La mise en place du Conseil national de l'enseignement jeudi dernier, jour de la rentrée scolaire, fut le moment d'un rappel insistant par le roi Mohammed VI de l'urgente nécessité de faire avancer la réforme de l'enseignement confrontée encore à un héritage de carences et d'inerties. L'appel à plus de concertation et d'initiatives pour stimuler le processus réformateur sera-t-il mieux entendu ? "Le temps est venu pour affronter, avec le sens des responsabilités qui s'impose, les vrais maux de l'enseignement que chacun connaît et dont tout le monde pâtit» : c'est en ces termes que le roi Mohammed VI a voulu sans équivoque rappeler l'impératif de la réforme à faire aboutir dans un domaine aussi vital et ce lors de la mise en place, jeudi dernier, du Conseil supérieur de l'enseignement. Le roi a souligné sa « ferme volonté de ne pas laisser passer cette occasion de réforme historique pour notre pays » ainsi que sa « forte détermination » de « trancher pour le règlement définitif de ce dossier ». C'est dire que pour le roi la réforme déjà engagée reste en butte à des difficultés rédhibitoires et qu'il est urgent de mobiliser réellement toutes les structures et les potentialités concernées. Instance constitutionnelle, le Conseil supérieur de l'enseignement aura, de ce fait, pour mission essentielle d'accompagner et de stimuler la réforme. Il aura en son sein une structure nationale d'évaluation qui fera le point annuellement sur les réalisations du système éducatif, contribuant ainsi à « tirer vers le haut ses indicateurs de qualité ». Pour cela le Conseil devra être à l'écoute des acteurs et des spécialistes de ce secteur et constituer un espace pluriel de concertation ainsi qu'un observatoire de suivi et une force de proposition. La solennité de la mise en place du Conseil se veut comme un tocsin signalant une urgence. Il s'agit ni plus ni moins que « de déclencher une nouvelle dynamique dans le processus de la réforme ». Urgence Si les « acquis » de celle-ci sont admis, il est surtout souligné que les difficultés persistantes doivent être plus fermement affrontées et la cadence accélérée grâce à de nouveaux apports favorisant «l'adaptation à l'évolution des choses». L'insistance de ces rappels et de cette injonction veut ainsi marquer une volonté politique cherchant à impliquer davantage les acteurs de la réforme. S'il faut secouer davantage le cocotier c'est que les mesures décidées dans le cadre de « la décennie de l'éducation et de la formation » avaient longtemps eu comme arrière-plan une léthargie affligeante. Celle-ci est le résultat de longues années où le système éducatif n'avait cessé de se dégrader et d'engendrer une vague paralysante de scepticisme, de fatalisme de l'échec ainsi que des comportements souvent négatifs, voire même prédateurs au sein même du corps enseignant. Le constat a été amplement fait. On a ainsi diagnostiqué l'inefficience d'un système incapable d'éradiquer l'analphabétisme et générateur d'illetrisme sur une échelle inquiétante. Les déficits enregistrés en matière d'acquis de base dès le primaire et le secondaire ont abouti aux inadéquations cumulées avec les besoins de l'économie, de la société et de la culture. Les déperditions, surtout en milieu rural et parmi les jeunes filles, sont l'une des graves conséquences de ces carences. C'est ainsi que les quatre principes dits « fondateurs » de l'école marocaine ne se sont traduits que par des failles ou des dysfonctionnements : l'unicité n'a pas été atteinte, la généralisation n'a pas surmonté les inégalités alors que la qualité n'a pas suivi, l'arabisation, mal conçue et mise en œuvre, a engendré des handicaps linguistiques et la marocanisation du corps enseignant n'a pas été accompagnée par plus de qualification et d'ouverture de celui-ci. Les différentes tentatives de réforme ont pâti du fait que l'enseignement fut longtemps surinvesti par les antagonismes politiques et idéologiques, comme le récent rapport du cinquantenaire de l'indépendance l'a assez justement souligné. La gratuité, l'arabisation, les programmes, etc, ont été trop souvent l'objet d'affrontements ainsi que la conception même de l'école tiraillée entre tendances contraires, plus ou moins modernistes ou réformistes ou traditionnalistes passéistes. Inerties et instabilité Cela s'est traduit par une incroyable instabilité en matière de gestion du secteur: entre 1955 et 2005 il y eut pas moins de 38 ministres, secrétaires ou sous-secrétaires d'Etat chargés de l'enseignement. L'absence de vision stratégique, de continuité et de cohérence ont voué les politiques de l'éducation au court terme et aux ruptures successives. Cette situation a donné lieu à un cumul d'inerties, d'inadéquations et à une culture de l'irresponsabilité. La machine est devenue très lourde tout en étant incapable de réguler son fonctionnement. Beaucoup de responsables, à l'échelle ministérielle ou dans les établissements, ont baissé les bras face à l'ampleur des difficultés et des carences cumulées. Comment la réforme du dinosaure lourd et inefficient pouvait-elle être concevable ? Après diverses tentatives partielles et contradictoires, une charte nationale de l'éducation -formation élaborée par la Commission spéciale éducation-formation (COSEF), constitue depuis 1999 l'axe stratégique de la dernière réforme adoptée. Se voulant plus consensuelle et plus réaliste, elle fait prévaloir une vision et une mise en œuvre dans la durée, indispensables pour tout système d'enseignement tant soit peu cohérent. Cependant elle reste encore en butte à la passivité et à l'absence d'initiatives dans les établissements ainsi qu'à l'inertie et aux mauvaises habitudes contractées par l'administration et un grand nombre d'enseignants. C'est ainsi qu'il est devenu très urgent d'opérer à tous les niveaux l'évaluation de la mise en œuvre de la réforme et des pesanteurs diverses qui continuent d'entraver le processus. Valoriser l'école C'est dire l'ampleur des exigences auxquelles doit se confronter le Conseil supérieur de l'enseignement. Cependant au-delà du travail d'évaluation et de proposition qu'il est appelé à effectuer, il devrait se distinguer surtout par sa capacité à susciter de vrais débats, sans langue de bois ni formalisme, sur les moyens réels de donner vie à la réforme sur le terrain. Il est important que l'école et le savoir puissent à nouveau être valorisés, après des décennies de descente aux enfers et de fatalisme de la médiocrité. A l'échelle nationale et sur le plan régional et local, il faut susciter plus de participation et d'intérêt pour l'école. Les faiblesses, les déficits, les comportements douteux, les pratiques régressives doivent pouvoir être mis à jour, discutés, au besoin fermement dénoncés sur la place publique, dans des forums multiples et dans les médias. Sans ce sursaut, cette « dramatisation » en quelque sorte d'une question vouée à la léthargie et à la démission collectives, la réforme ne prendra pas corps. Pour être stimulée, celle-ci doit concerner et impliquer davantage l'opinion publique, les parents d'élèves, les associations et les organisations politiques et syndicales. Pour commencer, le ministère de l'éducation nationale vient de lancer une vaste campagne visant à sensibiliser les familles à un plus grand suivi de la scolarité de leurs enfants. On a pu mesurer les bilans négatifs des attitudes des syndicats par exemple qui n'ont pas su accorder autant d'intérêt et d'énergie à la qualité de l'enseignement qu'aux objectifs corporatistes étroits de leurs membres. Le temps est venu d'en finir avec cette attitude bornée et génératrice de régression culturelle. Chacun est tenu d'assumer ses responsabilités et il est inévitable, de ce point de vue, de pousser les enseignants et les administratifs à faire leur propre examen critique et à ne plus se réfugier dans la passivité, le laxisme et l'absence de déontologie. La réforme implique, de ce fait, que le mammouth de l'Education nationale soit quelque peu contraint de se réveiller, de se moderniser, de s'assouplir et surtout de se “recycler” et de s'ouvrir davantage sur les besoins du développement du pays et sur le monde. Même si les pesanteurs cumulées et les menaces de régression, plus ou moins obscurantistes, semblent difficiles à contrer et à surmonter, le pays a-t-il un autre choix que celui de croire en la possibilité de la réforme et en la dynamique que, progressivement, celle-ci peut engendrer ?