C'est une affaire aussi compliquée qu'étrange. Depuis l'arrestation de la journaliste d'Akhbar Al Yaoum, Hajar Raissouni et son fiancé à la porte d'une clinique privée de la capitale du Royaume, pour « avortement illégal et relations sexuelles hors mariages», la famille et les proches de l'accusée: journalistes, activistes de renommés ainsi que les militants des droits humains et des libertés individuelles, ont tous montré un soutien sans faille à sa cause. Mais son principal coaccusé, le gynécologue Mohamed Jamal Belkziz, n'a pas semblé bénéficier de la même solidarité. Sur les réseaux sociaux, les publications hashtag #FreeHajar, #touche pas à mon utérus, #je suis une hors-la-loi, ou encore #mon corps m'appartient, sont devenus virales. La romancière franco-marocaine, Leila Slimani, ainsi que la cinéaste Sonia Terrab, ont même rédigé un manifeste où elles soutiennent la cause de la journaliste et de ses codétenus dans cette affaire et soutiennent la liberté de chacun à disposer de son corps librement. Des sit-in ont également été organisés devant le tribunal de première instance de Rabat lors des audiences, en soutien, toujours, à la journaliste de 28 ans. En gros, un soutien sans faille a été témoigné à Hajar Raissouni et une condamnation unanime a été faite à « l'injustice » quel a subie. La presse nationale et internationale ont en parlé, en rappelant «en passant» les personnes poursuivies dans cette affaire, à savoir son fiancé, le médecin, l'anesthésiste et l'assistante. Silence et attentisme Cependant, aucun mouvement de solidarité n'a été observé du côté des médecins envers leur confrère, Docteur Belkziz, qui a été condamné à une peine de 2 ans de prison ferme, assortie d'une période d'interdiction d'exercer de 2 années, ou encore l'assistante du médecin qui a écopé de 8 mois de prison avec sursis et le technicien en anesthésie d'une année de réclusion avec sursis ainsi que le fiancé de Hajar, Refaat Amin qui a également éte condamné à une peine d'un an d'emprisonnement ferme. Contacté par Hespress Fr, Docteur Hassan Afilal, Pédiatre réanimateur à Rabat, assure que les médecins soutiennent leur confrère, Dr Belkziz. « On était persuadé que ça allait bien se terminer, mais ça s'est mal terminé. Faut voir les réseaux sociaux, les groupes des médecins, ce qu'ils disent ainsi que leur réaction sur l'affaire. Il va y avoir un mouvement. Il y a un soutien. Mais on ne comprend pas », indique-t-il. Pour Dr Afilal, Dr Belkziz, « est un médecin qui a réalisé une action qui porte sur l'assistance à personne en danger. C'est clairement dit ». « On se retrouve, nous, médecins, dans un système d'insécurité. Si une patiente vient nous voir en urgence, qu'est-ce qu'il faut faire ? On l'envoie à l'hôpital ? C'est-à-dire qu'on ne peut plus intervenir en toute sécurité et pour nous et pour la patiente. Donc il y a un soutien, il y a même un soutien important et une mobilisation est en train de se mettre en place », affirme-t-il. Et d'ajouter « actuellement il y a beaucoup de discussions autour de la forme du mouvement. On n'a pas encore tranché sur la manière. Ça va se faire parce que la sentence et très lourde, on ne s'y attendait pas du tout ». Selon la version officielle du parquet général, Hajar Raissouni a subi un avortement opéré par Dr Belkziz. Une version que Dr Afilal rejette complètement. « Ce n'est pas un avortement ! Il faut que la justice apporte des preuves. C'est une femme qui est entrée à la clinique où exerce le Dr Belkziz, elle était en train de saigner et il a stoppé les saignements. Il ne mérite pas la prison du tout, c'est un verdict qu'on ne comprend pas », insiste-t-il. Et notre interlocuteur de poursuivre : « Dr Belkziz a stoppé une hémorragie et a assisté une personne en danger et malgré cela il s'est retrouvé derrière les barreaux. Cela peut donc arriver à n'importe quel médecin qui apporte son assistance à une personne en danger. Nous gardons espoir et avons confiance en la justice, pour qu'elle reprenne le dessus et revoit les éléments scientifiques du dossier, lors des prochaines étapes du procès ». Dr Hassan Afilal a, par ailleurs, tenu à rappeler le long parcours médical de son confrère en détention. « Dr Belkziz a 40 ans d'exercice, il est âgé de 68 ans. Et puis, quand on est dans un pays évolué, on ne dit pas +selon les rumeurs il pratique des avortements+. Soit on a des preuves soit on ne les a pas. On n'est pas hors la loi, mais on ne peut pas venir dire il a fait un avortement, aller bye c'est terminé. Ça ne se passe pas comme ça. Parce que selon les autorités, ce médecin pratiquait des avortements. Elles sont où ces personnes-là qui ont témoigné? Dans un pays digne de ce nom, on ne parle pas de rumeurs. C'est honteux. Il faut des preuves ». Selon le rapport du parquet et ceux de la police, la clinique en question était sous surveillance. Un point qui relève de « la version des autorités » souligne notre interlocuteur avant d'ajouter « c'est ce qu'ils disent eux ». Il a également tenu à rappeler que Dr Belkziz « a été décoré par le Roi pour son apport à la médecine marocaine. On ne peut pas du jour au lendemain découvrir que quelqu'un est en train de faire des actes dans son petit coin ». Sit-in de solidarité: les médecins étaient présents Mercredi 2 octobre dernier, la société civile a tenu un sit-in devant le siège du Parlement à Rabat en soutien à Hajar Raissouni et ses co-accusés, dont Dr Belkziz, « injustement poursuivis et condamnés dans le cadre d'une affaire purement politique« . Quelques médecins ont également pris part au sit-in. Jamila Ghandi, endocrinologue et diabétologue, a fait part, au micro de Hespress Fr, de ses craintes depuis cette affaire, estimant que tous les médecins se retrouvent désormais dans une situation délicate. "Depuis cette affaire, les médecins ne pensent qu'à une chose, sauver leur peau. Un gynécologue devra désormais se poser la question lorsqu'il reçoit une femme qui saigne, va-t-il l'aider ou la laisser mourir? Dans les deux cas il sera emprisonné", a-t-elle déclaré. "Les preuves ont été apportées par son avocate qui affirme que ce n'est pas un avortement mais une fausse couche. Il a sauvé une vie et se retrouve avec deux ans de prison et deux ans d'interdiction d'exercice. Je n'ai même pas de mots pour décrire la situation", ajoute-elle visiblement très bouleversée par cette incarcération. "Au delà de la gynécologie, tous les médecins se demandent comment ils vont continuer à faire leur travail si il n'y a pas de loi qui les protège", conclut-elle.