La pluie des uns fait le malheur des autres. Quand la chaîne surveille les nuages pour les faire exploser avant qu'ils ne gâchent la fête olympique, au Maroc, on scrute avec inquiétude le ciel, à la recherche de quelques gouttes bienfaisantes. C'est que l'attitude des populations vis-à-vis de la pluie diffère selon les régions du monde. Dans les régions tempérées, comme l'Europe, la pluie a une connotation triste et négative -«Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville», écrivait Paul Verlaine- alors que le soleil est synonyme de joie. En marge de cette vision traditionnellement négative de la pluie, elle est parfois associée à des valeurs positives (apaisement, fertilité, propreté ou esthétiques). Là où elle est abondante, soit par sa fréquence, soit par sa violence (mousson), les gens préfèrent instinctivement se mettre à l'abri et développer des moyens de se protéger de la pluie (imperméables, parapluies), et élaborent des systèmes de canalisation et d'évacuation (gouttières, égouts). Il suffit de se promener dans les rues des villes marocaines et de regarder un peu attentivement les façades et les toits des maisons suivant leur origine de construction. Les maisons construites sous le protectorat possèdent des toits en pente et des gouttières, les maisons traditionnelles des médinas, des toits en terrasse et pas d'évacuation d'eau… Dans les régions plus sèches, là où les cours d'eau sont rares et la distribution de l'eau potable et l'irrigation sont conditionnées par les précipitations, comme beaucoup de régions du Maroc, la pluie est considérée comme une bénédiction et reçue avec euphorie. Ici, elle a un rôle économique fondamental. Sans compter son impact sur l'agriculture bien sûr mais aussi sur l'urbanisme. En effet, l'urbanisation doit prendre en compte une gestion de la pluie. Les sols rendus étanches dans les villes nécessitent le développement de réseaux d'évacuation et d'assainissement. En changeant la proportion entre l'eau ruisselée et l'eau absorbée par le sol, le risque d'inondation est augmenté si les infrastructures sont sous-dimensionnées. Et ce ne sont pas nos lecteurs casablancais ou marrakchis qui diront le contraire… à la merci de la pluie Qui est le véritable décideur de la politique économique au Maroc ? Quelle que soit la réponse qui désigne des humains, vous avez tout faux. Les véritables économistes en chef du royaume s'appellent Stratus et Cumulus. Et ce sont ces nuages qui dictent, selon qu'ils débarquent en nombre ou pas dans nos cieux, l'état de santé du PIB marocain. Pour rappel, l'agriculture pèse pour plus de 15% du PIB et seuls 16% des terres cultivées sont irrigués, tandis que les 84% restants dépendent d'une pluviométrie incertaine… L'autre mamelle économique du pays -le tourisme- est tout aussi dépendante de la pluie. Pas assez de pluie et les restrictions provoquées par la sécheresse, font fuir le touriste. Trop de pluie et le même touriste en quête de soleil, fuit vers des cieux plus cléments. Alors, comment dans ces conditions ne pas s'intéresser à ce phénomène météorologique que l'on a bien du mal à prévoir et encore plus à réguler ! La pluie tombe drue depuis quelques jours. Une «bonne» pluie bien dense et régulière sur le littoral atlantique. Dans les montagnes : un crachin anglais, serré et. Sous le ballet lancinant des essuie-glaces, les taxis ont l'air épanoui. Au début de la pluie tout au moins. Après… Pour l'instant il est heureux comme un enfant. Comme la plupart des Marocains. Il remercie le ciel qui pleure. Est-ce une prière, un chant ? Il invoque le Très Haut et la bonne période que traverse le pays. Oui, Allah est en train de donner un sacré coup de main au gouvernement. Car, au Maroc, la pluie change tout. Et elle tombe depuis des jours. Des villages les plus reculés de l'Atlas ou du Rif, des tours de verre de Rabat, des plages d'Essaouira, des dunes de Zagora, elle rend l'âme joyeuse et «donne la confiance». La pluie est bonne fille. Elle ne fait pas de discrimination. Elle arrose tout le monde. Les agriculteurs et les citadins. Les riches et les pauvres. Les saints et les voyous. Elle agace le touriste et ravit l'autochtone. Elle signifie prospérité, abondance, paix sociale. En période de pluie, les courbes de consommation grimpent autant que durant les fêtes de l'Aïd. Les banquiers sont plus enclins à accorder des prêts; hé oui. Et la Bourse de Casablanca flambe comme jamais. Tout près de Benguerir, dans le village de Mechraa Abbou, les eaux tumultueuses du fleuve Oum-er-Rbia ( la mer du printemps ) font le bonheur des villageois qui se précipitent vers les bus et les automobiles, les bras chargés des poissons qu'ils ont pêchés au petit jour. Tanches, gardons, carpes, à profusion. L'oued, n'avait plus connu pareille fête depuis un bon bout de temps. En quelques minutes, tout est vendu. Le gamin est heureux, le touriste encore plus. Un brochet : 20 dirhams, même pas 2 euros, calcule-t-il. «Pour comprendre cette euphorie générale, il faut savoir qu'ici, au Maroc, des régimes politiques, des dynasties, se sont effondrés à la suite de grandes sécheresses, raconte Mohamed El-Faïz, professeur à l'université de Marrakech, auteur des «Maîtres de l'eau», ouvrage sur l'histoire de l'hydraulique au Maroc. Les Almohades, par exemple, qui régnaient sur un royaume dont les deux grandes capitales étaient Marrakech et Séville, ont disparu à la suite de terribles sécheresses. Le Maroc actuel a connu, lui aussi, des moments difficiles à cause du manque d'eau. Toutes ces données sont inscrites dans la conscience populaire. Alors quand la pluie tombe, le pays rayonne». Du temps du protectorat français, le maréchal Lyautey n'avait-il pas lancé la formule célèbre : «Au Maroc, gouverner, c'est pleuvoir». Sécheresse : un fléau persistant Manque de pluie, manque d'eau dans les barrages : tous les agriculteurs marocains sont frappés par la sécheresse qui sévit depuis plusieurs années, particulièrement au Sud du pays. Entre 30 à 90 % selon les régions de déficit pluviométrique ! L'agriculture, qui absorbe 80 % des ressources en eau, est la première touchée. Dans le Sud où les nappes souterraines ont baissé de plus de 5m, les agriculteurs sont désemparés migrent vers les villes. Et l'on oublie trop souvent que l'agriculture emploie plus de la moitié de la population active… Les réserves d'eau des barrages remontent péniblement. Certains n'étaient remplis qu'à 10 ou 20%. Après les dernières pluies on arrive à 50%… Les irrigations à partir du barrage Hassan Ier qui approvisionne Marrakech, et de celui d'Abdelmounen, qui dessert Agadir et ses environs, ont été provisoirement interrompues. La sécheresse cause de lourdes pertes à l'économie. Quand il ne pleut pas assez comme dans les années 1995/2001, les exportations d'agrumes du Maroc ont baissé de près de 40 % par rapport aux années normales. La production céréalière de 2000, inférieure de plus de 50 % à celle de 1999, avait contraint le pays à augmenter ses importations. Les prévisions de récoltes sont meilleures pour cette année 2008 mais encore bien inférieures à celles espérées. Et la spéculation se fait déjà sentir sur les aliments pour le bétail. Lors du prochain salon de l'agriculture à Meknès, les responsables égrèneront toujours les mêmes antennes qui ne convainquent plus personne. Il faut dire que convaincre les paysans du Sud de réduire leurs dépenses en eau alors que les hôtels à touristes remplissent et changent l'eau des piscines tous les deux jours… ça devient dur ! Selon des statistiques des Nations unies, il y a pénurie quand un Etat n'arrive plus à assurer 1.000 litres d'eau par habitant. En 1955, chaque Marocain disposait en moyenne de 2 700 litres. La croissance démographique, conjuguée à la sécheresse, a réduit cette part à 1.117 litres par habitant en 1990. Depuis 2006, on prévoit sagement qu'elle ne devrait plus être que de 638 litres ! Comment faire de la pluie ? Le principe d'ensemencement, consiste à introduire dans les nuages des produits chimiques (mélange d'argent, de sodium et d'acétone) pour obtenir plus de pluie, qu'il n'en serait tombé initialement. «Il existe deux façons d'ensemencer des produits chimiques. La première, celle du générateur au sol consiste, schématiquement, à pressuriser les composants qui passeront par le biais d'une cheminée». La seconde, consiste «à passer directement par la base des nuages pour accélérer le processus de la microchimie de la perturbation (...) La voie du vecteur aérien, plus pertinente, apporte un taux de réussite plus grand. C'est celle qui est le plus souvent utilisée». Quant au coût d'une telle opération, on saura simplement que «cela coûte très cher !» Mais il faut mettre en regard de ces coûts, une récolte excédentaire de 800.000 tonnes de maïs… Sans compter que le programme Saaga, est, comme ne manque pas de le souligner les responsables des deux pays, un bel exemple de coopération Sud-Sud. Casablanca : Les égouts poubelles ! La pluie, tant attendue, ne fait pas que des heureux. A Casablanca, dans certains quartiers, les eaux pluviales débordent des égouts. Défaut de curage et d'assainissement ? Peut-être. Mais, plus sûrement : beaucoup trop de gens prennent les égouts pour des poubelles. De la ménagère et du cafetier qui évacuent tout ce qu'ils sortent de chez eux dans l'égoût au lieu de le ramasser, jusqu'aux déblais de construction et autres déchets industriels sans parler des matières corrosives... Les tonnes de légumes et de poissons pourris de chaque souk sont évacuées directement dans les égouts. Du coup cela forme une sorte de boue compacte qui se transforme en bouchon étanche et qui bloque tout. Ce qui fait que quand il pleut, en très peu de temps des cordes comme ces jours-ci, certaines rues se transforment en oued furieux. En moyenne, ce sont plus de 20 mm qui sont tombés ces jours-ci, alors qu'il pleut en moyenne 300 à 400 mm par an sur Casablanca. Rajoutez à cela que les réseaux d'assainissement de la ville sont dimensionnés pour évacuer un débit correspondant à 20 mm de pluie par heure, alors que par endroits, on a enregistré des pics de 10 mm en quelques minutes. Plus la marée haute, ce qui a perturbé l'écoulement normal des eaux pluviales vers la mer.