voyais vivre. Il était curieux de tout, il aimait la vie qu'il avait choisie de mener. Plus tard il est devenu un ami. Il était cohérent avec lui-même et serein. Il nous a donné jusqu'au bout une leçon d'humanisme et d'optimisme ». ■