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L'habitat nomade et les tentes du Maroc : Le nomadisme n'est pas une errance
Publié dans La Gazette du Maroc le 15 - 05 - 2006

Les quelques centaines de milliers de nomades d'origine berbère et arabe, appelés "fils des nuages", vivent des troupeaux et sont liés à une nature imprévisible. Ils recherchent toujours la pluie, afin de trouver l'eau et donc des pâturages pour leurs chèvres et leurs chameaux. L'histoire du Maroc plonge également ses racines dans celles de ces peuples nomades, premières tribus arabes bédouines venues s'installer dans la région à partir des XIVème et XVème siècles. Le berceau des dynasties marocaines ne vient-il pas de ces contrées? Ils ont apporté avec eux un habitat et un mode de vie séculaires encore vivaces au Maroc.
Le Maroc a eu des relations multiséculaires avec l'Afrique noire en raison des routes caravanières qui partaient du Maroc pour rejoindre l'Afrique noire. C'est ainsi que la culture marocaine a été fécondée par les tribus nomades du Sud saharien. Par ailleurs l'histoire du Maroc montre que les différents souverains marocains sont originaires des confins sahariens. Descendants de tribus nomades ou bédouines, ils ont à chaque fois, conquis le Nord. Au fil des siècles, de nombreuses cultures semi-nomades et nomades ont habité ou traversé le Maroc. Les ingénieuses solutions architecturales de ces peuples pastoraux traduisent une pensée trés élaborée, hors du temps. Aujourd'hui une partie de la population du Maroc vit de manière nomade ou semi-nomade, comme au sud du Maroc. Elle a ainsi élaboré un autre type d'habitat. En allant sur les traces de la tente, nous comprenons à quel point le monde des sédentaires qu'on nomme généralement
"civilisation", ne peut survivre que s'il emprunte aux nomades une certaine manière de vivre, faite de simplicité, d'endurance et parfois d'ascèse.
La tente marocaine Khaïma ou tente berbère
La Khaïma ou tente berbère est utilisée par les tribus ou pasteurs nomades. Cette tente noire, appelées «bayt esh-shacr», littéralement «maison de poil» est, de très loin, l'abri le plus répandu. Rapidement montée ou démontée, elle s'adapte au climat et convient aux déplacements saisonniers motivés par la recherche de pâturages.
Cette tente marocaine est faite d'étoffes de teinte très sombre, ornées de motifs géométriques. Ces figures à dominantes de losanges, de triangles et de chevrons, sont connues pour leurs vertus prophylactiques.
Le toit est formé d'un vélum fait d'étroites bandes tissées, en laine et en poils (flij), cousues bord à bord. Cet assemblage de bandes de laine brune est soutenu par une structure en bois. Le tout est bien tendu grâce à de longues cordes et des piquets. L'ensemble de cette armature donne à la tente des pentes assez prononcées, ce qui la distingue nettement des tentes de la Péninsule Arabique au toit relativement plat. Cet abri est par ailleurs muni de parois destinées à isoler l'intérieur de l'habitation du vent et du froid. En saison froide, il est parfois doublé intérieurement d'un second vélum en coton blanc ( benye). L'entrée est surmontée d'une extension, qui tient corps au voile, et sert pour recevoir. En bas du voile de la tente, on comble l'espace entre le sol avec du jonc ou des broussailles. L'arrière de la khaïma est munie d'une paroi en tissu (rwâg) faite de trois ou quatre bandes tissées, avec alternance de couleurs foncées et sombres. Des perches soulèvent les bas-côtés. Une pièce tissée ferme la tente pour la nuit. Cette « maison de poil » est toujours montée dos au vent. L'orientation générale place son ouverture au sud-ouest et l'arrière de la tente au nord-est, direction dangereuse, la plus menacée par les « gens du vide ».L'espace intérieur de la tente est aussi organisé avec soin. Il est divisé en deux parties. Une cachée, à l'ouest, est réservée aux femmes et à tout ce qui relève du monde féminin. À l'est sont installés les hommes et les visiteurs masculins. À la naissance d'un enfant, les orientations sont modifiées. Les hommes abandonnent pendant la période de réclusion de la femme l'espace de la tente, à l'intérieur duquel se déplacent les femmes. Elles s'installent dans la partie masculine pour échapper aux agressions des jnoun, particulièrement dangereuses durant cette période. La séparation entre les espaces est opérée en entassant les bagages de la tente, le long des deux poteaux principaux. Parfois, en présence d'un hôte, une belle étoffe tissée, peut être ajoutée, à l'image de celles des tentes des tribus berbères du Moyen-Atlas. Mais la khayma désigne aussi la famille car elle répond à une vision semblable du monde. Elle est fortement associée au féminin, fabriquée et possédée par les femmes, au point qu'un homme, même marié, ne dormira pas dans la tente en l'absence de son épouse : il s'installera à proximité sur une dune ou sous un arbre. Cet espace féminin s'oppose en fait, au monde sauvage et dangereux de l'extérieur, peuplé par les « gens du vide » (les jnouns encore une fois). La khaïma a une dimension (symbolique) qui en fait une représentation métaphorique du corps féminin qui s'exprime à travers le vocabulaire de la tente. La métaphore est scellée symboliquement par la présence du « collier du lait » de la tente. Ce symbole féminin de la fécondité, orne le haut de la tente, là où s'articulent les poteaux qui ont pour leur part une forte connotation masculine. Les dimensions de la tente varient ensuite selon le genre de vie de la famille qu'elle abrite (nomade ou semi-nomade, chameliers ou moutonniers...) et surtout selon son statut social. La tente noire en poil aurait été introduite au Sahara occidental par les premières tribus arabes bédouines venues s'installer dans la région à partir des XIVème et XVème siècles . Les termes employés aujourd'hui pour désigner les différentes composantes de la khayma sont d'ailleurs quasi-exclusivement d'origine arabe et quasiment identique à celui employé par les bédouins du Machrek.
La tente Touareg
L'habitat des Touareg est une tente de peaux rouges ou en nattes. Le velum est installé sur une armature semi-circulaire de bois flexibles relativement légers. Cette tente légère et aisément transportable a une grande ancienneté dans tout le nord et même l'est de l'Afrique. Elle présente la forme d'un « bateau renversé », déjà décrite par les Romains chez les populations nomades numides d'Afrique du nord. On en retrouve de l'Afrique du nord jusqu'au Tchad, au Soudan et jusqu'en Somali. La matière première est facile à renouveler et la fabrication des nattes, tâche réservée aux femmes, règle le problème de l'usure rapide de ces tentes. L'avantage de la tente en nattes est d'assurer une meilleure aération intérieure, appréciable en saison chaude. La tente en cuir, dont les Touaregs sont aujourd'hui les seuls utilisateurs parmi les sociétés de pasteurs nomades sahariens , est plus lourde à transporter. Mais elle est imperméable et présente une esthétique plus élaborée que la tente en natte. Le vélum est composé d'un assemblage de peaux de chèvres, de moutons, de zébus, plus rarement de gazelles. Ces peaux sont épilées, tannées, puis enduites de beurre. Elles sont mouillées pour être frottées et colorées de terre rougeâtre. Une tente moyenne compte généralement 4 ou 5 rangées de 8 peaux cousues les unes aux autres, soit un total de 30 ou 40 peaux. Une grande tente, de chef de tribu, peut compter 60 ou 80 peaux, voire plus. Le lit est monté dans la partie nord et féminine de la tente. Au sud, se trouve l'espace masculin où le chef de famille dépose ses bagages. Aucune cloison spécifique ne divise ces deux espaces.
La tente caïdale
Les tentes Makhzen, improprement nommées tentes caïdales, ont des tailles et des formes variées. Elles sont fabriquées avec une toile blanche et solide. Ornées de motifs noirs rappelant un qandil (lampe à huile), elles sont surmontées de boules dorées, symbole d'autorité. L'intérieur de la tente est décoré de grandes tentures murales: Haiti. Le "Haiti" (venant de Hait : le mur. Littéralement couverture du mur) est en tissus riches en couleurs. Ces étoffes vertes et rouges, sont découpées et cousues pour composer un dessin de Mihrab. Apanage d'autorité, ces tentes sont montées pour honorer des invités de marque.
Tribus nomades au Maroc
De vastes régions restent parcourues par des nomades berbérophones. Dans le Sud marocain, l'importante confédération des Ait Arta maintient entre les groupes arabes du Tafilalet et les Regueïbat du Rio de Oro un nomadisme berbère de grande envergure. Plus restreints sont les déplacements des tribus Berbères (ou Imazighen) du Moyen-Atlas: Zayan, Beni M'Guild, Ait Seghrouchen. Les Zayanes vivent au moyen Atlas dans la région de Khénifra. Ils occupent l'espace géographique du bassin d'Oum Errabia. En perpétuel déplacement à la recherche des pâturages, leurs tribus se déplacent deux fois par an, en hiver vers l'Azaghar où les conditions climatiques sont clémentes, en été vers le Jbel. Leur habitation est la tente tissée en poil de chèvres. La tente des Zemmour fait partie intégrante de l'histoire de ces berbères venus du Sud. Elle est longtemps demeurée nécessaire pour les oscillations entre la forêt de la Maâmora et les plateaux cultivés, ou pour les déplacements du troupeau. Progressivement, la vie sédentaire s'est imposée au détriment de la vie semi-nomade. Aujourd'hui, les quelques rares notables Zemmouris conservent encore soigneusement leur Khaïma et ne la déploient que pour les grandes occasions (fêtes nationales, moussems). Les Zemmouris ont mis des siècles à admettre la maison en dur et à renoncer définitivement à leur habitat traditionnel.Jusqu'en 1980, dans tous les souks des Zemmour, prospérait le commerce des éléments et accessoires de la Khaîma. Cette activité a complètement disparu. Les Aït Atta, célèbre tribu nomade du Sud du Maroc, passent une grande partie de l'hiver dans le Saghro, pays où l'activité des nomades est dominante. Un festival des Nomades se tient régulièrement en septembre à Tan Tan. Il est l'occasion pour les tribus de la région de se rencontrer et de présenter leurs traditions. Relancé sous l'égide de l'Unesco après 23 ans d'interruption, ce festival réunit des dizaines de tribus du Maroc, du Mali, du Sénégal et de Mauritanie, hébergés sous quelque 600 tentes dressées en plein désert marocain. Un homme sage du désert, Hassan Aït Ali aura le mot de la fin: «Ce que j'aime avec le désert, c'est que quoi que tu fasses, berger ou roi, la tempête effacera les traces de tes pas... et les dunes seront à nouveau vierges.»
La maison est un mot féminin chez les nomades
La maison est un mot féminin chez les nomades. Le langage de la technologie et de l'architecture s'y expriment par une voix de femme. L'esthétique nomade s'énonce d'ailleurs dans le chant des femmes. Maison et mariage sont synonymes. L'intérieur, avec sa richesse de couleurs et de détails décoratifs, exprime l'identité de la femme et sa sensibilitié au lieu. Les Touaregs établissent une forte opposition entre deux notions qui organisent l'espace nomade dans lequel ils se situent. La première est celle d'ebewel qui désigne l'abri, le creux, le nid, mais aussi le monde féminin des tentes, la lignée matrilinéaire en fonction de laquelle ils définissent leurs affiliations sociales... A l'inverse, l'essuf désigne le monde extérieur aux tentes, celui que parcourent les troupeaux et les hommes, espace masculin dangereux, peuplé par les kel essuf, les génies, sources de nombreux maux.
Dimensions sociales
et symboliques de l'habitat nomade
Le plan d'un camp nomade est aussi clairement dicté par les rapports au sein de la famille étendue. Il est une réponse au milieu, à la propriété des troupeaux et aux besoins de pâture.
Comme chez les sédentaires, l'habitat chez les nomades, n'est pas uniquement une réalité matérielle. Il est tout aussi domestiqué et a la même pertinence chez les nomades que chez les sédentaires. C'est aussi le lieu où se définissent les rapports sociaux et dans nombre de sociétés nomades le terme utilisé pour désigner la tente, est le même que celui qui sert à dénommer la famille. Dès lors, la tente nomade est investie de fortes significations rituelles (autour de la naissance, du mariage, du parcours nuptial...).
S'oppose ainsi l'espace féminin de la tente, fabriquée et possédée par les femmes et l'espace masculin extérieur auquel sont condamnés les hommes qui n'ont accès à une tente que par l'intermédiaire d'une femme, mère puis épouse. Les rituels matrimoniaux et funéraires traduisent cette mouvance des hommes autour des tentes.


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