L'idée que «les machines viennent s'emparer de nos emplois» inquiète depuis des centaines d'années, du moins depuis la mécanisation du tissage au début du XVIIIe siècle. Certes, cette innovation avait permis d'accroître la productivité, mais elle avait aussi attisé la crainte que des milliers de travailleurs se retrouvent dans la rue. Cependant, l'être humain est conscient que les robots prennent progressivement le contrôle de milliers de tâches de routine et vont supprimer de nombreux emplois peu qualifiés dans les économies avancées et les pays en développement. En même temps, la technologie crée des possibilités, ouvre la voie à des emplois innovants et modifiés, accroît la productivité et améliore la prestation des services publics. Dans ce sens, la Banque Mondiale a réalisé une étude sur le développement dans le monde intitulée « le travail en mutation« , qui élabore les différents défis auxquels est confronté l'humain face à la transformation technologique et comment les gouvernements, surtout dans les pays en voie de développement, peuvent réagir face à ce phénomène. Selon une récente enquête Eurobaromètre, trois quarts des citoyens de l'Union européenne sont convaincus que la technologie a un effet positif sur le monde du travail, et deux tiers considèrent qu'elle est bénéfique pour la société et va améliorer davantage la qualité de vie. Toutefois, des inquiétudes demeurent en ce qui concerne l'avenir. Selon l'étude, les habitants des économies avancées appréhendent l'impact considérable de la technologie sur l'emploi. Ils considèrent que la montée des inégalités, à laquelle s'ajoutent les effets de l'économie des petits boulots ou «gig economy – freelance» (dans le cadre de laquelle les organisations recrutent des travailleurs indépendants pour des missions de courte durée), favorise la dégradation rapide des conditions de travail. Cependant, ce scénario inquiétant est globalement injustifié, souligne l'étude. Le rapport avance que certes les emplois manufacturiers sont de plus en plus automatisés dans un certain nombre d'économies avancées et de pays à revenu intermédiaire, les travailleurs chargés de tâches routinières «codifiables» étant les plus faciles à remplacer, mais les technologies offrent la possibilité de créer de nouveaux emplois, d'accroître la productivité et de fournir des services publics efficaces. Le numérique bouleverse les modes de production traditionnels «À travers l'innovation, les technologies créent de nouveaux secteurs d'activité et de nouvelles tâches. Les avancées actuelles dans le domaine des technologies présentent certains aspects remarquables. Le numérique bouleverse les modes de production traditionnels et redéfinit la structure des entreprises en permettant à ces dernières d'accroître ou de réduire rapidement leur activité. Dans les nouveaux modèles économiques, les entreprises ou plateformes numériques, souvent construites autour d'un nombre réduit d'employés et d'immobilisations, passent du statut de start-up locale à celui de géant mondial», indique l'étude. Selon l'étude, la multiplication des plateformes d'échanges permet plus que jamais aux technologies de toucher plus rapidement un plus grand nombre d'individus. Particuliers et entreprises peuvent échanger des biens et des services sur des plateformes en ligne à l'aide d'une simple connexion large bande. «Ce modèle économique fondé sur des activités à grande échelle sans actifs massifs offre des possibilités d'emploi à des millions de personnes vivant hors des pays industrialisés, voire des zones industrielles. Et ces mêmes personnes sont confrontées à la demande de nouvelles compétences. L'automatisation rehausse la valeur des compétences cognitives d'ordre supérieur dans les économies avancées et les pays émergents», affirme l'étude. Les rédacteurs de l'étude affirment dans ce sens qu'«il faut impérativement investir dans le capital humain si l'on veut tirer le meilleur parti de l'évolution des perspectives économiques. Trois types de compétences prennent de plus en plus d'importance sur le marché de l'emploi : les compétences cognitives comme la résolution de problèmes complexes, les compétences socio comportementales comme l'aptitude au travail d'équipe et la combinaison de différents types de compétences qui permettent de prédire la capacité d'adaptation comme le raisonnement et l'efficacité personnelle». Ils proposent aux pays d'asseoir leur capital humain sur des bases solides et de promouvoir l'apprentissage permanent pour développer ces compétences. «Les bases du capital humain, qui sont établies dans la petite enfance, gagnent donc en importance. Cependant, les autorités des pays en développement n'accordent pas une place prioritaire au développement de la petite enfance, et l'incidence de l'enseignement de base sur le capital humain est loin d'être optimale», soulignent-ils. Face à la révolution technologique, le taux de chômage s'élève en Afrique du Nord Le nouvel indice de capital humain mis au point par la Banque mondiale et décrit pour la première fois dans le rapport, souligne le lien entre les investissements dans la santé et l'éducation et la productivité de la main-d'œuvre de demain. Par exemple, la progression du 25e au 75e percentile de l'indice génère un supplément de croissance annuelle de 1,4 % sur une période de 50 ans. Dans de nombreux pays en développement, la majorité des travailleurs restent confinés dans des emplois peu productifs, souvent informels et peu exposés à la technologie. Faute d'emplois de qualité dans le secteur privé, souligne le rapport où des jeunes pétris de talent ont peu de chances de trouver un emploi salarié. En effet, les analystes expliquent dans le rapport que les diplômés d'université hautement qualifiés représentent actuellement près de 30 % de la réserve de main-d'œuvre au chômage dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. «De meilleures offres de formation des adultes permettent aux décrocheurs scolaires de se recycler en tenant compte de l'évolution de la demande sur le marché du travail. On a aussi besoin d'investissements dans les infrastructures, dont les plus notables visent à offrir aux populations de pays en développement toujours laissées pour compte un accès abordable à l'Internet», indiquent-ils. Ils mettent également l'accent sur l'importance de l'accroissement des investissements dans les pays en développement, surtout dans les infrastructures routières, portuaires et urbaines dont les entreprises, l'administration et les individus ont besoin pour tirer pleinement parti du potentiel des nouvelles technologies. Pour s'adapter à la nouvelle génération d'emplois, le rapport revient sur le besoin des populations en matière de protection sociale, à savoir que dans les pays en développement, huit personnes sur dix ne bénéficient d'aucune assistance sociale, et six sur dix travaillent dans l'informel, sans police d'assurance. Que peuvent faire les pouvoirs publics ? L'étude révèle un certain nombre d'actions que peuvent entreprendre les pouvoirs publics comme, investir dans le capital humain, notamment dans l'éducation préscolaire, afin de développer des compétences cognitives et sociocomportementales d'ordre supérieur en plus des compétences fondamentales. Renforcer la protection sociale. Pour ce faire, les analystes conseillent aux pays émergents de mettre en place un minimum social garanti et complété par une réforme de la réglementation du marché du travail. Le rapport met en avant également d'autres moyens d'augmenter les recettes publiques tels que l'impôt foncier dans les grandes villes, les droits d'accise sur le sucre ou le tabac et les taxes sur le carbone. Une autre option consiste à combattre les techniques d'évasion fiscale auxquelles de nombreuses entreprises ont recours pour gagner plus. Les pouvoirs publics peuvent optimiser leurs politiques fiscales et améliorer l'administration de l'impôt afin d'accroître les recettes sans procéder à des hausses d'impôts, conclut l'étude.