Le constat des experts chargés des enquêtes est formel : le secteur de la Santé au Maroc est encore fortement marqué par des dysfonctionnements préjudiciables et un accès «verrouillé» aux soins pour le plus grand nombre. La faiblesse d'accompagnement des réformes et l'inadéquation des mécanismes de mise en œuvre, sont encore loin de faire l'unanimité sur l'utilité des régimes de couverture médicale. D'abord, un constat sur lequel tout le monde s'accorde : Si l'espérance dépasse à la naissance aujourd'hui 70 ans, il ne faut pas oublier que le quart de la population nationale demeure «économiquement vulnérable» et que la pauvreté affecte près de 14% des marocains (23 % en zones rurales). Sans compter que 40% de la population est analphabète, en dépit d'un taux de scolarisation supérieur à 90%. Seul le Maroc s'inscrit dans le cadre de la stratégie universelle « Santé pour tous », et que l'AMO excipe du credo «Le droit à la santé pour tous», force est de constater que le système de soins en vigueur est encore loin de satisfaire la majeure partie des citoyens qui le perçoivent comme un secteur profondément inégalitaire et exclusif. Quelqu'un disait l'autre jour : «au Maroc, si tu n'as pas de fric, tu crèves?!». Rien que cela ! Ou bien encore «si tu ne graisses pas la patte, pas de soins». Et même des médecins qui s'indignent: «Mais comment font les marocains pour pouvoir se soigner avec toutes les procédures et les prix imposés ? ». Iniquité dans l'offre et l'accès aux soins En dépit du fait que les niveaux de mortalité infantilo-juvénile, indicateur pertinent pour apprécier le degré de santé global de l'ensemble de la population, aient régressé, le niveau de mortalité infantile demeure anormalement élevé au niveau national, en raison principalement de la mortalité néonatale qui enregistre beaucoup de décès pendant le premier mois de vie. En outre, les causes de la morbidité et des pertes d'années de vie recensées dans les municipalités, montrent une répartition du nombre de vies perdues liées aux décès prématurés, selon des pathologies inhérentes aux maladies transmissibles et affections périnatales et maternelles, qui pèsent pour plus de moitié contre les autres groupes pathologiques totalisant l'autre moitié. D'autres carences sont constatées, comme le retard de croissance dû à l'état nutritionnel des femmes et des enfants, qui affecte 27% des enfants en milieu rural contre 13% dans les villes. Sans compter que le vieillissement de la population, des régimes alimentaires inadaptés et des modes de vie malsains, entraînent une avancée non négligeable des maladies non transmissibles. Les spécialistes livrent leur diagnostic : « L'ensemble de ces maladies pèsent lourdement sur le système de soins, en particulier sur l'hôpital. Les moyens de prévention et de prise en charge ont besoin d'être renforcés, car peu développés. En effet, bien que des programmes de santé préventifs aient été mis en place, pour un certain nombre de maladies transmissibles, de santé maternelle et infantile, d'autres n'ont pu encore être mis en œuvre ». À cela s'ajoute le problème de la prévalence du SIDA, dont le nombre de cas affectant la population féminine est en augmentation, ainsi qu'une nette prédominance de la transmission du VIH selon les modes hétérosexuels. Mais le plus grave, c'est l'iniquité qui persiste dans l'offre et l'accès aux soins. D'abord, les établissements de soins de santé de base (ESSB), dont l'effectif est faible en comptant 1?unité pour 14 012 habitants, révèlent des structures mal encadrées et déficientes en approvisionnement en matériel et médicaments. Tandis que le réseau hospitalier, avec un lit pour 1060 habitants, évolue en deçà de l'accroissement de la population. Pire encore pour le secteur de la santé privé qui offre un cabinet de consultations pour 7 870 habitants sans compter que la quasi-totalité de ces cabinets (96%) sont implantés dans les grandes villes et les petits et moyens centres urbains. Aussi, l'accessibilité aux espaces de soins est durement ressentie par les populations rurales dont 31% sont contraintes à traverser une dizaine de kilomètres pour se faire soigner. A ces carences s'ajoute une lente évolution de la prise en charge des prestations des programmes sanitaires prioritaires, notamment les accouchements en milieu rural et l'insuffisance de la couverture en médicaments dans les campagnes avec très peu de pharmacies et un dépôt de médicaments pour 46 000 habitants. Par ailleurs, les mécanismes de financement de soins demeurent peu développés avec des ressources du secteur ne dépassant jamais la barre des 5% du budget général de l'Etat et qui plus est, sont affectées par l'inadaptation des critères d'allocation par grand poste de dépense (réseau hospitalier, soins ambulatoires…) et de répartition des crédits par province et établissements relevant du ministère de la Santé. Ajoutées à cela la faiblesse de la dépense annuelle en soins par habitant et l'insuffisance de la couverture par le régime AMO concernant 15% de la population déjà couverte et intéressant près du tiers des Marocains, à terme. En outre, le système de santé est vicié par des méthodes de gouvernance à tous les niveaux de la pyramide de la santé dans le Royaume qui laisse à désirer ainsi qu'une qualité douteuse des prestations prodiguées. Pire encore, très nombreux sont ceux qui s'accordent que la Santé au Maroc, aujourd'hui, s'est considérablement détériorée sous tous les plans pour s'ériger en véritable scandale allant à l'encontre du projet de société moderne et de droit sous la nouvelle ère.