Le prochain exécutif Indéniablement, le chemin vers le prochain gouvernement est semé d'embûches. Moult obstacles ont retardé la mise en place d'un gouvernement “homogène”. Autant dire que la cohabitation des partis politiques avec la technocratie s'annonce des plus périlleuses, surtout avec une opposition animée par des islamistes ! Dans le contexte politique actuel, la classe politique, notamment le chef de la primature, semble sur le pied de guerre. L'enjeu est de taille : la constitution du prochain gouvernement. En fait, depuis la nomination du Premier ministre Driss Jettou à la primature, ce dernier n'a cessé de multiplier les contacts avec les partis politiques, en vue de mettre sur pied un gouvernement “ homogène et efficace ”. Certes, la mission s'annonce des plus difficiles. N'empêche que d'un point de vue politique, cette entreprise ne relève certainement pas de l'impossible. Si d'un point de vue juridique, la constitution d'un gouvernement semble bien définie en théorie, il n'en demeure pas moins que dans la réalité la mission demeure caractérisée par des «obstacles politiques» divers. Par conséquent, il serait légitime de s'interroger sur les “ difficultés ” qui marquent la mission du Premier ministre, Driss Jettou, de constituer le prochain gouvernement, ainsi que sur les «conséquences politiques» de la mise en place du prochain exécutif. À notre humble avis, il paraît que deux facteurs essentiels contribuent au “ retardement ” de la formation du prochain gouvernement : le contexte politique marqué par des résultats législatifs mitigés et la nomination d'un technocrate à la primature. Un contexte politique controversé A la suite des dernières législatives, la majorité écrasante des spécialistes s'attendaient à revoir le leader socialiste reconduit à la tête du gouvernement. Mais, les luttes intestines pour le pouvoir, la course effrénée pour la primature, le syndrome des coalitions politiciennes et la guerre de tranchées auxquelles se sont livrées les formations politiques pour s'adjuger une partie de l'exécutif, ont contraint le Roi à trancher pour la «solution technocrate» Certains avaient qualifié la “résurrection de la technocratie” comme «un recul politique» qui risque de torpiller le processus de démocratisation politique. D'autres, en revanche, avaient salué le geste royal en le qualifiant de “ rationnel et réfléchi ”. Une chose est au moins sûre: le contexte politique, qui avait conduit l'ex-opposition à prendre les rênes d'un «gouvernement politique», n'est plus le même avec le «redéploiement de la technocratie». Désormais, nous sommes en face d'un nouveau contexte politique marqué par le passage d'une cohabitation politique de l'ex-opposition avec la monarchie à une cohabitation politique avec la technocratie. Cette situation est la résultante de deux facteurs principaux : Le premier est relatif à la «logique électorale», notamment celle liée aux résultats issus des élections législatives du 27 septembre. En fait, l'émiettement des résultats du suffrage, obtenus par les partis, n'a guère favorisé l'émergence d'une majorité gouvernementale solide. Ce faisant, la «configuration politique éclatée» avait peut-être contraint le Roi à trancher en faveur d'un technocrate «apolitique». Le deuxième est d'ordre politique, puisqu'il dépend du «comportement politique» des partis. Ainsi, «l'immaturité politique» affichée par la majorité des partis, après l'annonce des résultats électoraux, avait considérablement pénalisé la reconduite du leader socialiste à la tête du gouvernement. La course effrénée des partis en vue de s'approprier le maximum de postes ministériels, notamment la concurrence acharnée entre l'USFP et l'Istiqlal pour la primature, avait sonné le glas du leadership du gouvernement sortant. Un technocrate aux commandes Après une semaine de tractations politiques relatives à la mise sur pied d'un nouveau gouvernement au vu des derniers résultats du scrutin, le Roi a nommé le technocrate Driss Jettou à la tête de la primature. À ce propos, il serait utile de rappeler que ce technocrate de 57 ans n'est pas totalement étranger à l'expérience dite de «l'alternance politique». Pour l'histoire, il faudrait souligner que Driss Jettou jouissait de la confiance du palais, puisqu'il se charge de gérer les intérêts de la famille royale dans l'ONA. Mieux, en 1998, il s'est vu confier par le Roi Hassan II la mission de contacter les partis de l'ex-opposition pour la mise sur pied du gouvernement de l'alternance; vu la sympathie qu'il nourrissait pour l'USFP. Donc, tout laissait croire que le choix d'un technocrate allait démêler les divergences partisanes qui entravaient la constitution d'un gouvernement. Or, dans la pratique, la mission de Driss Jettou s'est avérée des plus compliquées au point d'affirmer que “ l'intromission» d'un technocrate, parmi les partis politiques du gouvernement sortant, n'a guère facilité la mise sur pied du prochain gouvernement. Certes, on peut arguer que le nouveau Premier ministre reste loin des négociations marathoniennes (près de 3 mois) entreprises par Youssoufi lors de la constitution de son gouvernement en 1998. Pourtant, il ne serait pas exagéré d'affirmer que le fait de charger un Premier ministre technocrate et apolitique de constituer un gouvernement avait produit un effet de retardement au niveau des négociations avec les partis politiques. En effet, le nouveau Premier ministre a dû remonter un obstacle «psychologique» non négligeable. D'abord, il a dû essayer de faire oublier à ses interlocuteurs qu'il faisait partie des gouvernements antérieurs : comme ministre du commerce et de l'industrie en 1993/97 et ministre des finances, de l'artisanat et du commerce extérieur durant les années 1997/98. Ensuite, qu'il occupait la fonction sécuritaire du ministre de l'intérieur. Et enfin, que c'était lui le responsable de l'organisation des dernières élections. Hormis ce handicap psychologique, le nouveau chef de la primature a réussi, plus ou moins, à gagner la confiance des partis politiques, qui semblent sur le point de former un gouvernement de cohabitation, qui comprendrait probablement entre 28 et 33 portefeuilles, dont celui des affaires islamiques, qui serait “ ouvert ”, vraisemblablement, aux partis politiques. D'ailleurs, Driss Jettou est connu pour ses capacités de négociateur, puisqu'il a contribué au déblocage de plusieurs dossiers relatifs à l'entreprise tel que le code sur la S.A, la SARL et le code du commerce. Toutefois, la cohabitation de la technocratie avec les partis s'annonce difficile. Ainsi, en annonçant aux partis politiques que l'intérêt du Maroc passe avant celui des partis et des personnes, le nouveau chef de la primature avait annoncé la couleur de sa vision du travail gouvernemental, auquel doivent s'allier toutes les formations politiques. On sent déjà les prémices d'une pratique technocrate visant à évacuer les divergences et les différends politiques sans quoi l'action gouvernementale serait vidée de toute sa substance. Entre les technocrates et les islamistes Historiquement, la mise en place du gouvernement au Maroc n'a jamais suscité autant de discussion comme c'est le cas actuellement. En effet, depuis l'indépendance, et à l'exception du gouvernement de Abdellah Ibrahim de 1963, force est de constater que les gouvernements, qui se sont succédé au pouvoir, ont été l'œuvre de l'administration centrale. Mais, depuis que feu Hassan II eût la volonté de faire accéder l'ex-opposition au pouvoir en 1997, la donne politique avait relativement changé. Avec la nomination du leader de l'USFP Youssoufi à la tête du gouvernement de 1998, dit de “l'alternance”, le Maroc a eu finalement droit à un «gouvernement politique». Entre l'impératif de la performance technique, le contrôle vigoureux des islamistes et l'arbitrage royal inébranlable, les partis qui prendront part au prochain gouvernement doivent réfléchir à deux fois avant d'aller au charbon. Désormais, nous sommes en face d'un nouveau contexte politique marqué par le passage d'une cohabitation politique de l'ex-opposition avec la monarchie à une cohabitation politique avec la technocratie.