En matière de réforme du système éducatif, comment tirer les bonnes leçons des écoles des autres pays ? Les élèves de l'école primaire de Kulosaari, dans la banlieue d'Helsinki, restent imperturbables face au flot de visiteurs étrangers qui errent dans leurs salles de classe. Le directeur de l'école et son personnel trouvent cela ordinaire eux aussi, et cela n'a rien d'étonnant ! Le monde accourt en foule en Finlande pour découvrir ce qui a bien pu placer ce pays nordique discret en tête du palmarès international de l'enseignement. Le ministère de l'Education finlandais a sous la main trois employés à plein temps dont la mission est de guider les visites des hauts responsables et journalistes étrangers dans les écoles. Les établissements disposés ainsi en vitrine alternent chaque année ; actuellement, Kulosaari est de service, ainsi qu'environ 15 autres établissements. Pirkko Kotilainen, un des trois employés du ministère, déclare que lorsque la Finlande assumait la présidence de l'Union européenne, ce fut la période la plus chargée qu'elle ait connue : elle a dû organiser des visites d'écoles pour 300 journalistes étrangers en six mois seulement en 2006. La position de la Finlande en tant que destination de choix du tourisme éducationnel est le résultat d'une vieille habitude dans la politique en matière d'enseignement : chercher à l'étranger les leçons à appliquer à l'école. Certaines destinations plaisent à des marchés de niche : le système de «bons» d'études en Suède attire les aficionados du choix libre de l'école ; la maigre bureaucratie du système éducatif en Nouvelle-Zélande plaît aux partisans de la décentralisation. Les responsables politiques qui considèrent le bâton comme étant plus efficace que la carotte, admirent le corps des inspecteurs des écoles sans complaisance et les tests obligatoires en Angleterre (les autres parties de la Grande-Bretagne fonctionnent selon des systèmes différents). Mais les visiteurs en Finlande (et dans une moindre mesure en Corée du Sud, à Hong Kong, à Taiwan, au Japon et au Canada) sont attirés par les bons résultats de ces pays dans le classement établi par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui regroupe des pays riches et qui est basée à Paris. Son Programme international pour le suivi des acquis (PISA) teste les élèves de 15 ans dans des dizaines de pays (56 dans l'étude la plus récente) en lecture et écriture, en mathématiques et en sciences. La Finlande arrive généralement première ; les autres manœuvrent du mieux qu'ils peuvent pour se placer avantageusement. Une telle quête est compréhensible, mais peu judicieuse, estime Alan Smithers, spécialiste des systèmes éducatifs transfrontaliers qu'il compare à l'Université de Buckingham en Grande-Bretagne. Importer des éléments d'un système éducatif à succès (l'équilibre entre gouvernement central et gouvernement local, l'âge d'entrée au collège, le port d'uniformes, etc.) a peu de chances d'améliorer les performances. « On ne devrait pas chercher à copier les mieux classés dans le PISA, dit-il, parce que le classement dans ce palmarès dépend de beaucoup d'autres choses qui se cachent derrière la vie dans les écoles. » Une étude des derniers résultats de la Finlande en 2006 dans le PISA, réalisée par Jarkko Hautamäki et ses collègues de l'Université de Helsinki, vient corroborer l'avertissement de M. Smithers. Elle met en lumière un élément unique pouvant facilement être copié ailleurs: une intervention précoce et énergique auprès des élèves en difficulté. La majorité des autres ingrédients du succès qu'ils ont identifiés (l'orthographe, la géographie et l'histoire) n'ont rien à voir avec la façon dont les écoles sont gérées ou avec ce qui se passe dans les salles de classe. En finlandais, chose exceptionnelle, chaque lettre transcrit un son logique unique et il n'y a pas d'exceptions. Cela rend l'apprentissage de la lecture plus facile. Cette économie qui reposait encore récemment sur l'agriculture sous des latitudes difficiles, s'est forgé un caractère national stoïque et un appétit pour le progrès personnel. Des siècles de dominance étrangère (d'abord les Suédois, puis les Russes) ont placé davantage l'éducation au cœur de l'identité nationale. Le travail dur et un comportement irréprochable sont devenus la norme ; l'enseignement attire les meilleurs diplômés (presque neuf professeurs potentiels sur dix sont refusés). Peu de pays voudraient copier le climat austère de la Finlande ou sa sombre histoire, même s'ils le pouvaient (bien que la réforme de l'orthographe anglaise mérite notre attention). Ce qui serait peut-être plus instructif, ce n'est pas d'observer la façon dont les écoles en Finlande sont gérées, mais comment les décisions en matière d'éducation sont prises. Comme dans d'autres pays européens, la Finlande a fusionné, dans les années 1970, les écoles spécialisées et les écoles techniques et professionnelles pour former des établissements polyvalents d'enseignement secondaire. Le premier point qui, selon M. Hautamäki, revêt une importance capitale est le consensus général, obtenu avec circonspection, mais irrévocable. « Ils continuent tout simplement jusqu'à ce qu'ils arrivent à un accord », explique-t-il. «Cela a pris deux années». Les établissements polyvalents ont été lancés en 1972 dans le nord peu peuplé du pays, puis dans le reste du pays dans les quatre années qui ont suivi. Matti Meri, formateur pédagogique des enseignants à l'Université de Helsinki, était professeur à cette époque. «Les enseignants dans les grammar schools (établissements d'enseignement secondaire avec examen d'entrée) avaient peur de ces réformes», se remémore-t-il. « Ils n'enseignaient qu'à un tiers des élèves. Mais les écoles polyvalentes suivaient quasiment le même programme que les grammar schools, et nous nous sommes aperçus que les deux autres tiers étaient en majorité capables de le suivre». Comparaisons internationales Le temps que les établissements polyvalents s'ouvrent dans le sud plus peuplé, les enseignants avaient hâte de participer à ce qui était clairement devenu un succès énorme. « Un projet peut être le meilleur qui soit, si les enseignants n'y adhèrent pas, ce sera très difficile de l'appliquer », selon Sam Freedman, chargé de l'éducation à Policy Exchange, un think-tank basé à Londres. Ce dernier fait référence au Canada, où l'Alberta et l'Ontario ont tous deux adopté des réformes majeures dans les années 1990. Le gouvernement régional de l'Alberta a obtenu un soutien général pour ses idées ; et ses réformes ne sont plus controversées. En Ontario, au contraire, le discours des hommes politiques était conflictuel et les syndicats des enseignants s'y opposaient farouchement. Le gouvernement actuel travaille dur pour la réconciliation. Les réformes de l'éducation en Finlande ont peut-être pris dix ans de leur conception à leur mise en œuvre complète, mais elles ont duré dans le temps : peu de choses ont été changées en 30 ans. M. Smithers établit un sombre parallèle avec la révolution permanente qui règne dans les écoles anglaises. « Les responsables politiques ici semblent penser qu'une journée sans communiqué sur l'éducation est une journée de perdue », ajoute-t-il. Les nouvelles politiques doivent se fonder sur les précédentes, déclare Andreas Schleicher, chef des recherches sur l'éducation à l'OCDE. « Dans certains pays, cependant, la plus grande ambition d'un nouveau gouvernement est de défaire tout ce que ses prédécesseurs ont fait ». M. Schleicher reconnaît que les ambitieux, ou tout simplement les naïfs, feuillettent parfois rapidement les études du PISA pour y dégoter de nouvelles mesures en matière d'éducation. Mais, dit-il, les comparaisons internationales nous enseignent une leçon cruciale: elles montrent ce qui est possible de faire. « En 1995, lors du premier meeting des ministres des pays de l'OCDE auquel j'ai assisté, chaque pays se vantait de ses propres succès et de ses propres réformes brillantes. Aujourd'hui, les comparaisons entre les pays mettent en évidence ceux qui échouent. Et ils n'ont nulle part où se cacher ».