Des centaines de personnes sont mortes, 20 000 personnes ont été empoisonnées, après avoir consommé des huiles frelatées à Meknès. Un demi-siècle après, l'affaire revient à l'actualité. Les rescapés du drame attendent toujours d'être indemnisés par l'Etat. Le sort du fonds d'indemnisation instauré par dahir en 1961 demeure encore inconnu. Actuellement, le dossier de la ligue marocaine des victimes des huiles empoisonnées, fondé en 1961, est entre les mains du Tribunal administratif de Rabat. Pour comprendre les méandres de ce dossier tentaculaire, il faut remonter aux années soixante. Jambes recroquevillées, des bras d'une maigreur cadavérique, le teint pâle, une difficulté d'élocution, en plus de bien d'autres choses. Ce personnage n'est qu'une victime comme tant d'autres du fameux scandale des huiles frelatées de Meknès. 49 ans après le drame de l'empoisonnement de plus de 20.000 personnes par une huile empoisonnée à Meknès, les victimes qui ont survécu à la maladie et à l'exclusion veulent connaître le sort du fonds de soutien qui leur avait été alloué par un décret royal de feu Mohammed V. Le crime des huiles empoisonnées de Meknès avait d'ailleurs été qualifié de crime contre la santé de la nation par le Souverain défunt. En octobre de la même année, un dahir avait été promulgué réprimant les «crimes contre la santé de la nation». Ce dahir avait requis la peine de mort contre les coupables et, fait nouveau, dans son article 2, il précisait que ces infractions «sont punissables même si elles sont antérieures» à la publication du texte. L'affaire des huiles empoisonnées remonte à 1959. Dans une petite fabrique artisanale de Meknès, un groupe de commerçants crapuleux pour ne pas dire criminels, avaient mélangé de l'huile de table à de l'huile pour moteur d'avion, récupérée dans les bases américaines qui venaient d'être libérées : Sidi Kacem, Nouacer et Sidi Yahya, en accord avec le gouvernement Marocain. Ces barils avaient été acheminés et stockés dans un local qui se trouvait à Bab Serrak en face du mausolée de Moulay Smail à Meknès. Selon un témoin de l'époque, l'endroit se trouve exactement à ce qui s'appelait sous le protectorat, Bd de Strasbourg, pas très loin de la place des Alliés. L'homme qui était derrière ce drame est toujours dans les affaires et plus précisément dans la fabrication et la commercialisation d'huile de table, mais la justice l'a rattrapé en 2007, non pas par un procès, mais par une sorte de malédiction divine puisque ses affaires vont de moins en moins bien. Certaines sources affirment même que le dépôt de bilan de sa société serait pour bientôt. L'homme était, selon la même source, commerçant en huiles comestibles sous la marque «Huile Le Cerf», une nouvelle société créée en 1959 pour la circonstance, selon Lahcen Yamani, président de la ligue Marocaine des victimes des huiles empoisonnées. Notre commerçant eut «l'idée géniale» d'acheter des huiles usagées, qui avaient été récupérés après les vidanges régulières et périodiques faites sur les avions américains des bases aériennes au Maroc. Ces huiles a peu près identiques à l'huile de freins des voitures, furent mélangées a de l'huile de table dans le but d'assurer de confortables bénéfices à cet «habile» commerçant. Il avait fallu plusieurs mois d'enquêtes pour remonter la filière et trouver l'explication de cette gigantesque intoxication collective et l'aide de plusieurs pays pour arrêter le drame et sauver les malheureux qui avaient consommé l'huile «le Cerf». Un Français, qui résidait à l'époque à Meknès, témoigne : «Après un procès exemplaire, ce commerçant fut condamné à mort. Quelques années plus tard, quelle ne fut ma surprise en le croisant Bd de Strasbourg, vaquant à ses affaires ! L'ami qui m'accompagnait m'annonçait qu'il avait été gracié puis relâché». Une source policière de l'époque parle d'une affaire de gros sous qui avait permis au commerçant et à ses complices d'échapper à la potence. En effet, trois personnes furent condamnées à mort dans cette affaire et plusieurs autres à des peines d'emprisonnement plus ou moins longues. Mais aucune exécution n'avait eu lieu. Ils avaient tous été graciés après trois ans de détention fictive. En effet, des témoins affirment qu'ils n'avaient jamais mis les pieds dans une cellule. Après vérification, aucun registre de la prison civile de Rabat où étaient censés croupir les condamnés ne porte leurs noms. Cerise sur le gâteau, en 1968, les quelques personnes qui étaient encore en prison avaient été graciées à leur tour. Selon un témoin de l'époque, c'est à la demande de «sultan Tolba» que la grâce avait été formulée. Cette tradition qui avait été sortie des oubliettes pour la circonstance, consistait à donner l'espace d'une cérémonie, tous pouvoirs à un étudiant en sciences religieuses, le titre de «sultan» et de ce fait il pouvait grâcier qui il voulait. On raconte ainsi que le «sultan» de circonstance qui avait des liens de parenté avec l'un des coupables, en avait profité pour demander leur grâce, qui leur a été accordée à l'époque par feu Hassan II. Une énigme de plus parmi d'autres dans ce dossier. Un autre personnage avait joué le rôle de l'avocat du diable, dans cette affaire. Appuyant la demande saugrenue du «sultan des tolbas», Ahmed Reda Guedira va, en 1963 demander la grâce pour ses clients. Années de plomb économiques Pire encore, cette affaire traîne avec elle depuis 49 ans un parfum de souvenirs noirs des années de plomb. En effet, les victimes de ce drame avaient été menacées, certaines avaient subi des pressions terribles pour les contraindre à oublier cette affaire. En 1973, le vice-président de la Ligue marocaine des victimes des huiles empoisonnées avait fait l'objet d'une opération d'enlèvement par des éléments du CAB1. Un jour de l'hiver 1973, trois individus à bord d'une 4L blanche abordent Lahcen Yamani à sa sortie de bureau et l'embarquent de force pour l'emmener à Kénitra. L'homme se retrouve dans une cave située au sous-sol de la province de Kénitra. Malmené, et menacé, il a signé sa démission de président au sein de la ligue pour avoir la vie sauve. Par peur des représailles, il s'est exécuté. Après cela, les trois individus l'embarquent à nouveau à bord de la 4L et le déposent devant un grand taxi en partance pour Khemisset. Le ticket du retour fut quand même offert par le CAB1. Le Cerf de malheur Au mois de juillet et août 1959, l'huile frelatée arrive à Nador et Al-Hoceima, et au mois d'octobre, à sidi Kacem. Le noyau dur de l'empoisonnement se trouvait à Meknès. Les criminels avaient écoulé leur trafic dans la même ville d'abord. Vendu à 0,50 dh le litre, le prix était attractif pour les plus démunis. Les fabriquants de beignets traditionnels (seffnages), avaient acheté des bidons en grandes quantités. Ceux qui se trouvaient à proximité des écoles primaires avaient fait des ravages. Le produit mélangé à l'huile de table n'était autre que le TCP (Tri-meta-Cresyl Phosphate) une substance incolore, inodore et sans goût. Pendant les années 50, des pilotes canadiens et australiens qui avaient été atteints de diverses maladies après avoir été exposés aux vapeurs de cette huile, avaient poursuivi leurs pays en justice. Lors de l'enquête de l'OMS et de l'université d'Oxford, il a été démontré que la bouteille d'un litre de la marque, «Le cerf» a été mélangé à hauteur de 67% d'huile de moteur et 33% d'huile de table. Depuis juillet 1959, les victimes des huiles empoisonnées tombaient par milliers. Les autorités sanitaires étaient débordées et ne savaient pas l'origine de cette épidémie. Dans la ville de Khémisset où les structures sanitaires étaient quasi inexistantes, l'hôpital de la ville se contentait de faire une piqûre aux victimes et de leur donner quelques vitamines. L'imaginaire populaire avait donné un nom à cette drôle de maladie qui n'épargnait personne???: «Bourekabe». C'était le nom que les Marocains avaient donné à cette maladie qui paralysait tout le corps, qui commençait par les pieds et les articulations. Selon le témoignage des victimes, les personnes empoisonnées étaient considérées comme victimes de la poliomyélite. Cette dernière est une maladie infectieuse d'origine virale qui peut entraîner des paralysies plus ou moins graves. Aucun traitement n'avait été donné aux victimes. Le Maroc demande l'aide internationale de l'OMS, de la croix rouge et des pays comme la France, le Canada et la Grande-Bretagne.. Au mois de septembre 1959, 300 cas étaient signalés par jour à Meknès. Les autorités sanitaires savaient que ce n'était pas la poliomyélite, mais la maladie restait toujours mystérieuse. Les médecins soupçonnaient un virus d'être à l'origine des infections. Le Maroc demande alors l'aide internationale de l'O.M.S, de la Croix Rouge et des pays comme la France, le Canada et la Grande Bretagne. Au cours du mois d'octobre 1959, grâce à l'aide de l'OMS, deux éminents épidémiologistes anglais arrivent d'Oxford. Les docteurs J.M Spalding et Honor Smith. Les signes distinctifs de la maladie étaient, la fièvre, la nausée et une paralysie des mains et des jambes. Si la culture populaire ne tardait pas à lui donner le nom de «bourekabe», les médecins pour leur part tardaient toujours à mettre un nom sur la mystérieuse maladie. Ils ne disposaient d'aucun élément tangible pour le faire. L'option de l'étude statistique va apparaître aux médecins comme la seule issue pour détecter l'origine de la maladie. Le fléau n'a touché que les classes pauvres de la société. Les Européens ne sont pas touchés. Idem pour les Marocains de confession juive. Les militaires et les prisonniers ne souffriront pas du mal. Le fait que deux hommes de troupe, qui avaient fait le mur un soir aient été contaminés, avait favorisé l'idée de l'empoisonnement alimentaire. Les médecins Anglais analysent la farine, mais ne trouvent aucun poison. Au même moment un médecin de Meknès signala aux deux Britanniques, que des habitants de l'ancienne médina de Meknès, soupçonnaient une bouteille d'huile de table, qui avait une couleur aussi foncée que l'huile à moteur. En compagnie des agents de l'Etat, les deux médecins font une descente dans l'ancienne médina. Ils découvrent chez un épicier une bouteille d'huile de la marque «Le Cerf» qui était de couleur plus foncée que les autres marques. La bouteille est immédiatement envoyée à l'Institut d'Hygiène de Rabat, dirigé à l'époque par le docteur feu Abdelmakek Faraj. Après quelques heures, le verdict tombe: l'huile «Le Cerf» est mélangée avec de l'huile de moteur qui contient une substance chimique nocive, le TCP. Le 2 octobre 1959, l'origine de la maladie était connue. Trop tard ! Plus de 9.000 personnes étaient déjà atteintes de paralysies dans plusieurs villes, notamment à Meknès, Sidi Kacem, Sidi Slimane et Khemisset où 20% de la population était contaminée, dont des éléments des Forces Auxiliaires et de la police. À Nador et Al Hoceima, les personnes décédées étaient enterrées dans le silence complet avant même l'arrivée de la mission de l'OMS. La région avait connu quelques mois auparavant, les fameux affrontements armés. Selon les rapports de la mission internationale, dans la seule ville de Meknès, entre le 1er septembre et le 2 octobre, 9 000 cas était signalés avec une moyenne de 300 cas par jour. Parmi les 10.844 cas recensés à Meknès, il y avait 844 enfants. On ne connaît pas le nombre exact des personnes décédées pendant ce drame. De juillet à octobre 1959, les victimes se chiffraient à 10.000. 60% de femmes et 40% d'hommes. Les autorités avaient eu recours aux garages et hangars pour y déposer les dépouilles des victimes décédées. Même les autorisations pour inhumer n'étaient pas octroyées aux familles des victimes. Ce qui apparaissait comme une tentative de camoufler le crime. Selon une victime de Meknès «après trois mois passés immobilisée à la maison, on m'avait transporté dans une charrette pour ne pas être expulsé du lycée. Quand le directeur m'a vu dans cet état, il s'est effondré en larmes. Nous avons vécu le pire drame de notre époque. Des familles entières ont été décimées par l'huile empoissonnée. La majorité des victimes n'ont pas pu continuer leurs études ou apprendre un métier. Certains font la manche jusqu'à aujourd'hui. J'ai été obligé d'arrêter mes études pour travailler comme moniteur à l'entraide nationale». Prise en charge défaillante Comment faire alors pour prendre en charge 20 000 personnes atteintes d'une maladie à laquelle il n'y avait aucun remède ? Le Maroc ne disposait pas encore de structures médicales et de cadres qualifiés. L'OMS décide alors d'envoyer le médecin français Denis le Roy pour faire le point de la situation et de proposer des recommandations. L'essentiel était de réhabiliter les victimes, et en même temps, leur apprendre à gérer leur handicap, par notamment, l'apprentissage d'un métier. L'OMS demande alors à un médecin canadien spécialiste de la médecine de réhabilitation de superviser des centres de rééducation pour les 10 000 victimes. Du 1er janvier 1960 jusqu'au 30 juin 1961, six médecins et dix-sept physiothérapeutes canadiens avaient travaillé dans le cadre de cette mission internationale. Le Canada avait fourni également le matériel, la nourriture et des vêtements. La direction du programme de réhabilitation avait été confiée au docteur Gustave Gingras, une sommité mondiale. Le Gouvernement marocain décide alors de réserver quelques anciennes casernes des alliés et des hangars dans les régions touchées par le drame, pour installer les spécialistes qui vont travailler à la réhabilitation. Après la fin de la mission internationale, le personnel local formé pour la circonstance devait normalement continuer à travailler dans ces centres. Après le départ de la mission internationale, l'Hôpital de référence de Fès et les centres de Sidi Kacem vont fermer leur porte. Le personnel Marocain est redéployé dans divers hôpitaux. Une autre bavure de l'époque. Selon un membre de la Mission Internationale, les secours au Maroc, étaient composés de l'O.M.S, la Croix Rouge Internationale à Genève, La Croix Rouge Française, par le biais de Restany et Lachamps, Président et Secrétaire Général à Casablanca. Le Ministère de la Santé Publique à Rabat, par l'entremise du Doyen de l'Institut d'Hygiène, le Docteur Abdelmalék Faraj, ancien Ministre de la santé. L'autorité étant répartie par provinces. Rabat était administré par le médecin-chef de la Province Médicale de Rabat, le Docteur Roger Dargassies, pour les localités respectives de Khémisset, Sidi-Kacem et Sidi-Slimane. Pour Meknès, le médecin-chef de la Province médicale, était le docteur Rahal Rahalli, il s'occupait aussi du centre de Rééducation d'El Mers. Pour Fes et sa région, le Médecin-Chef de la Province Médicale était le Docteur Cognard, il était aussi administrateur en chef de la Province Médicale. Pour le Centre de Rééducation de l'Hôpital «Al Ghassani», ex-Auvert, et du Centre de Rééducation d'Al-Hoceïma, il était sous la responsabilité de Camelar. Devoir de mémoire Entre 1965 et 1999, une chape de plomb était tombée sur le dossier des huiles empoisonnées. Les péripéties de ce drame dérangeaient plusieurs acteurs de l'époque. En premier lieu, les personnes qui avaient été impliquées et condamnées à la peine de mort. La complicité de certaines personnalités proches du pouvoir à l'époque était plus qu'apparente. Les auteurs du crime avaient comme avocat Ahmed Reda Guédira, un proche du Roi Hassan II. Le nom du colonel Oufkir est également cité par les survivants du drame, surtout dans la région du Rif, qui venait juste de sortir d'un épisode sanglant en 1958. D'ailleurs des zones d'ombres de l'histoire du Maroc entre 1956 et 1999 ont été mises sous les projecteurs du processus de l'équité et de la réconciliation depuis 2003. Ce qu'on appelle aujourd'hui les années de plomb, comprenait aussi les années de plomb économiques. Le dossier des victimes des huiles empoisonnées en est l'illustration même. Si les victimes des exactions graves des droits de l'Homme, qui avaient été commises à cette époque, ont été indemnisées à des degrés divers et assujetties à la couverture médicale, les victimes des huiles empoisonnées n'ont pas eu cette chance, elles n'ont même pas eu de reconnaissance. Une reconnaissance que le droit de mémoire impose à tout un chacun. Plus scandaleux encore, c'est qu'il s'agit d'une catégorie qui en a énormément besoin. La majorité de ces victimes est infirme. Elles continuent de traîner depuis 49 ans, l'handicap, mais aussi des blessures psychologiques. Elles demeurent les oubliées de la réconciliation, n'ayant aucun lobby politique ou économique pour défendre leur cause, et ne comprennent d'ailleurs pas pourquoi l'Etat a reconnu les pires exactions commises à Tazmamart, Megounna et Derb Moulay Cherif et tarde toujours à les réhabiliter. Dans le processus de l'IER, un volet important comportait le devoir de mémoire. Dans le cas du drame de 1959, ni les victimes ni les tortionnaires n'avaient droit de cité. Ce qui pousse à s'interroger sur les raisons qui ont fait que ce dossier a été rejeté par l'IER. Selon une source au sein de la ligue des victimes des huiles empoisonnées, la constitution par l'Etat en 1961 de la Ligue était en vérité une façon de se débarrasser des victimes. La Ligue était sous tutelle du ministère de la Santé de l'époque. Son siège est dans le bâtiment du ministère. Ce ministère a donné la somme de 50 Dh par mois aux victimes depuis 1961. En 1992, après que la question ait été soulevée au Parlement, le ministère de la Santé avait revu la somme à la hausse en leur accordant une augmentation de 25 Dh. Cette ligue n'a jamais existé en vérité, elle a disparu juste après sa constitution. Elle n'apparaîtra qu'après le début du nouveau règne, grâce à une initiative des victimes, qui se sont regroupées en quatre association : celle de Khemisset, Sidi Kacem, Sidi Slimane et Meknès. Mais l'argent issu de la vente du timbre des cartes grises va toujours à un compte au trésor au nom de la Ligue. Cette caisse noire a-t-elle été utilisée pour autre chose ? Le dossier a été récemment repris par l'Instance nationale de défense des biens publics au Maroc et le soutien du groupe parlementaire du PJD et du FFD. Le tribunal administratif de Rabat devrait statuer incessamment sur cette affaire. À contre courant Les Américains prêts à négocier En 2005, une lettre a été envoyée par le président de la Ligue marocaine des victimes des huiles empoisonnées, datée du 9 juillet 2005 à Tomas Riley, ambassadeur des Etats Unis à Rabat. La lettre demande au gouvernement américain de réexaminer le cas de l'intoxication par le TOCP qui s'est produit en 1959, vu que la substance nocive a été acheminée à partir des bases américaines de Kenitra, Nouasseur et Sidi Slimane. L'association reçoit une réponse de la part de Tomas Riley le 25 août 2005. Dans sa lettre, l'ambassadeur invite le président de la Ligue à consulter le gouvernement marocain pour qu'il formule officiellement une demande pour étudier les plaintes des victimes. Aucune action du gouvernement Marocain n'a été faite jusqu'à présent, même si les Etat Unis étaient prêts à étudier l'affaire. Même si les Américains ne sont pas responsables du mélange de l'huile empoisonnée, ils sont responsables de la vente de grandes quantités d'huiles de moteurs d'avions au négociant de Meknès qui a perpétré le crime. Epoque Une affaire des années de plomb économiques Le vice-président de la ligue des victimes des huiles contaminées, Juilil Yamani, a été enlevé en 1973, après sa sortie du bureau de Khemisset. Les trois malabars du cab 1 qui l'avaient embarqué à bord d'une 4L vers la fin de l'après-midi l'emmènent devant Ahmed Moutii, gouverneur de la Province. Après quelques jours passés au secret, l'homme est relâché. En 1986, le nouveau chef d'antenne de la DST à Khemisset, qui avait son bureau dans la même administration que Yamani, découvre que ce fonctionnaire est inscrit à la tête d'une liste d'éléments subversifs. Yamani était juste devant des Sahraouis fichés comme sympathisant du Polisario à Khemisset. En 2003 Juilil Yamani dépose son dossier à l'IER, il a été indemnisé pour détention illégale mais rien au sujet de l'affaire de 1959. Le dossier numéro 6519 a été visé par l'IER, le 30 novembre 2005 sous numéro 12 377, une indemnisation de 120.250 dh lui a été octroyée. Le dossier des huiles empoisonnées est-il aussi effrayant? Si l'Etat, échaudé par ce scandale, décide de procéder, au nom de la solidarité nationale à l'indemnisation des victimes : les décès d'abord en plus des dommages et intérêts variables pour les proches, c'est tant mieux. Mais aujourd'hui, les familles veulent d'abord, «que justice soit faite». 3questions à Juilil Lahcen Yamani* «Nous demandons à l'Etat de faire la lumière sur les milliards du fond d'indemnisation des victimes» La Gazette du Maroc : Après 49 ans du drame des huiles empoisonnées, votre dossier est toujours en suspens ? Juilil Lahcen Yamani : Depuis 49 ans, le calvaire des victimes continue toujours. La majorité d'entre eux vivent aujourd'hui dans le besoin et le dénuement total. L'infirmité et l'âge compliquent davantage leur situation. Depuis 1961 ces victimes perçoivent 50 dh par mois, depuis 2001 la pension a été revalorisée de 25 dh pour la fixer à 75 dh par mois. Cette somme d'argent peut elle faire vivre une personne actuellement ? Nous étions des enfants à l'époque et ne savions rien de ce problème, certains ont vécu ce drame comme une fatalité alors qu'il s'agit tout simplement d' un «crime contre la santé de la nation» comme l'avait qualifié feu MohammedV, qui avait donné le nom de fils de la nation aux victimes des huiles empoisonnées et celles du tremblement de terre d'Agadir en 1960. Pourquoi ce dossier est resté bloqué pendant tout ce temps ? Depuis 1969, je mène un combat pour la reconnaissance de l'Etat de ce drame. Nous avons gagné au moins une bataille. Au début, l'Etat nous disait qu'on était atteint de poliomyélite. En 1970, nous avons été reçus au palais Royal par un membre du Cabinet qui n'avait pas donné suite à notre demande. Après cette époque, des consignes ont été données aux médecins pour inscrire dans nos dossiers médicaux l'inscription «apte physiquement». L'année dernière j'ai rencontré une victime de Targuiste qui avait même été recrutée dans l'armée comme secrétaire en 1970. En 1973 j'ai été enlevé par le CAB1. À l'époque on m'avait dit que ce problème était oublié. Je leur ai répondu que les victimes ne l'ont pas oublié. Pendant 28 ans le dossier a été mis aux oubliettes. Puis on a repris contact avec les membres de la ligue, après l'éviction de Driss Basri, on avait espéré être considéré comme des victimes des années de plomb, mais notre requête a été rejetée par l'IER. Depuis le mois d'avril 2000 nous avions envoyé plus de 8 000 lettres aux autorités et organismes. Personne n'a voulu manifester un regain d'intérêt à ce dossier. Où sont passés les fonds récoltés ? Après avoir organisé un sit-in devant le ministère de la Santé en 2006 et un autre programmé en 2007 pour réclamer les fonds issus de la vente du timbre des cartes grises, le ministère des Finances nous a fait savoir qu'il va revoir notre dossier, mais encore une fois rien n'a été fait. Il y a quelques mois, nous avons reçu un courrier du ministère des Finances qui nous a informés que depuis 1961 aucun centime n'a été dépensé de ce fonds réservé aux victimes des huiles empoisonnées. Nous envisageons de déposer notre dossier devant le tribunal administratif pour réclamer son déblocage. La ligue avait demandé à la Cour suprême en Espagne, une copie du jugement dans l'affaire de l'huile empoissonnée de 1981. Cette affaire peut être considérée comme un cas de jurisprudence en la matière, les victimes espagnoles ont été indemnisées par l'Etat. Si rien ne se fait, nous envisageons de poursuivre l'Etat marocain devant la Cour européenne des droits de l'Homme * Président de la Ligue marocaine des victimes des huiles empoisonnées.