Mohamed Soual, est ingénieur en télécoms, spécialiste des problèmes de développement, membre du bureau politique du PPS. Il nous livre une contribution au débat soulevé par la crise financière où il appelle à un surcroît de vigilance. Entraînée par l'onde de choc partie des Etats-Unis, l'économie mondiale semble s'enfoncer dans une des crises les plus graves. D'aucuns n'hésitent pas à comparer cette crise à la grande dépression consécutive au crash de 1929. Déjà en Mars dernier, Alan Greenspan, ancien président de la Federal Reserve ( Banque centrale américaine), a écrit dans le Financial Times : «nous sommes dans la crise la plus grave depuis la guerre». Venant de quelqu'un connu pour son mutisme, il est surprenant qu'on ait laissé le château de cartes construit par les subprimes s'écrouler jusqu'à ce que des fleurons de la finance mondiale tombent les uns après les autres, asphyxiés par le manque de liquidités. Alors même que jamais par le passé, les banques centrales n'aient injecté autant de liquidités pour porter secours à un système financier en mal de confiance, car les banques ne se prêtent plus entre elles, l'effet domino joue à plein. La crise actuelle semble sonner le glas du libéralisme mal régulé et encore plus mal contrôlé. Déjà en Août 2007 les agences de notation étaient mises à l'index. N'oublions pas que des institutions notées triple A font partie des disparues, rachetées ou carrément nationalisées, nécessitant une intervention massive et spectaculaire des puissances publiques. Parions que le rejet du plan Paulson, le secrétaire américain au Trésor, par le congrès, a davantage rapport avec des considérations électorales qu'un refus de porter secours à un système financier en déroute : Bear stears racheté par JP Morgan Chase aidée par la FED, la banque anglaise Northern Rock nationalisée, Fannie Mae et Freddie englouties dans la tourmente des subprimes mises sous tutelles du trésor américain, Lehman Brother's mise en faillite, les prestigieuses Merrill Lynch vendue à la Banque Of America, l'assureur AIG nationalisé et la litanie continue pour toucher l'Europe ( Fortis, Dexia, Bradford and Bingle, Hypo Real Estate). Qui dit que des mastodontes comme UBS, ou d'autres, qui a affiché déjà 47 Milliards d'euros de pertes ne seraient pas englouties à leur tour ? Cette grave crise trouve ses racines dans la prévalence de la finance et l'extraordinaire sphère spéculative dans laquelle elle a été entraînée en l'absence d'un système de régulation et de contrôle mondial. Elle trouve également son origine dans un phénoménal laxisme vis-à-vis du risque depuis au moins 20 ans. La leçon de l'éclatement de la bulle Internet dans les années 2000 ne semble pas avoir été retenue ! Elle montre qu'à coup sûr, les règles de fonctionnement de l'économie mondiale ne sont pas adaptées, d'autant que les inégalités des revenus entre nations et l'intérieur de chacune d'elle, n'ont jamais été aussi fortes. La crise des subprimes se niche précisément dans le fait que les banques ont commencé à distribuer des crédits immobiliers sans discernement, aux ménages les plus insolvables, disposant de revenus en dessous des normes requises par l'appréciation correcte des risques. En plus, on consentait des prêts dits «2-28», c'est-à-dire que les échéances sont faibles pendant 2 ans mais grimpent astronomiquement pour les 28 années suivantes. Les mensualités augmentant de 50 % à 200 %, les ménages étant persuadés de vendre après deux ans en empochant de belles plus values ! La titrisation permettant aux banques de vendre ces créances, se contentant d'empocher des commissions. Les banques se prêtant elles-mêmes à ce jeu morbide, ont racheté sur le marché ces créances fabriquées par elles ou par leurs consoeurs. Le coût estimé aujourd'hui par les plus optimistes, se monterait à près de 1000 Milliards de dollars. Il faut espérer que d'autres titres, telles les obligations pourries (junk bonds) ne réservent pas d'autres mauvaises surprises, même si les autorités américaines ont décrété l'interdiction de spéculer à la baisse à leur endroit. Si d'aventure, cette crise se révélait de même ampleur, voire plus que celle de 1929, avec la différence que les autorités monétaires ont agi promptement cette fois-ci, contrairement à avant, où l'on a attendu presque 4 ans le new deal de Roosevelt, il faudrait savoir, qu'en 6 jours la chute du Dow Jones d'un tiers a amputé la production mondiale d'un tiers ! Et la production industrielle américaine en 1932 n'était plus que de 46% de ce qu'elle était en Juin 1929. La production d'acier et d'automobiles est divisée par six et le quart des ouvriers est congédié comme le rapporte François Lenglet dans « la crise des années 30 est devant nous ». Les prix agricoles s'effondrent et l'on dénombre plus de 500 établissements financiers en faillite. Comparaison n'est pas toujours raison, cependant, il est raisonnable de s'attendre à une sérieuse inflexion de la mondialisation qui consciemment ou mécaniquement, pourrait entraîner une mécanique de la protection. Le capitalisme devrait sans aucun doute se reconstruire sur les bases vacillantes de cette déconstruction avec l'impératif d'une corrélation entre économie réelle et sphère financière, avec plus de régulation et de gouvernance mondialisée et concertée à l'image des institutions de Bretton Wood, nées d'après guerre. Au Maroc, dans la mesure où notre système financier semble immunisé par rapport à cette bourrasque, assurance doit aller de pair avec vigilance. Les autorités monétaires sont appelées à plus de vigilance que jamais, d'autant que la croissance de ces 5 dernières années est fortement tirée par la consommation intérieure, qui, elle-même, est dopée par une distribution massive des crédits. D'autres points de vigilances doivent être observés, notamment sur l'évolution du tourisme, les transferts des MRE et l'export, car ces trois segments dépendent du comportement du citoyen consommateur européen, qui, en temps de crise, épargne plutôt qu'il ne consomme. De même, faudrait-il demeurer attentif par rapport aux évolutions des marchés de change, compte tenu de notre forte exposition aux échanges extérieurs. Notre pays a accompli de remarquables progrès en termes de croissance et de stabilité macro-économique, il est impératif de continuer, pour assurer l'indispensable cohésion sociale. Si la rigueur est de mise, en aucun cas, il ne faudrait sacrifier le volet de développement humain et social et les indispensables réformes en matières d'Education et de Justice. ■