La dernière production du HCP (Haut Commissariat au Plan) a levé le voile sur les a priori de la société marocaine confrontée au vieillissement de sa population. Rien n'est moins sûr que de banaliser une problématique qui risque de peser lourd dans les deux décennies à venir au seul poncif de la solidarité familiale. Imaginez une société marocaine sans filets sociaux institutionnels, sans structures d'accueil, d'asile et de prise en charge des vieillards, qui soit dans le même temps, dépourvue de solidarité familiale, ce serait une belle catastrophe humanitaire. Ahmed Lahlimi aime à rappeler la conviction de feu Hassan II lorsqu'il affirmait: «le jour où le Maroc construira une maison d'asile des personnes âgées, ce ne serait plus le Maroc». Et qui plus est, une société en transition démographique en voie d'achèvement, caractérisée par une compression régulière de la population âgée de moins de 15 ans en raison de la baisse importante de natalité et d'un accroissement de la catégorie des personnes âgées, encouragée par l'allongement de l'espérance de vie. Ils étaient 833.000 individus en 1960 pour évoluer vers 2.400.000 en 2004 avant qu'ils n'atteignent 5.800.000 personnes âgées à l'horizon 2030. Retraite et santé absentes Mais jusqu'à quand la solidarité familiale continuera à colmater les brèches d'un système public qui n'ose pas encore prendre en charge le traitement du phénomène ? Le haut Commissaire au Plan l'a rappelé crûment en séance publique le mardi 2 décembre: «La vieillesse au Maroc survit grâce à la solidarité familiale. Mais il n'existe pas de solidarité familiale à sens unique. Il y a un échange intergénérations» ou échange de marchandises, si vous préférez. En clair, 60% des femmes composant la vieillesse du pays et vivant dans le tissu familial effectuent régulièrement des travaux ménagers et à domicile. Tandis que 17% des personnes âgées s'occupent des enfants et petits-enfants qu'ils conduisent et ramènent de l'école. Près des deux tiers s'en sortent grâce à la solidarité des leurs, 77% sont matériellement soutenues par leurs familles et 47% aident leurs enfants. Mais jusqu'à quand la solidarité familiale tiendra-t-elle le cap à l'ère de la mondialisation et de l'individualisme triomphants ? La double carence qui condamne à une vieillesse douloureuse se traduit par une couverture médicale absente privant 86% de nos personnes âgées des services sanitaires normalement requis. En milieu rural, c'est la quasi-catastrophe, car ils sont 97% à être livrés à la nature. Quant à la retraite, n'en parlons pas car ils sont 84% exclus de toute pension tandis que 31% sont obligés de travailler encore pour assurer leurs arrières. Une population abandonnée aux incertitudes du lendemain au constat qu'ils sont encore 83% à végéter dans l'analphabétisme, un taux encore plus effrayant en milieu rural où ils totalisent 92%. Des campagnes vidées de leur productivité à la fleur de l'âge, puisque l'exode rural mobilise quasi-exclusivement les jeunes. Plus de la moitié des personnes âgées vit dans les centres urbains avec une moyenne d'âge de 67 ans dont 52% de femmes et qui vivent plus longtemps, surtout les veuves (68%). Les personnes âgées ont aussi un rôle important dans les tissus familiaux en tant que relais de transmissions de valeurs et de conseils sages, mais 63% d'entre eux se sentent «isolés» ou craignent d'être un poids à charge. Surtout que le phénomène risque de s'aggraver car, comme l'a expliqué Lahlimi, «il n'y a pas de planification de la vie du troisième âge au Maroc. Très peu de personnes âgées ont affirmé qu'ils ont préparé leur vie à ce stade». En ajoutant qu'il est impératif, en attendant des solutions structurées durables, de préserver la solidarité familiale en la renforçant avec des opportunités de croissance, de création d'emplois et d'accès aux logements. ■