Le Mouvement pour le tiers des sièges aux femmes annonce une nouvelle phase de mobilisation en faveur des droits de celles-ci. Face à la persistance des différentes formes de conservatisme, larvées ou hostiles, la revendication d'une meilleure représentativité politique des femmes apparaît comme la garantie de la préservation et de l'extension des réformes. Cette fois les femmes n'ont pas eu gain de cause. Le Mouvement pour le tiers des sièges aux femmes constitué en mai dernier par plusieurs organisations avait lancé une mobilisation de revendication pour que le quota réservé aux femmes dans les instances élues soit porté au tiers. Pour ce Mouvement, il s'agit de renforcer l'acquis des élections précédentes de 2002 qui avait consacré une liste nationale de 10 % aux femmes, soit 30 sièges. En marge des consultations menées ces dernières semaines par le ministre de l'intérieur avec les partis de la majorité sur le code électoral, le Mouvement a cherché à faire prévaloir sa revendication comme une nécessité pour une plus grande représentativité démocratique. Il a écrit en ce sens aux partis politiques et au ministre de l'intérieur, mais de toute évidence cette question n'a pas beaucoup retenu l'attention de ces derniers. Les consultations ayant porté surtout sur le mode de scrutin pour aboutir à un accord déjà au sein de la majorité gouvernementale, la révision à la hausse de la liste nationale réservée aux femmes n'a revêtu aucun caractère d'urgence. On s'est contenté de garder le statu quo au risque de provoquer un mouvement de protestation et un regain d'activisme des organisations féminines. Le Mouvement pour le tiers des sièges a développé son argumentation en soulignant que « si on n'avance pas on recule ». Si l'acquis de la liste nationale de 10 % pouvait être considéré comme exemplaire, cela n'est déjà plus le cas. En 2002, le Maroc avait vu une nette amélioration de son classement en matière de représentativité des femmes : il avait alors figuré en 69ème place au plan mondial et en 2ème place parmi les pays arabes. Actuellement, il a rétrogradé à la 92ème place à l'échelle mondiale et à la 4ème place dans la sphère arabe (après l'Irak, la Tunisie et la Syrie !). De plus les militantes du Mouvement font remarquer qu'aucune obligation n'est faite sur le plan législatif aux partis de présenter un quota de femmes aux élections, ce qui peut aboutir à la remise en cause de la liste nationale elle même. Elles rappellent que lors des élections communales de septembre 2003, les candidatures de femmes n'ont pas dépassé 5 % de l'ensemble et les élues ont constitué à peine 0,53 %, soit 127 femmes seulement. Pour le Mouvement, il y a donc une menace de stagnation et de régression qui doit être sérieusement prise en compte. D'où l'appel à la mobilisation pour mener une vaste campagne de sensibilisation. Menace de régression Une pétition a déjà recueilli plus de 500 signatures et des voix préconisent de lui donner plus d'ampleur à l'échelle nationale. Il s'agit selon le Mouvement de ne pas être en contradiction avec les orientations tant proclamées en matière de participation citoyenne et de développement humain où l'implication des femmes est une condition primordiale. Les craintes qui s'expriment ainsi mettent en évidence le hiatus persistant entre les belles proclamations de principe et le poids des résistances et des blocages dus aux différentes formes de conservatisme dans la société et dans la classe politique. Jusque-là on était encore sous l'effet de l'euphorie engendrée par la réforme profonde du code de la famille en 2004, laquelle fut perçue comme une «révolution» et sans doute comme la seule grande véritable réforme introduite dans la société marocaine depuis l'indépendance. Malgré les difficultés liées à sa mise en application, elle a marqué un tournant et a autorisé tous les espoirs d'une transformation en profondeur. Or il s'avère que celle-ci est loin d'être aisée et reste encore problématique. Face à l'impulsion réformatrice, les crispations conservatrices se font plus manifestes. Le vécu des tribunaux de la famille au quotidien en reste fortement marqué. Les pratiques anciennes sont loin d'avoir été surmontées et il faudra sans doute des moyens plus fournis et plus appropriés pour mettre à niveau les juges et les autres intervenants ainsi que pour sensibiliser les couches les plus larges de la population. La promotion des droits des femmes introduit certes une évolution des perceptions et des sensibilités, mais elle suscite aussi des attitudes négatives où toutes les survivances sont loin d'avoir cédé. On peut même mesurer l'impact d'une réforme au degré de résistances qu'elle suscite. C'est là précisément que la partie se joue et que des efforts continus pour la soutenir et l'enraciner dans les mentalités et les pratiques sociales sont absolument essentielles. Autrement le risque d'enlisement dans le marais du conservatisme latent ou hostile et la perte de vitalité seraient un véritable danger. Le travail des diverses associations de défense des droits de femme est à cet égard remarquable. Seulement si diversifié, opiniâtre et courageux soit-il, il a toujours besoin d'être porté par une dynamique globale qui ne peut être encore que d'ordre politique. Lorsque, dans une société, le poids des conservatismes reste très lourd, pour diverses raisons, le contre-poids politique est le seul moyen de créer du mouvement et d'échapper à la fatalité. Intégration politique C'est ce que traduit l'émergence du Mouvement pour le tiers des sièges aux femmes. L'avenir du mouvement de réforme qui fut fortement stimulé par les initiatives et l'arbitrage du roi Mohamed VI est plus que jamais perçu comme dépendant de l'intégration politique des femmes. Seules ces dernières pourraient le mieux se battre pour la réforme et les droits des femmes et ce, au sein des partis politiques et des instances élues. Certes, reconnaissent les animatrices du Mouvement, il y a des différences notables de degrés entre les partis politiques en matière de démocratie et de conservatisme. Cependant même chez les plus ouverts il y a encore des blocages à surmonter, qu'il s'agisse des vieux préjugés ou des calculs électoralistes selon lesquels les femmes ne sont pas «rentables» en termes de voix. Le seul moyen pour surmonter ces pesanteurs, serait celui du volontarisme politique qui imposerait par la voie législative des quotas aux différentes élections. Au moment où les mouvements islamistes se mobilisent en prévision de l'échéance de 2007, les organisations féministes craignent une remise en cause des acquis et veulent convaincre de la nécessité de faire face à une offensive conservatrice. Est-ce là le signe d'un nouvel élan du mouvement pour les droits des femmes? Les luttes qui avaient été menées au cours des décennies précédentes avaient été axées surtout sur la réforme de la Moudawana. A présent c'est une autre étape qui est abordée, celle d'une intégration politique des femmes pour préserver les acquis de la réforme et pour étendre celle-ci. Le ton est donné cette semaine par la montée au créneau du Mouvement pour le tiers des sièges alors qu'une conférence organisée à Rabat par l'Association démocratique des femmes et la Fédération internationale des droits de l'homme demande la ratification par les pays arabes du protocole additionnel de la convention sur l'égalité et la levée des discriminations. Seule la Libye a, dans le monde arabe, ratifié ce protocole. C'est dire qu'il y a encore du chemin à faire.