Longtemps le champ religieux a obéi au non-droit et même aux pulsions et à l'improvisation. Les responsables nationaux et locaux de la chose religieuse ont laissé s'installer jusque dans les interstices de la pratique religieuse publique des comportements déviants et des idéologies dévastatrices. La première sonnette d'alarme est venue de l'analyse approfondie des attentats criminels du 16 mai 2003. Constitutionnellement détenteur des attributs de la commanderie des croyants, le Roi s'empara de la problématique et opéra le tournant décisif nécessaire au moyen du discours du 30 avril 2004. La religion est, en effet, une « chose » trop sérieuse pour en confier l'articulation sociocultuelle aux seuls religieux. A fortiori aux pseudos religieux. Focus. Drôle d'époque que celle-ci où les ignares peuvent allègrement s'improviser imams, prédicateurs ou même émirs ! Des «pousseurs de charrettes», des vendeurs à la sauvette et des drogués au qarqoubi ont pu squatter des salles de prières et certains d'entre eux, tel Youssef Fikri, se sont vu attribuer le sobriquet de « cheikh ». L'absurde est allé infecter le rite malékite qui a tant protégé notre foi. Le wahhabisme s'est introduit par effraction dans la manière même de pratiquer cette foi. Puis vint l'ère des errements sanguinaires sous le ridicule prétexte du jihad. Même le salafisme, autrefois garant de l'épuration du culte, a été dévoyé. Il fallut, dans de pareilles conditions, rassembler trois outils pour sauver la tolérance. D'abord une approche intelligible, ensuite une méthodologie et enfin un homme au background certain. C'est ainsi qu'émergea une politique globale tendant à articuler notre islamité avec la démocratie et la modernité que notre peuple tient plus que jamais à construire. Pour entreprendre ce chantier civilisationnel, il fallait avant tout restructurer l'outil institutionnel, à commencer par le ministère en charge des affaires islamiques. Le prédécesseur du ministre Ahmed Taoufiq en avait fait la caisse de résonnance des idéologues du wahhabisme. La maison était devenue accessible à toutes sortes d'influences pathogènes. Deux directions centrales furent donc créées : celle des mosquées dont on a instauré une journée nationale et celle de l'enseignement originel. La première a pour principale attribution l'élaboration d'un programme annuel axé sur la construction, l'entretien, l'équipement, la restauration et l'éventuelle extension des mosquées. La seconde s'est aussitôt attelée à repenser radicalement l'enseignement religieux. Quoi de plus urgent, en effet, que de mettre les lieux du culte et l'enseignement religieux hors de portée des delirium erratiques. Ainsi, les lieux de prière peuvent revenir à leur vocation première : un lieu de rencontre entre le croyant et son créateur. L'enseignement religieux devait subir une thérapie de choc : confier les cursus à ceux qui sont capables de les conduire hors de l'opportunisme politique ou de l'aveuglement sanguinaire. Des dispositions stratégiques ont été prises en vue d'intégrer ce type d'enseignement dans le système éducatif du Royaume. Ainsi, Dar Al-Hadith Al-Hassania, le premier lieu de formation religieuse du pays, a-t-elle été revisitée par le souffle modernitaire par le biais d'un dahir et d'un décret d'application. Ces textes ont pu intégrer cette institution dans le système éducationnel du pays en rationnalisant les cursus diplômants, sans omettre d'y inclure les matières scientifiques et les langues étrangères. Théologiennes de talent Par ailleurs, l'outil ministériel se devait d'épouser la proximité : De nouvelles délégations du ministère des Habous et des affaires islamiques ont été créées. Dans le même sillage de recherche de proximité, les canaux de communication avec le parlement ont été renforcés. Les élus sont ainsi tenus au fait des réformes en la matière. La mesure la plus emblématique est peut-être celle qui permit aux Conseils supérieur et locaux des Oulémas, de recevoir plus d'une centaine de femmes en leurs seins. Le signal en a été donné par le Roi Mohammed VI, qui a fait accéder des théologiennes de talent à la chaire des causeries hassaniennes ramadanesques. Dans ce même, esprit des «morchidates» sont formées de la même manière que les prédicateurs et les imams. Sur le plan de la communication, une radio et une chaîne de télévision, baptisées «Mohammed VI pour le coran», ont été lancées. Le ministère des habous et des affaires islamiques, s'est doté d'un site sans cesse enrichi. Dernière pierre de cet édifice : la couverture médicale qui doit pouvoir bénéficier à tous les imams. On le voit, nous sommes en présence d'un chantier comparable en termes d'intensité à celui que la France engagea pour se doter de sa fameuse laïcité. Nous avons évoqué les deux outils que sont l'approche et la méthodologie. Le Chef de chantier est connu de chacun de nos concitoyens, notamment musulmans, puisqu'il en est le Commandeur. Il serait pour le moins injuste de ne pas souligner le volontarisme en la matière du ministre M. Ahmed Taoufik l'enfant de Marigha (région de Marrakech, au-dessus d'Asni) peut légitimement s'enorgueillir d'être l'heureux «conducteur de travaux» de ce chantier proprement civilisationnel. Cet ancien instituteur sait de quoi il parle quand il professe la tolérance. A Marigha, où il a restauré la maison paternelle tout en construisant la sienne, la population lui témoigne affection et considération. L'homme est foncièrement humble. Fort de sa capacité d'écoute et de sa tolérance. Cela nous change d'une ère où le ministre affecté à la chose religieuse, pouvait avoir le culot d'inviter les plus grands ténors de l'abrutissement dogmatique à l'occasion des fêtes religieuses, Ramadan en premier. Le religieux qui campe le rapport au ciel, se devait d'extirper de son sein les folles ambitions terrestres, particulièrement politiques. Lorsqu'on se joue de la doxa pour la soumettre aux contingences bassement politiciennes, on insulte le souffle universaliste du Message divin. Lorsqu'on ignore superbement la contextualisation (asbab annozoul) pour brandir les versets à tout propos, quasiment en vrac. M. Ahmed Taoufiq fait partie des trois lieutenants du combat contre l'obscurantisme et le terrorisme islamo-extrémiste. Les deux autres étant l'outil sécuritaire et l'intégration sociale par l'économique. Bon courage !