L'avocate, d'origine libanaise, Bouchra Khalil, membre du groupe des avocats qui assurent la défense de l'ancien Président Irakien Saddam Hussein, a accusé les services américains d'être à l'origine de la disparition de son collègue l'avocat Khamis El Oubaidi, assassiné la semaine dernière. Appartenant à une famille Chiite du sud Liban, elle souligne dans un entretien exclusif accordé à la « Gazette du Maroc » que l'acte de condamnation à mort de Saddam Hussein et ses proches collaborateurs est déjà prêt, et que ce procès est une véritable mascarade, unique en son genre dans l'histoire des cours internationales de justice. Elle révèle également que ce procès est dirigé par des experts américains en présence d'experts juifs israéliens, spécialement dépêchés auprès de l'ambassade américaine à Baghdad. Elle décrit aussi les conditions de détention de Saddam Hussein et rapporte les échos d'un entretien auquel elle avait assisté à Baghdad entre Saddam et l'ancien ministre américain de la justice Ramzy Clark. Pour elle, « les Américains continuent de négocier avec l'ancien président irakien Saddam au sujet de la résistance nationale irakienne et de l'éventualité d'installer des bases militaires américaines en Irak”. Hypothèse repoussée par Saddam. La Gazette du Maroc : Commençons si vous le permettez par l'affaire de l'assassinat de l'avocat Khamis El Oubaidi. Comment avez-vous reçu cette nouvelle ? Bouchra Khalil : Evidemment, j'étais très triste, car mon collègue et ami, Me Khamis El Oubaidi était un brillant avocat avec lequel j'ai collaboré sur plusieurs dossiers. Durant le déroulement de ce procès du président Saddam Hussein, nous avons beaucoup fraternisé. Nous résidions à la même enseigne au cœur de la zone verte à Baghdad. Nous passions quatre à cinq journées à travailler ensemble. Cependant, son assassinat ne m'a pas étonné. Pas seulement parce qu'il s'agissait de Me Khamis El Oubaidi, mais parce que c'était un assassinat odieux . Je prévoyais cela depuis mon arrivée à Baghdad que j'ai quittée pour la dernière fois le 25 mai dernier. Ce jour-là, après avoir pris connaissance du dispositif sécuritaire américain, et du fait que les responsables américains ont curieusement allégé les mesures de sécurité pour nous laisser telle une proie facile à chasser. Tout à fait à la portée de ceux qui voulaient nous agresser. J'ai eu le pressentiment que cela était prémédité et que des assassinats visant les membres du corps de défense de Saddam Hussein étaient en préparation. En tant que membre de ce collège des avocats de la défense, ne craignez-vous pas pour vote vie ? N'était-ce pas une aventure ? Surtout après la mort de pas moins de trois avocats ? Bien sur, j'ai senti que ma vie était menacée. J'ai senti que j'étais visée personnellement et ce environ 36 heures avant l'assassinat de l'avocat Khamis El Oubaidi. J'ai effectivement reçu des menaces de mort par téléphone. J'ai pris très au sérieux de telles menaces, et j'ai effectivement présenté une requête dans ce sens auprès de la cour d'appel de Beyrouth. Une enquête est toujours en cours à ce sujet. Certains considèrent que le corps de la défense n'a pas assez collaboré avec les organisations internationales de défense des Droits de l'Homme, si l'on excepte les quelques démarches effectuées auprès des organisations arabes. Qu'en pensez-vous ? Personnellement, j'ai effectué quelques démarches dans ce sens. En particulier pour ce qui concerne le dossier du vice - président de la république irakienne, Taha Yassine Ramadan. Celui-ci a fait l'objet d'acte de tortures physiques. Il m'a adressé un courrier dans lequel il a décrit les types de tortures qu'on on lui a fait subir. J'ai adressé une lettre à ce sujet au secrétaire général des Nations-Unies Koffi Annan, auquel j'ai réclamé la formation d'une commission spéciale d'enquête contre la torture afin qu'elle puisse accomplir son travail selon les critères internationaux requis et pour vérifier les déclarations de mon client Taha Yassine Ramadan. Après mon expulsion par le juge, j'ai une nouvelle fois pris contact avec plusieurs organisations internationales et avec les organisations de défense des droits de l'Homme. J'ai encore adressé plusieurs lettres à ces instances où j'ai expliqué les conditions de cette expulsion et ses conséquences morales sur le déroulement du procès. J'ai également saisi la Cour Internationale de Justice à La Haye et les organisations syndicales concernées dont le conseil exécutif a tenu une réunion au Liban . J'ai participé personnellement à cette réunion où j'ai fait en sorte à ce que le problème soit clairement posé à l'échelle internationale. Les membres du Conseil ont bien reçu mon message et se sont efforcés d'examiner cette question. Ils ont ouvertement dénoncé ce qui s'est passé durant ce procès et les décisions injustes qui ont été prises à mon égard. Il s'agit en fait de violations flagrantes des lois de justice les plus élémentaires. Cette organisation adressera dans les jours qui viennent un courrier officiel à ce tribunal irakien pour dénoncer ces agissements et la manière dont on traite et les accusés et leurs avocats. Cette partialité, ce favoritisme qui bafouent toutes les règles au détriment des intérêts du corps de la défense et des accusés . Pour ce qui est de votre recours auprès des Nations Unies et son secrétaire général Koffi Annan, nous constatons qu'il n'y a pas eu de réactions concrètes, puisque l'Irak est toujours occupé et qu'il est toujours sous tutelle internationale. Ce n'est pas la seule défaillance de la part des Nations Unies , il y en a eu d'autres et ce depuis le début de ce procès et même avant. Les menaces qui ont commencé à être proférées contre ce pays et qui ont conduit à son occupation en se basant sur les multiples résolutions du Conseil de sécurité, en dépit de la bonne volonté manifestée par le pouvoir irakien et sa collaboration sincère avec toutes les missions d'enquêtes effectuées au nom du secrétaire général de l'ONU. La direction irakienne aujourd'hui détenue à mis à la disposition des Nations Unies tout ce que celle-ci réclamait. On lui a permis d'inspecter toutes les institutions et ttoutes les instances, tous les sites et toutes les usines soupçonnées d'abriter des armes de destruction massive. Malgré cela, lorsque l'administration américaine a accusé l'Irak de disposer de ces armes et de les avoir stockées loin des yeux des inspecteurs de l'ONU, le conseil de sécurité n'a pas bougé pour interdire cette agression caractérisée contre l'Irak et contre le peuple irakien en dépit du fait que ces inspections ont clairement démontré que l'Irak n'avait pas d'armes de ce type. Ce qui s'est passé s'est répété à plusieurs niveaux. Par exemple lorsque j'ai informé son excellence le secrétaire général sur ce qui s'est réellement passé, et sur la nature des actes de tortures qui ont été pratiqués, il est resté sans réaction et n'a pas jugé utile de dépêcher la commission de l'ONU contre la torture en vue de savoir ce qui se passe dans les prisons irakiennes. Il n'a pas, non plus demandé une inspection en bon et due forme de ce pénitencier où l'on détenait la direction irakienne et le type de traitement qu'on lui réservait. On pourrait ajouter à ces actes de violations des lois internationales, le fait que les Nations Unies ont relégué au second rang toutes les résolutions pertinentes adoptées par le conseil de Sécurité au sujet de la Palestine, du Liban et de l'Irak et qui n'ont jamais été appliquées. Comme si l'organisation onusienne ( et je regrette de dire cela !), était dépendante d'une façon ou d'une autre de l'administration américaine. Ce que nous regrettons vivement car l'ONU, censée protéger les petits pays faibles est aujourd'hui instrumentalisée et utilisée au profit des seules grandes puissances. En dépit de la ressemblance des affaires dont lesquelles ont été impliqués Saddam Hussein, le président libérien Charles Taylor ou encore le président Serbe Slobodan Milosevic, nous avons été surpris par le fait que Charles Taylor et Milosevic ont été présentés devant la Cour Internationale de Justice à La Haye avec toutes les garanties et les assurances internationales, ont été traité de façon respectable et en tous cas plus élégante. Ce qui n'est pas le cas de la direction irakienne. Qu'en pensez-vous ? Il est claire que l'administration américaine utilise ce procès pour des raisons strictement politiques. On constate le même comportement avec l'Iran et les autres puissances régionales .Ce qui se passe aujourd'hui ressemble largement à une pièce de théâtre qui se déroule sous les yeux du monde entier. Ajoutons à cela le fait que ce tribunal peut prononcer une condamnation à mort alors que cette sentence n'est pas retenue par les autres tribunaux internationaux de justice. Jusqu'à aujourd'hui, l'ONU ne bouge pas pour stigmatiser de tels comportements, ni de la part de son secrétaire général, ni au niveau du Conseil de sécurité. Si l'on excepte bien évidemment quelques dénonciations prononcées du bout des lèvres alors que les tribunaux spécialisés dans les affaires liées aux crimes de guerre sont une attribution spéciale des Nations Unies et de son secrétaire général Cela veut dire tout simplement qu'aucun tribunal local n'est habilité à former une cour habilitée à statuer sur ce genre de dossiers. Il importe donc de considérer que ce procès est illégal, puisque les juridictions internationales peuvent, elles seules, instruire ce genre d'affaires. Koffi Annan a même refusé de dépêcher des juges de la cour internationale de Justice pour participer aux sessions de recyclage et de formation des juges irakiens qui se sont déroulées en Grande Bretagne. Je pense que la condamnation à mort que prévoit ce tribunal est la raison principale qui fait que les Etats-Unis ont tenu à dicter eux-mêmes les attributions du tribunal chargé d'instruire cette affaire. Parlez nous de la façon dont vous êtes arrivée, depuis votre arrivée à l'aéroport de Baghdad et jusqu'à votre entrée au tribunal situé au complexe présidentiel, au cœur de la zone verte? C'est une très bonne question. Parce qu'elle révèle l'implication directe des Etats-Unis dans l'assassinat de mon collègue Me Khamis El Oubaidi. Avant d'aller pour le première fois en Irak, j'ai écrit mon testament que j'ai confié à une amie. Je n'ai informé aucun membre de ma famille. Personne ne savait que je partais en Irak. J'étais trop énervée et je me méfiais de ce qui pouvait m'arriver en Irak. Lorsque je suis arrivée avec mes collègues à l'aéroport de Baghdad dans un avion venant de Jordanie, alors, dés notre descente d'avion, nous avons rencontré une équipe d'agents de sécurité américains qui nous attendait avec une voiture spéciale qui nous a transporté vers le site de l'aéroport et nous ont gardé sous leur protection. Ils ont pris possession de nos passeports et nous ont fourni les visas d'entrée mais ne nous ont pas permis d'avancer vers nos valises, ne serait-ce que de quelques centimètres . Ils m'ont dit « Vous restez ici et nous nous chargerons des valises ». Pour assurer notre sécurité, ils ont interdit à tout citoyen irakien de nouys approcher. Cependant, sur le chemin du retour, j'ai remarqué qu'il y avait un allégement prémédité des dispositions sécuritaires. On nous a placé dans une voiture blindée qui nous a conduit vers un aéroport militaire, puis dans un avion militaire de marque Cobra en direction de la zone verte. Puis on nous a transporté vers une villa habitée par l'équipe des agents de sécurité américains. Dans la même résidence, habitaient également des officiers américains, ce qui en dit long sur les dispositions sécuritaires prises. Dans la matinée du procès, il y avait plusieurs voitures blindées réservées au transport des avocats escortés par plusieurs officiers américains. Ils nous ont conduits vers le siège du tribunal situé à prés de cinq minutes de lieu de notre résidence. Et encore une fois, ils n'ont pas permis à la police irakienne de nous approcher. Même pas pour contrôler nos passeports. Ces dispositions m'ont redonné confiance pour être tranquille sur ma sécurité personnelle. Mais je m'étonne que ces mesures n'ont pas été appliquées lors de mon deuxième voyage à Baghdad. J'ai d'ailleurs remarqué dés mon arrivée à l'aéroport qu'ils nous ont transportés par voie terrestre sur une route que les Irakiens et les Américains surnomment « la route de la mort ». Nous y avons repéré des dizaines de voitures américaines brûlées sur le bord de la route. Pendant cette expédition, j'ai interrogé l'officier responsable de la sécurité des avocats qui était assis tout près de moi dans la voiture sur les raisons de la modification du dispositif sécuritaire, il m' a répondu que c'était pour des raisons logistiques. J'ai répondu que ces nouvelles dispositions ne garantissent pas notre sécurité . Il a alors rétorqué « nous sommes avec vous, ne craignez rien » Alors j'ai réagi en lui disant: « mais qu'est-ce qui nous assure que nous pouvons vous faire confiance, il est très possible qu'on soit visé aussi par vos services où par un groupuscule qui dépend de vous, comme par exemple l'organisation « Badr » ou les fameux «Bachemarkas » . Alors il m'a répondu : « Nous étudierons vos demandes et nous essaierons d'arranger les choses comme par le passé ». Sur le chemin du retour, j'ai remarqué que les dispositions sécuritaires étaient volontairement allégées. Au lieu que ce soit les Américains qui nous conduisent vers l'aéroport, on nous a largués au seuil de l'aéroport. Nous avons été placés au milieu des gens, et ce bien avant l'entrée à l'aéroport. Lorsque nous avons dépassé cette situation et pu finalement entrer à l'intérieure de l'aéroport, j'ai dit à mes collègues avocats : « J'ai peur que des opérations d'assassinat ne soient perpétrées, alors que les forces américaines nous ont abandonné à notre sort». Et même si nous avions pu finalement prendre notre avion et dépassé ce danger j'avais encore le pressentiment que les Américains préparaient le chemin à notre assassinat. D'autant plus que bien avant le début des délibérations, les Américains m'ont clairement avertis et conseillé de ne pas quitter notre lieu de résidence en raison de la présence de quelques éléments de la police irakienne affectés à la zone verte. Alors comment pouvaient-ils nous laisser comme ça à notre arrivée à l'aéroport de Baghdad? Pour ce qui est du procès, nous avons remarqué que le juge était seul et qu'à sa droite il y avait le ministère public représenté par deux personnes dont Jaâfar Moussaoui, alors que les accusés étaient placés au milieu de la salle et derrière eux des personnes représentant différentes nationalités. Si vous pouvez nous expliquer certains aspects que nous ne voyons pas durant les séances du procès. Contrairement à ce qui paraît sur l 'écran de télévision, la salle du tribunal est très grande. Le juge est assis sur l'estrade avec quatre de ses conseillers et devant eux, nous formons le corps de la défense composé de 14 avocats assis à l'emplacement que vous voyez. Devant nous, se place le procureur et le ministère public. Quant à ceux que vous voyez derrière les vitres, ce sont les journalistes et les représentants de certaines organisations internationales de défense des droits de l'Homme. Mais au dessus du procureur, il y a un balcon que j'ai décrit comme un miroir, personne ne sait ce qui s'y passe pendant le déroulement du procès. J'ai compris dès mon arrivée à la salle que ce balcon était réservé à quelque chose de très spéciale puisque son aspect architectural est différent du reste de la salle du tribunal. Le président Saddam Hussein m'a informé que c'est lui qui a veillé à la construction de cet édifice. Alors j'ai compris que l'installation de ce balcon n'est pas fortuite et que sa fonction sert à quelque chose de très précis. En effet, de temps en temps, il y avait des gens qui venaient de ce balcon pour apporter des instructions écrites au juge. Elles devaient lui parvenir d'une personne placé derrière ce balcon. J'ai eu la certitude par la suite, que derrière ce balcon, il y avait une équipe de juristes américains et des juristes d'autres nationalités dont notamment certains juifs israéliens recrutés par l'ambassade américaine et qui reçoivent leur salaires de l'ambassadeur américain à Baghdad. Malgré tous mes doutes, je n'ai pas jugé utile d'évoquer cette affaire lors de mes interventions. Jusqu'au jour où le juge a décidé de m'expulser de la salle. Un juriste américain m'a alors approché et m'a demandé « qu'est-ce qui s'est passé ». J'ai réagi sèchement en lui disant : « est ce que vous n'avez pas vu ce qui s'est passé ? N'étiez-vous pas derrière ce balcon, dans ce salon en verre, et vous y voyez tout ce qui se passe ? Il a alors répondu : « Non, j'étais de l'autre côté ». J'ai alors rétorqué: « pourquoi me demandez-vous ce qui s'est passé du moment que avez tout vu de vos propres yeux ? Durant le mois de juillet la défense présentera ses plaidoiries. Allez-vous assister à ces séances ? Et quel sera le contenu de votre plaidoirie ? Il y a cette décision du président du tribunal de m'interdire d'entrer dans la salle. Evidemment, c'est une décision abusive et arbitraire. Il n'appartient pas au président du tribunal de prendre une telle décision et de m'interdire d'exercer mon métier. J 'ai appris de la part des Américains que cette décision est entrée en vigueur, et ils m'ont demandé de respecter la volonté du juge. Je constate cependant qu'une telle décision limite les droits des avocats et porte préjudice aux intérêts des accusés et de la défense. Les accusés ont le droit de choisir eux-mêmes les avocats chargés de leur défense. C'est donc une décision illégale et anti- réglementaire et justifiera la non- reconnaissance du jugement lorsqu'il sera prononcé, quelque soit sa nature. Malgré cela, je garde l'espoir que le président du tribunal et l'équipe d'Américains qui veillent sur ce procès finiront par revenir sur cette décision et me permettront de revenir et de préparer ma plaidoirie. Au cas où je serais autorisée, je demanderais à la Chaine Al Jazira de diffuser ma plaidoirie. Sans doute, vous allez me dire que cela n'est pas réglementaire. Je répondrais que le président Saddam Hussein m'a dit lors de notre dernière rencontre « Le jugement de ce tribunal ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est le jugement du peuple irakien et de l'opinion publique irakienne et internationale». Si je plaide à travers un organe de presse, tout le peuple irakien arabe et internationale va y assister, et il se prononcera. D'ailleurs, notre plaidoirie ne changera en rien le cours du ce procès. Car la décision du président du tribunal est déjà prête. Pour ce qui est de notre présence lors de la prochaine séance du procès, nous prendrons la décision au moment opportun. Surtout après l'assassinat dont a été victime notre collégue Me Khamis El Oubaidi. Personnellement, je suis parmi ceux qui préfèrent boycotter cette séance aussi longtemps que je suis interdite d'assister et d'entrer dans la salle du tribunal et aussi longtemps qu'ils continueront à perturber notre travail d'avocats. Ils nous imposent leurs conditions et vont jusqu'à définir le temps imparti pour les interventions et les plaidoiries alors que les droits de la défense sont sacrés et que le dernier mot revient toujours à l'accusé. Celui-ci a le droit de faire sa propre plaidoirie et peut plaider sa cause durant plusieurs heures et même plusieurs jours. Or le tribunal limite les temps impartis pour par plusieurs moyens. A mon avis, s'ils ne nous accordent pas l'occasion de défendre nos clients selon les critères universellement admis, il n'est pas question de se rendre à ce procès pour participer à cette mascarade. Qu'ils prononcent le jugement qui leur plait sans la présence des avocats. Il n'est pas question pour nous de cautionner ce procès. Dans tous les cas de figure, le jugement qui sera rendu ne sera pas crédible. D'après vos dires, il paraît que le jugement qui sera prononcé contre Saddam Hussein est déjà prêt ? Sur quoi vous vous basez pour avancer cela? Je me base sur le fait que les Américains utilisent ce procès pour des raisons politiques. Il y a de nombreux indices qui me permettent d'avancer qu'ils se dirigent vers ce scénario . Il y a de nombreux obstacles qu'ils ont dressés et de difficultés qui ont été suscités pour empêcher les avocats d'accomplir leur mission. Même les témoins à charge ont été manipulés. Il leur ont imposé de signer des déclarations erronées qui contredisent les déclarations faites devant le tribunal. Ces témoins ont été torturés durant l'interrogatoire. Ils ont reçu des menaces de mort et ont été intimidés. Si ce procès était vraiment juste et équitable isl n'auraient pas proférés ces menaces de mort. Lorsque j'ai cité l'aptitude de ce tribunal à instruire cette affaire en invoquant plusieurs vices de forme, j'ai suscité leur colère. Parce qu'ils ne voulaient pas que justice soit faite de façon normale. Lorsqu'ils ont essayé de négocier avec moi mon retour au tribunal, les Américains ont mis certaines conditions draconiennes comme par exemple le fait de ne pas citer l'anti-constitualité de ce procès que j'avais évoqué, et aussi l'immunité constitutionnelle dont doit bénéficier mon client, le président Saddam Hussein. Enfin, ils m'ont demandé de ne pas établir de liens entre ce qui est passé à Eddijil du temps du régime de Saddam et ce qui s'est passé à El Fallouja sous l'occupation américaine. J'ai refusé net de telles conditions parce que j'ai estimé que ces arguments étaient nécessaires et on doit se baser sur eux dans nos plaidoiries pour attester l'innocence de nos clients. Depuis cette date, j'ai compris que les Américains ne veulent pas de procès juste. Je présume qu'ils ont monté cette comédie de toutes pièces afin que Saddam Hussein et ses camarades soient condamnés à mort par un tribunal dont on dira qu'il est irakien . Or il s'agit bien d'un tribunal américain si l'on excepte le président du tribunal, le procureur et leurs amis qui ont été montrés à la télévision pour donner l'impression qu'il s'agit d'un tribunal irakien. Au cas où la condamnation à mort serait prononcée, a votre avis Saddam sera-t-il immédiatement exécuté ? ou aura-t-il l'occasion d'interjeter un appel et l'ouverture des autres dossiers comme les crimes de guerre contre les kurdes d'Iran , la guerre du Koweït , la guerre irako-iranienne et autres. Surtout que la loi Bramer permet d'exécuter ce jugement sans attendre que les autres affaires soient ouverts ? Tout est permis pour les Américains. Et tout ce qu'ils vont entreprendre est fondé sur des considérations purement politiques aussi bien en Irak qu'ailleurs. Cependant, il y a un tribunal correctionnel que l'on peut saisir pour débouter ce jugement. La condamnation à mort n'est pas une raison pour exécuter ce jugement. C'est une première dans l'histoire car toutes les lois irakiennes et tous les jugements sont révisables dont notamment une condamnation à mort. Ce tribunal prévoit d'ailleurs que l'on peut faire un recours contre ce jugement au cas où les avocats seront expulsés, ce qui m'est arrivée justement. N'oubliez pas aussi que le Procès se déroule sous occupation militaire américaine et que des forces étrangères sont présentes dans l'enceinte même du tribunal. Avez-vous eu l'occasion de rencontrer le Président Saddam Hussein en dehors du tribunal? Oui, je l'ai rencontré à deux reprises. La première fois le 30 novembre 2004, c'était la première fois où je l'ai vu directement. La deuxième, c'était un mois plus tard. Nous étions cinq avocats la première fois et six la deuxième fois. Et nous sommes restés avec lui durant cinq heures. Avez-vous trouvé qu'il suivait l'actualité internationale derrière les barreaux ? Il sait ce qui se passe à travers nous. Car il n'a pas accés aux informations. Lors de ma visite je l'ai informé sur ce qui passe aussi bien en Irak qu' à travers le monde entier. La dernière fois je l'ai informé sur l'évolution des relations entre l'Iran et les Etats-Unis au sujet du dossier du nucléaire, de l'échange d'ambassadeurs entre Tripoli et Washington et des dossiers sécuritaires en Irak. Il était heureux d'apprendre ces informations, il s'est fait une idée précise au sujet des rapports entre l'Iran et les USA. Il a pu ainsi savoir à quel point les Américains s'étaient embourbés en Irak . Quelle a été sa réaction lorsque vous lui avez montré les images des détenus irakiens à la prison d'Abou Gharib ? Je peux vous assurer que j'ai été étonnée par la réponse du président Saddam Hussein. Je lui ai apporté les photos d'irakiens nus, violés et affamés disposés dans cette prison, lorsque j'ai posé la question au procureur et au président du tribunal pour savoir si le ministère public considèrent comme condamnables les personnes qui ont commis de tels crimes contre le peuple irakien, j' ai tourné cette photo vers le président Saddam Hussein en lui disant en dialecte libanais « est- ce que tu as vu ce qu'est advenu de ton peuple en ton absence ? Est-ce que tu vois ce qu'on fait des irakiens en ton absence ?» Je n'ai pas terminé ma phrase. Il était vraiment ému et triste. J'ai constaté qu'il n'imaginait pas que son peuple pouvait subir un tel sort. Il était très touché par ce qu'il a vu. Il ne croyait pas ses yeux. Selon certaines informations qui ont circulé dernièrement, le président George Bush aurait rencontré le président Saddam Hussein durant la visite inopinée qu'il a effectué dernièrement en Irak. C'est ce qui expliquerait le fait que le président du tribunal a décidé de lever la séance alors qu'elle était prévue à huis clos. Jusqu'à quel point on pourrait attester de l'authenticité de cette information ? Je ne dispose pas d'informations précises à ce sujet. Mais cela ne m'étonnerait pas. Parce que j 'ai bien le pressentiment que les Américains sont en train de négocier avec le président Saddam Hussein. Je suis sûre que la partie américaine est en train de négocier. C'est ce que j'ai compris lors de la rencontre, en ma présence, entre le Président Saddam Hussein et l'avocat Ramzy Clark, l'ancien ministre américain de la justice (Attorney général). Ramzy Clark était en train de lui parler d'un dossier se rapportant à son action en vue de transférer le procès à l'extérieur du territoire Irakien. Saddam lui a répondu «Laisse moi cela et informe les Américains qu'avec ou sans Saddam Hussein, ils n'auront jamais de bases militaires en Irak. Même dans leurs rêves. Les Anglais ont tenté cela dans les années cinquante et ont échoué sur toute la ligne. Les Américains échoueront aussi . Car le peuple irakien refusera cela qu'il soit sous la présidence de Saddam ou de quelqu'un d'autre. » D'après le contenu de ce message, et d'après les termes soigneusement choisis par Saddam pour les exprimer, j'ai compris que les Américains étaient entrain de négocier avec lui. Enfin, il y a un autre sujet se rapportant à la résistance irakienne. Lors de cette rencontre, Saddam Hussein a encore déclaré « J'ai dit aux Américains que le résistance était un droit absolu des Irakiens. Tous les peuples du monde dont les territoires sont occupés lancent des opérations de résistance pour lutter contre cette occupation. Mon peuple, comme tous les peuples du monde, résiste et résistera à l'occupation. Avec ou sans Saddam Hussein ». Lorsqu'il s'est prononcé ainsi, j'ai eu le pressentiment que les Américains étaient en train de négocier aussi au sujet de la résistance irakienne. Même si Saddam Hussein ne nous a pas dit que des négociations étaient en cours, j'ai compris que cela était très possible .