Abdellah Lamani a passé 23 ans dans les geôles du polisario. Il nous livre dans cette interview ses impressions sur les sujets d'actualité et rappelle ses années de souffrances. La Gazette du Maroc : Vous avez assisté à une conférence animée, le 23 janvier au siège du Parti Marocain Libéral (PML), par Daïfallah Yahdih, ex-cadre du polisario qui a regagné la mère-patrie. Quels enseignements en tirez-vous ? Abdellah Lamani : J'ai appris que les personnes qui ont répondu à l'appel «La partie est clémente et miséricordieuse» et ont regagné le pays avaient quelques problèmes avec les autres Sahraouis marocains. Ils subiraient même une discrimination. Ce qui est sûr c'est que ces gens-là sont un trésor pour le Maroc qui devrait les exploiter, comme il faut, pour défendre les thèses de la marocanité du Sahara et surtout pour dévoiler à l'opinion publique internationale les atrocités commises par le polisario et les responsables algériens. Mais n'est-il pas déjà le cas puisque, régulièrement, ces personnes se rendent à l'étranger pour raconter les misères des populations séquestrées et les magouilles du polisario? C'est vrai, mais ce type d'opération doit être plus soutenu. Et les groupes qui se rendent à l'étranger doivent être plus nombreux qu'ils ne l'ont été jusqu'à aujourd'hui. Il faut toujours garder à l'esprit que le régime algérien dépense des millions de dollars pour véhiculer les idées du polisario, partout dans le monde. L'actualité de cette semaine a été marquée par le problème des mines antipersonnelles qui font de plus en plus de victimes civiles. Qu'en pensez-vous? Depuis le début de la guerre, en 1976, les FAR installaient des ceintures de sécurité uniquement autour les villes sahariennes, pour éviter des infiltration du polisario. Mais progressivement ces mines ont commencé à voir le jour un peu partout dans le désert, sans aucun plan de pose. Pour un profane, il est difficile de savoir qui a posé telle ou telle mine. En revanche, pour les experts c'est une chose tout à fait aisée. Depuis votre libération, vous militez aux côtés des autres anciens détenus, civils et militaires, pour l'obtention de dommages. Avez-vous crée une association ? En fait, on a fait comprendre aux militaires qu'ils n'avaient, en vertu de la loi, pas le droit de créer une association. Pour ce qui nous concerne, nous les civils, les choses sont différentes. Mais nous tardons à créer une structure qui soit un interlocuteur unique pour les autorités. Combien êtes-vous de civils anciens prisonniers du polisario ? 120 civils ont été kidnappés et faits prisonniers. Une quarantaine d'entre eux est morte après la libération. Quant aux autres, ils vivotent. Notre seule revendication est de nous dédommager pour les années de souffrances que nous avons endurées sous la torture algérienne et polisarienne. Depuis, nous avons tous été victimes de maladies chroniques. Tout ce qu'on demande c'est que notre attachement à notre partie soit reconnu par les autorités, car nous souffrons toujours. Y a-t-il d'autres prisonniers marocains dans les geôles du polisario ? Il y a plusieurs autres Marocains encore en détention. Mais ceux-là ne figurent pas dans les listes du Comité International de la Croix-Rouge (CICR). Il s'agit de militaires et de civils dont une trentaine était détenue dans le centre Arrachid. J'ignore leur nombre exact. Mais je suis sûr qu'ils sont plusieurs dizaines. Aussi, il y a des Marocains morts sous la torture lors de leur détention. Nous en avons enterré des dizaines. J'avais proposé à une délégation américaine venue au Maroc de constituer une commission d'enquête pour identifier les endroits où sont enterrés ces Marocains. Je suis prêt à me rendre, encore une fois à Tindouf, pour aider cette commission d'enquête internationale. Ce n'est donc pas fini. Les autorités marocaines doivent continuer à dénoncer les atrocités commises à Tindouf par la sécurité militaire algérienne et les séparatistes du polisario. Où sont enterrés ces anciens prisonniers ? J'ai dessiné un croquis d'un des plus importants cimetières où sont enterrés plusieurs prisonniers marocains de Tindouf, civils et militaires. Ce cimetière se trouve à une quinzaine de kilomètres au sud de Tindouf. Au total, il compte 45 tombes, toutes de prisonniers marocains dont certains ont succombé à la suite de la torture pratiquée par les criminels du polisario, avec la bénédiction des militaires algériens. J'ai dessiné ce croquis, dans le secret le plus complet, en mai 2003 plusieurs mois avant ma libération. En plus du croquis, j'ai dressé une liste complète des noms et prénoms de ces 45 prisonniers enterrés. Dans ce tableau, j'ai adjoint les numéros de matricules des soldats et des membres des Forces auxiliaires enterrés, ainsi que les numéros de matricule octroyés par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et surtout la date exacte de leur décès. En mai 2003, j'ai remis cette liste et le croquis du cimetière à un militant associatif français travaillant pour la Fondation France-Libertés. Qui sont ces prisonniers ? Parmi les 45 prisonniers enterrés figurent quatre civils. Il s'agit d'Aïloul Allal, originaire de la région de Tata, il est décédé le 24 décembre 1994. Deux marins originaires du Souss sont également enterrés dans ce cimetière : Aït Chérif Lhoussine et Aït Hammad Lahcen. Le premier a eu une hépatite et le deuxième un cancer à la gorge. Ils sont morts dans des conditions atroces, leur corps n'a pas pu supporter la famine, la torture et l'absence totale d'hygiène. Quant au dernier civil, il s'agit d'Oumma Lhoussine. Ce n'est autre que le graisseur du car dans lequel je me trouvais au moment de mon kidnapping. Sur les 45 prisonniers, 10 sont non identifiés. En fait, j'ignore l'emplacement exact des corps de ces dix prisonniers. Toutefois, je connaît leur identité. Parmi eux, le lieutenant Abdeljabar Mohamed, originaire d'Oujda. Blessé, il fut arrêté en février 1987. Comme aucun soin ne lui a été dispensé, il succomba moins d'un mois plus tard, le 13 mars 1987. Et la liste est longue. Parcours